Les erreurs stratégiques de Philippe Martinez

06/01/2020

Patrick AULNAS

La CGT est l’un des grands syndicats représentatifs des salariés en France. Son « poids » concernant cette représentativité a été fixé à 28,56%, contre 30,33% pour la CFDT et 17,93% pour FO, par l’arrêté du 22 juin 2017. La CGT négocie de nombreux accords d’entreprise et peut faire preuve d’une certaine souplesse au niveau local. Mais elle conserve une attitude d’une extrême rigidité à l’échelon national. C’est l’une des causes de son déclin relatif, puisqu’elle a été dépassée par la CFDT, qui paraît moins archaïque à beaucoup de salariés.

Pourtant, Philippe Martinez continue à se tromper de stratégie.

 

Lutte des classes et politisation  à outrance

La première erreur stratégique consiste à maintenir un discours de type « lutte des classes ». Tant au printemps 2018 (réforme de la SNCF) qu’à la fin de l’année 2019 (réforme des retraites) la CGT a adopté une posture politique et non syndicale. Le syndicalisme consiste en effet à discuter des réformes en cours en vue de défendre des intérêts professionnels. Il ne peut en aucun cas aboutir à un ultimatum adressé au gouvernement : « Retirez votre réforme, sinon la grève se poursuit ». S’opposer ainsi à la majorité parlementaire élue, favorable à la réforme, constitue une remise en cause de la démocratie par la violence.

La CGT n’est donc plus dans l’action syndicale définie par la loi, mais dans l’affrontement politique avec la majorité élue en 2017.

Philippe Martinez semble considérer qu’il ne peut pas se comporter de façon moins radicale que les gilets jaunes. Erreur majeure. Une organisation syndicale doit se montrer compétente et efficace. On lui demande de négocier sur des détails techniques complexes, non maîtrisés par les salariés de base, afin d’obtenir des améliorations pour ceux qu’elle représente. En se comportant comme les leaders autoproclamés et notoirement incompétents d’une fronde populaire, les dirigeants de la CGT ont gravement failli à leur mission de syndicalistes. Leur syndicat le paiera probablement cher dans les années qui viennent.

La CGT a perdu au printemps 2018 et elle va perdre à nouveau début 2020 sur la retraite par points. En se comportant en opposant à Emmanuel Macron et non en défenseur des intérêts des salariés, Philippe Martinez surfe sur une vague populiste. Il n’est plus un leader syndical mais un opposant politique.

Or, évidemment, la réforme ne peut pas être retirée puisqu’une large majorité parlementaire lui est favorable. La lutte des classes, concept hérité du XIXe siècle, vient à nouveau de montrer son inadaptation totale aux démocraties transactionnelles contemporaines.

 

Suivre sa base ou lui indiquer le chemin ?

La deuxième erreur stratégique de Philippe Martinez consiste à suivre les éléments les plus radicaux de la base syndicale au lieu de les marginaliser. On pourrait appliquer au dirigeant de la CGT la phrase prêtée à Ledru-Rollin lors du soulèvement populaire de 1849 contre Louis-Napoléon Bonaparte : « Il faut bien que je les suive, je suis leur chef ».

On l’avait déjà vu au printemps 2018, lors de la réforme du statut de la SNCF. Une grève intermittente, dite parfois « perlée », avait abouti à un échec en rase compagne pour la CGT. La réforme avait été votée par la majorité parlementaire après quelques concessions. La position des cégétistes les plus radicaux, adoptée à l’échelon national, avait conduit à l’échec. La réforme s’applique désormais et les embauches à la SNCF ne se font plus selon l’ancien statut.

La CGT a reproduit aujourd’hui le même scénario avec la réforme globale de la retraite par points. L’opposition radicale vient principalement des conducteurs de trains, qui cherchent à maintenir une retraite à 52 ans payée par les contribuables français. Ils sont peu nombreux, mais disposent d’une forte capacité de nuisance. Philippe Martinez semble suivre la ligne de Laurent Brun, le secrétaire général de la CGT-cheminots, qui s’imagine que l’on est encore en 1995.

Bernard Thibaud, au même poste, avait bénéficié à cette époque de sa victoire contre le gouvernement Juppé pour devenir ensuite secrétaire général de la CGT. On voit mal, un quart de siècle plus tard, le communiste stalinien Laurent Brun obtenir la même réussite.

Philippe Martinez aurait dû se poser en adversaire de Laurent Brun au lieu de suivre ce leader d’un autre temps, défendant bec et ongles un système de retraite SNCF déjà juridiquement condamné puisque les embauches au statut ont cessé. Il s’agit bien de défendre les avantages de quelques-uns, presque des privilèges de classe, comme le faisaient les vieux apparatchiks de l’URSS disparue.

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