La question climatique et sa véritable solution

23/05/2020

Patrick AULNAS

Le changement climatique est devenu depuis quelques décennies un sujet politique. L’exploitation par l’homme des ressources naturelles terrestres, en particulier des énergies fossiles, serait responsable d’une élévation rapide des températures. En faisant l’hypothèse que cette affirmation est exacte, quelles sont les solutions envisageables ? Il n’y a pas d’accord sur ce point. Que penser des évolutions en cours privilégiant dans de nombreux pays les énergies dites renouvelables ? Y-a-t-il une autre voie ?

 

Etat des lieux de la croissance : énergie consommée, population, production

La croissance économique mondiale depuis deux siècles repose sur une augmentation très importante de la consommation d’énergie.

 

Evolution de la consommation d’énergie primaire dans le monde en tep (tonnes d’équivalent pétrole)

Année

Consommation
mondiale
en millions de tep

Population mondiale
en milliards

Consommation
par personne
en tep

1800

305

1,0

0,3

2015

13 647

7,3

1,8

Coefficient

multiplicateur

45

7

6

 

 

La consommation d’énergie par personne avait très peu évolué jusqu’à 1800. L’énergie était totalement fournie par la biomasse, en grande partie par le bois que l’on brûlait. Deux facteurs expliquent la multiplication par 45 de la consommation d’énergie par les hommes : la croissance de la population et la croissance de la production.

La croissance démographique mondiale s’est considérablement accélérée à partir de 1800. On estime que notre planète comportait 170 millions d’êtres humains en l’an 0. En 18 siècles, elle passe à 1 milliard d’individus, soit une multiplication par 5 à 6 entre l’an 0 et l’an 1800. Mais en deux siècles, de 1800 à 2015, le coefficient multiplicateur est de 7, en partant d’un chiffre déjà élevé d’un milliard d’êtres humains. Cette très forte croissance démographique constitue une première explication de l’élévation de la consommation globale d’énergie.

Le second facteur est la croissance de la production, mesurée habituellement en unité monétaire. Le PIB (produit intérieur brut) mondial a augmenté encore bien plus rapidement que la population.

 

Evolution de la production mondiale en dollars 2015

Année

PIB mondial
en milliards de $

Population mondiale
en milliards

PIB par
personne en $

1800

250

1,0

250

2015

73 500

7,3

10 000

Coefficient

multiplicateur

294

7

40

 

 

Le PIB mondial pour 1800 est une estimation assez grossière puisqu’il n’existait à l’époque aucun appareil statistique permettant de mesurer la production. Mais qu’il soit de 200, de 250 ou de 300 ne change rien au raisonnement. La production mondiale en valeur a été multipliée par presque 300 en deux siècles, ce qui reflète évidemment une croissance phénoménale des quantités produites et des consommations de matières premières. Mais l’énergie étant nécessaire pour produire industriellement, le second facteur explicatif majeur de la croissance de la consommation énergétique est l’envolée productive depuis deux siècles.

En résumé, la multiplication par 45 de l’énergie consommée par les hommes en deux siècles s’explique principalement par :

  • la multiplication par 7 de la population ;
  • la multiplication par environ 300 de la production en valeur.

 

Fortes disparités

Les moyennes mondiales recouvrent de très fortes disparités. Par exemple, pour la consommation d’énergie, le citoyen des Etats-Unis consomme 6,8 tep en 2015 et celui de Bénin 0,4 tep. En moyenne, le béninois est ainsi resté, du point de vue énergétique, à l’ère préindustrielle, alors que l’américain a multiplié sa consommation par 23. Le français, moins énergivore que l’américain, se situe à 3,6 tep.

Il en est de même pour la production. Le PIB par habitant en 2015 était de 57 000 $ aux États-Unis et de 1 076 $ au Bénin. La France se situait à 36 600 $. (Données Banque mondiale).

Il en résulte évidemment une captation d’une partie importante des ressources par une fraction de la population mondiale, les pays riches, principalement les 37 pays membres de l’OCDE représentant environ 80% de la production mondiale. Mais l’accès au développement économique constitue aussi une ambition de pays encore très pauvres il y a un demi-siècle et qui se sont industrialisés rapidement. La Chine en constitue l’exemple emblématique. Son PIB était de 92 milliards de $ en 1970 et de 11 000 milliards de $ en 2015. La gigantesque bataille pour le développement économique se poursuit.

 

Approche écologiste

Alors que l’énergie utilisée par les humains était presque totalement renouvelable avant 1800, elle est devenue en grande partie fossile par la suite. Les énergies fossiles sont le charbon, le pétrole et le gaz naturel.

 

Part des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) dans la consommation mondiale d’énergie primaire

Année

1800

1850

1900

1950

1970

2000

2017

% d’énergies fossiles

2%

9%

46%

74%

85%

83%

81%

 

 

La part des énergies fossiles a culminé vers 1970-1980, puis a très légèrement diminué depuis. Mais nous sommes restés depuis un demi-siècle aux environs de 80% d’énergies fossiles. Les énergies dites renouvelables (biomasse, énergie éolienne, électricité solaire, hydroélectricité) n’ont modifié la répartition mondiale que de façon très marginale.

Même dans les pays dont la communication gouvernementale et les subventions publiques en faveur des énergies renouvelables sont très importantes, leur part reste modeste : 11% du total en France en 2017. Mais il faut ajouter, concernant la France, que l’énergie nucléaire représente 40% de la consommation énergétique. Au total, plus de la moitié de la consommation d’énergie primaire du pays n’est pas émettrice de gaz à effet de serre. Le nucléaire est donc absolument essentiel du point de vue écologique.

