Les leçons de morale des extrémistes

24/02/2020

Patrick AULNAS

Est-il acceptable de diffuser des images de la vie privée des personnalités politiques sur Internet (réseaux sociaux, sites spécialisés) ? La majorité des français reste raisonnable sur ce point puisqu’un sondage Elabe indique que 66% d’entre eux estiment, à propos de l’affaire Griveaux, que les « activistes » ont eu tort de diffuser ces images. Le commentaire en ligne de cet institut de sondage précise :

« C’est auprès des électorats d’Emmanuel Macron et de François Fillon que la part de personnes estimant que les « activistes » ont tort de faire ce genre d’action est la plus importante : respectivement 78% et 77%.

Les électorats de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen sont plus partagés : respectivement 55% et 53% estiment qu’ils ont tort, mais respectivement 45% et 47% jugent qu’ils ont raison. »

 

Des modérés réalistes et des extrémistes idéalistes

Les électorats de Macron et Fillon à la dernière présidentielle regroupaient des modérés de droite ou de gauche. Les partisans des solutions radicales, tout au moins en parole, se trouvaient chez Le Pen et Mélenchon. Il est assez piquant de rapprocher les commentaires de presse et les interventions sur les réseaux sociaux venant de cet horizon idéologique et les résultats du sondage Elabe. L’idée toujours ressassée est la suivante :

« Il ne doit pas y avoir de contradiction entre la vie privée et les valeurs que l’on défend publiquement. Si ce principe n’est pas respecté, il est normal de le faire savoir par tous les moyens possibles.»

Ainsi, lorsqu’un politicien (Clinton, Griveaux, etc.) défend les valeurs familiales dans sa campagne électorale, il doit être un mari irréprochable dans sa vie privée, au sens victorien du terme : ne pas « tromper » physiquement. L’idéalisme très passéiste des électeurs du radicalisme politique interpelle.

 

Un rigorisme moral de pacotille

Presque la moitié des électeurs de Le Pen et Mélenchon semblent donc adhérer à une morale puritaine. Dans la tradition théâtrale française, il était habituel de faire de l’adultère un ressort comique. Ne plaisantons plus avec la fidélité conjugale, nous disent les adeptes du radicalisme politique, il s’agit d’une chose sérieuse. Quand on trompe sa femme, il faut le dire publiquement… ou alors rester aussi innocent que l’agneau qui vient de naître.

Le rigorisme moral exigé dans les rapports amoureux rejoint étrangement la pureté idéalisante de la pensée politique affichée. Les promesses électorales des partis extrêmes fixent toujours la barre très haut. Mais ils ne réalisent jamais leurs promesses. Elles échouent lamentablement et conduisent les sociétés humaines au désastre : pauvreté, dictature, guerre. Toute l’histoire du XXe siècle le prouve (communisme, fascisme, nazisme, franquisme, salazarisme) et celle du XXIe le confirme (Venezuela, Corée du Nord).

Est-il hasardeux de prétendre que ce décalage doit aussi exister dans le domaine amoureux, qui en réalité d’ailleurs se réduit à la sexualité dans les propos sur internet ? Une sexualité pure, transparente, innocente, voilà leur grand idéal. Il faut pouvoir dire publiquement et sans la moindre honte tout ce que l’on fait sous la couette ou ailleurs. Pas de distorsion entre le discours sur nos ébats et le vécu ! Cela reviendrait à s’exprimer en permanence comme un sexologue.

Qui peut le croire ? Ce ne sont là que des postures médiatiques d’intervenants masqués, qui seraient bien embarrassés si d’aventure il était possible de rendre leur vie entièrement transparente. Quel gouffre apparaîtrait alors entre les paroles et les actes !

 

Pouvoir exprimer sa haine !

Mais cette hauteur morale revendiquée s’applique à autrui, à des personnalités connues du grand public. Aucune chance qu’elle soit effectivement exigée d’inconnus, qui peuvent donc en toute quiétude jouer l’air du rigorisme moral. Il ne s’agit que d’un prétexte permettant d’exsuder sa haine de l’autre, lorsqu’il est plus intelligent, plus talentueux et jouit donc d’une réussite sociale supérieure. C’est le cas des politiciens de haut niveau. Ce ne sont pas des anges, mais nous non plus. Il vaut mieux avoir fait le tour des turpitudes humaines lorsqu’on prétend les gouverner.

L’envie impuissante de ceux qui ont beaucoup échoué les conduit à détruire ce qu’ils ne peuvent obtenir, surtout lorsque la conviction s’installe que l’objectif est hors de portée et que la vie restera ce qu’elle est : peu satisfaisante et parfois même détestable.

On vote alors aux extrêmes et on peut se laisser aller à exiger des dirigeants une pureté morale qui n’existe que dans les rêves des poètes et des fous. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, les gouvernants n’ont mis leurs paroles et leurs actes en adéquation. Vie privée et vie publique ont toujours été et resteront toujours, espérons-le, deux domaines distincts. Le contraire s’appelle le totalitarisme.

Ainsi, la vie privée des rois et empereurs ne coïncidaient en rien avec ce qu’ils exigeaient de leurs sujets. Le peuple ne pouvait même pas imaginer une vie amoureuse comme celles de Louis XIV ou de Louis XV. La distance est bien moindre aujourd’hui entre les gouvernants et la population dans ce domaine.

La liberté sexuelle s’est démocratisée et il est assez mal venu de faire la morale aux dirigeants lorsqu’on connaît les statistiques de consultation des sites pornographiques (98% de hommes et 85% des femmes disent en avoir déjà consulté) et d’adultère (aux États-Unis 70 % des femmes 92 % des hommes ayant plus de cinq ans de mariage déclarent avoir été infidèles au moins une fois).

Ne demandons à nos gouvernants que ce que nous sommes capables de nous imposer à nous-mêmes.

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