Trump l’homme du passé

08/11/2020

Patrick AULNAS

Donald Trump a remarquablement raté sa sortie. Même Fox News, le média qui le soutenait fidèlement, n’a pu cautionner ses mensonges et ses tentatives d’abus de pouvoir. Journalisme oblige. En démocratie, il n’est pas possible de soutenir un politicien qui étale son obstination pathologique devant les citoyens au mépris de la réalité. Ce drôle de bonhomme, adulé par certains, haï par d’autres, a plus ou moins réussi dans les affaires par des procédés parfois inavouables. Mais il vient d’échouer en politique de façon pitoyable.

 

Un homme du passé

Trump restera dans l’Histoire comme le président des États-Unis représentant les nostalgiques d’une Amérique blanche, dominatrice et sûre d’elle. L’Amérique du passé. Ses soutiens électoraux se situent en effet dans la classe moyenne inférieure, précarisée par les évolutions technologiques et géopolitiques : ouvriers de l’industrie, artisans, commerçants, petits entrepreneurs. Un profil socio-professionnel qui contraste avec les informaticiens, ingénieurs, managers travaillant pour les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et constituant l’avenir des États-Unis et l’avenir du monde. Ceux-là votent démocrate et regardent le futur avec confiance parce qu’ils possèdent la formation adaptée aux évolutions en cours.

Le passéisme de certaines couches de la population avait conduit entre les deux guerres mondiales à l’émergence de partis fascistes qui ont fini par s’installer au pouvoir. Les ruptures politiques actuelles, que l’on observe dans tous les pays développés, reposent également sur la confrontation du passé et de l’avenir, mais aussi de la contrainte et de la liberté. La gauche sociale-démocrate et la droite traditionnelle s’éclipsent doucement. On voit émerger une opposition entre les nostalgiques de l’ancienne stabilité sociale, demandant des contraintes étatiques plus fortes, et les tenants de la nouvelle globalisation planétaire, partisans des évolutions souples et de la liberté. Les premiers ont peur de l’avenir et demandent protection aux politiciens, les autres ont foi en l’avenir et demandent de l’autonomie pour innover.
Donald Trump représentait de toute évidence les américains s’accrochant bec et ongles à une société sur le déclin. La croissance démographique des minorités (noirs, hispaniques, asiatiques) remet en cause la suprématie des blancs. L’évolution des mœurs (mariage gay, théorie du genre, explosion du nombre des divorces) rend obsolète la volonté d’imposer à tous des normes d’origine religieuse qui ne sont plus partagées par tous.

Nul doute qu’il y aura d’autres assauts politiques du conservatisme passéiste, mais ce seront des combats d’arrière-garde.

 

Un opportuniste qui veut être le chef

Trump est l’exact contraire d’un libéral. Son pseudo-libéralisme à l’ancienne lui a permis de séduire l’Amérique du passé. Protectionniste, opposé au multilatéralisme qui ne lui permet pas des face-à-face brutaux, il déteste la liberté. Tout simplement parce que la liberté suppose le dialogue et les compromis entre des points de vue opposés. La liberté de chacun commence par le respect de tous. Trump méprise et cherche à abaisser ses opposants. Il ne respecte pas ses interlocuteurs. Son tempérament de dictateur s’est révélé au cours de sa présidence : il aimait fréquenter le sanguinaire Kim Jong-un, l’autoritaire Bolsonaro, mais détestait l’Union européenne et son projet historique et pacifique, bâti sur les compromis entre États.

Déguisés en cow-boys, partisans du droit au port d’arme, fiers d’arborer leur fusil d’assaut, selon eux symbole de liberté, les plus fervents admirateurs de Donald Trump offrent un spectacle révélant une humanité de la force brutale, à mille lieux de celle de l’intelligence qui a fait le succès de la Silicon Valley. La prestance physique de leur leader, devenu président, les séduit tout autant que ses simplismes médiatiques. Le champion du tweet ne pense pas très loin, mais impose sa volonté sans la moindre gêne. Il ne doute pas un seul instant que la loi du plus fort régit notre humanité. Le libéralisme, c’est le contraire.

 

Sans culture et sans vision 

L’ambigüité de Trump peut apparemment surprendre. Il a construit sa vie de dirigeant d’entreprise en utilisant le libéralisme économique américain. Il entame tardivement une carrière politique en jouant la carte du populisme afin de séduire des électeurs dont il ignore tout, du fait même de ses origines sociales. Chacun comprend alors que cet homme ne croit en rien et que seule la domination l’intéresse. Après la détention du pouvoir économique qu’il reçoit par héritage, il conquiert le pouvoir politique, mais peu importe le contenu de sa politique. Il ne bâtit pas l’Histoire, il commande, il dirige, il est le chef.

Ne manquant pas de charisme, il séduit facilement les moins avertis, les proies faciles qui s’extasient devant le pouvoir et la richesse. Corrélativement, il s’attire la détestation de tous ceux qui le percent à jour et comprennent immédiatement que sa seule ambition consiste à commander mais pas à gouverner. Gouverner suppose une certaine culture, que Trump ne possède pas, et une vision de l’avenir dont il est totalement dépourvu. Sa vulgarité provient de son inadaptation au monde d’aujourd’hui. Il vocifère et rugit parce qu’il ne comprend rien. Banal chez les dictateurs, mais inédit dans la plus puissante démocratie mondiale.
 

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