Trois questions fondamentales sur la pandémie

25/04/2020

Patrick AULNAS

La pandémie de COVID-19 suscite fin avril 2020 plus de questions que de réponses. Si l’on écarte les inévitables polémiques politico-sanitaires dont sont friands les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu, ce sont les perspectives à moyen terme qui peuvent inquiéter. Et cela à trois points de vue : sanitaire, économique, politique.

 

L’étendue de la pandémie

La première inconnue concerne l’étendue définitive de la pandémie. Le site de l’université John Hopkins, qui fait référence en la matière, indique les chiffres suivants au 23 avril 2020 :

  • Total mondial des cas confirmés de COVID-19 : 2 659 000 (dont 844 000 pour les États-Unis et 1 036 000 en Union Européenne)
  • Nombre de morts du COVID-19 : 185 500 (dont 46 800 aux Etats-Unis et 110 000 en Union Européenne)

70% des cas confirmés et 85% des décès concernent les États-Unis et l’Union européenne. La pandémie est donc concentrée pour l’instant sur les zones les plus riches de la planète, qui sont aussi gouvernées démocratiquement. Deux questions se posent :

  • Certains pays ont-ils minoré les chiffres de la pandémie pour des raisons politiques ? La réponse est évidemment positive. Les dictatures, dans lesquelles l’information est entièrement contrôlée par le pouvoir politique, ne fournissent pas les chiffres exacts, si toutefois elles les connaissent. L’appareil statistique peut être totalement défaillant. Par ailleurs, dans ces régimes politiques, toute statistique est politique par construction puisqu’il s’agit toujours pour les spécialistes de complaire au pouvoir en place. La Chine, les pays du Moyen-Orient, la plupart des pays d’Afrique et de nombreux pays d’Amérique latine se situent dans cette catégorie.
  • L’hémisphère sud est largement épargné pour l’instant. La pandémie l’atteindra-t-elle un peu plus tard (à l’automne 2020 ou en 2021) ? Nul ne peut le dire, mais étant donné la contagiosité du virus, cela n’est pas impossible.

 

La profondeur de la crise économique

La récession sera forte. Du fait du confinement et de l’arrêt imposé politiquement de nombreuses activités, les PIB chuteront de 5 à 15% selon les pays si le déconfinement est possible rapidement et si une seconde vague ne survient pas à l’automne. Cette forte récession constitue donc l’hypothèse la plus optimiste. Elle entraînera de nombreuses faillites et une augmentation du chômage, des déficits élevés des budgets publics et donc une croissance de l’endettement, déjà considérable avant la pandémie.

Mais l’impact économique pourrait être beaucoup plus important si une crise financière de grande ampleur venait à apparaître. Ce sera le cas si une ou plusieurs nouvelles vagues pandémiques se développent fin 2020 et en 2021. La crise financière s’enclenchera probablement par l’intermédiaire du système bancaire. De nombreuses faillites d’entreprises conduiront inéluctablement les banques à détenir des créances irrécouvrables en nombre croissant, puisque les entreprises qui disparaitront ne rembourseront plus leurs emprunts bancaires. Les banques pourront elles-mêmes être mises en faillite, entraînant des effets de panique et une crise financière profonde. Un tel scénario n’est pas à exclure, mais il ne serait pas sérieux de le considérer d’ores et déjà comme l’hypothèse la plus vraisemblable.

S’il se réalisait, nous aurions changé de monde. C’est une véritable économie de guerre qui se mettrait en place, avec des pénuries importantes concernant même les produits de consommation courante (alimentation, vêtements, énergie).

 

Les conséquences politiques : la démocratie en péril ?

Il ne s’agit pas d’évoquer ici le risque de perpétuation des atteintes aux libertés publiques liées au confinement autoritaire des populations. Ce thème, traité par certains commentateurs, est tout à fait accessoire. Qui peut penser qu’Angela Merkel, Emmanuel Macron ou Boris Johnson vont se transformer en dictateurs ? Les contrepouvoirs sont suffisants dans nos démocraties pour assurer une résistance.

Le problème est ailleurs. Une crise sanitaire durable, une crise économique profonde auront inéluctablement des conséquences électorales. Quels dirigeants les électeurs porteront-ils au pouvoir dans un an, dans deux ans ou dans cinq ans ? Le populisme, déjà bien installé dans une partie de l’électorat, pourrait devenir plus menaçant et permettre la prise du pouvoir par des démagogues. Le glissement vers l’autoritarisme est ensuite rapide, comme on l’a vu entre les deux guerres en Italie et en Allemagne.

Une crise économique profonde constitue donc un danger majeur pour les libertés publiques. Le peuple pourrait se laisser séduire par des promesses simplistes. La difficulté est pédagogique : comment faire comprendre la complexité d’une situation face à des politiciens sans scrupules qui useront de tous les artifices démagogiques ? Inutile de répondre qu’une bonne communication suffit. La communication ne permet de convaincre que si elle porte sur des idées fortes et clairement exprimées. Il faut être capable de montrer le cap avec fermeté, de promettre « du sang, de la sueur et des larmes ». Mais nous n’aurons pas nécessairement un Winston Churchill pour endosser le vêtement du leader. Le danger est donc considérable.

L’enchaînement pourrait être dévastateur : crise sanitaire durable, crise économique majeure, recul ou abandon de la démocratie. Il faut en prendre conscience dès maintenant et se préparer à faire face.

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