Mais les progrès de pays comme la France depuis un demi-siècle, dus principalement au nucléaire, ne changent rien au contexte mondial global : plus de 80% d’énergie fossile, hors nucléaire.

Le problème suscité par les énergies fossiles est simple : elles émettent, lors de leur consommation, des gaz à effet de serre (principalement dioxyde de carbone, CO2) entraînant un réchauffement de la température moyenne sur la planète. Il s’agit là d’une réalité scientifique qui ne peut être mise en doute. La discussion ne peut porter que sur deux aspects : la mesure de l’élévation de température et la part de responsabilité humaine dans cette élévation.

En ce qui concerne la mesure, il est évidemment nécessaire d’utiliser un modèle mathématique pour calculer la température moyenne sur le globe terrestre. Qu’est-ce que la température moyenne mondiale sachant qu’elle est en permanence inférieure à 0° aux pôles et très élevée à l’équateur ? La réponse est la suivante : il s’agit d’un concept purement mathématique (comme toute moyenne) s’appliquant à une série statistique plus ou moins fournie et calculé selon une méthodologie toujours critiquable. Il faut donc considérer les chiffres fournis par le GIEC ou tout autre organisme avec prudence et sans jamais penser qu’ils représentent parfaitement la réalité.

En ce qui  concerne la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique, la problématique globale consiste à l’isoler des causes naturelles d’évolution du climat. Le climat terrestre n’est pas stable. Il évolue constamment en fonction de multiples facteurs naturels. La climatologie, science du climat, est une discipline jeune ne possédant encore que des rudiments de connaissances. Il en résulte que le caractère plus ou moins anthropique (causé par l’homme) du réchauffement, ou même du changement climatique, est impossible à déterminer en toute rigueur. Une seule chose peut être affirmée : l’enrichissement de l’air en CO2 produit un effet de serre car ce gaz, comme la vapeur d’eau (les nuages en particulier) ou le méthane laisse passer le rayonnement solaire puis emprisonne la chaleur sur la surface terrestre, comme sous une serre. L’effet de serre est indispensable, sinon les températures seraient fortement négatives sur toute la surface terrestre. Mais il ne doit pas être trop important. Le problème posé se résume donc à un accroissement trop important de l’effet de serre par un excès d’émission de CO2.

Une seconde question a été soulevée : la réduction de la biodiversité. Un certain nombre d’études montrent que certaines espèces animales ou végétales disparaissent à un rythme rapide sous l’influence de l’homme (déforestation depuis le Moyen Âge, polluants chimiques pouvant être toxiques pour les êtres vivants, pêche industrielle trop prédatrice, etc.). Il est indubitable que la croissance démographique des deux derniers siècles, associée à l’augmentation massive de la production, a eu un impact majeur sur les autres espèces.

 

Approche politique

Sous la pression d’intellectuels d’abord, puis de militants écologistes ayant rallié leur cause, les politiciens se sont intéressés à la question climatique depuis quelques décennies. Dans un premier temps (années 1980 à 2010 environ) la plupart des politiciens percevaient l’écologie comme un élément accessoire leur permettant de gagner quelques électeurs supplémentaires. Puis l’alarmisme climatique a produit un effet croissant sur les opinions publiques des pays riches, mais absolument pas sur celles des pays pauvres. Les politiciens ont alors modifié leur discours : dans les démocraties, la communication sur l’écologie devenait pour eux une chose sérieuse, un enjeu électoral important. La médiatisation parfois outrancière des grands rendez-vous internationaux sur le sujet est également une conséquence de l’intérêt accordé au sujet par les politiciens. Ces rendez-vous se succèdent donc désormais sous l’appellation de COP (Conference of Parties) numérotées, pouvant déboucher sur un accord international. La COP21 a ainsi abouti à l’Accord de Paris sur le climat en 2015.

Ces accords internationaux s’appuient sur les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui conseillent de limiter l’élévation moyenne des températures à 2° C par rapport à l’ère préindustrielle (soit environ l’année 1850). De tels objectifs chiffrés, repris par les politiciens dans les accords internationaux, ne constituent que des promesses politiques qui ne sont en général absolument pas respectées. Un État peut d’ailleurs, bien évidemment, se retirer à tout moment d’une convention internationale qu’il a signée, comme l’ont fait les Etats-Unis de l’accord de Paris en 2017.

La politisation des problèmes climatiques et environnementaux est toute nouvelle. Jusqu’au 20e siècle, l’homme considérait les ressources naturelles comme à peu près inépuisables et son impact sur son environnement comme négligeable. C’est évidemment la phénoménale croissance de la production depuis deux siècles qui a conduit à une prise de conscience de la puissance technologique de l’être humain et de ses dangers éventuels. Les milieux de l’écologie militante sont d’ailleurs souvent réticents, voire hostiles, à la technique. L’un des grands penseurs pré-écologistes, Jacques Ellul (1911-1994), considérait qu’à partir de la révolution industrielle occidentale, la technique n’a plus été au service de l’homme. C’est au contraire l’homme qui s’est mis au service d’une technique qui s’est autonomisée. La technique appelle encore plus de technique, de telle sorte que tout problème doit désormais être abordé sous l’angle technique. L’homme ne peut plus échapper à la technique (*).

L’analyse de Jacques Ellul et d’autres penseurs s’opposant à la technique représente l’un des fondements de l’idéologie écologiste. Le mot idéologie est employé ici lato sensu : une pensée qui prétend déterminer à elle seule l’avenir souhaitable de l’humanité et l’imposer par le biais du politique, soit une pensée constructiviste. L’analyse d’Ellul présente une faiblesse majeure : elle ne correspond pas à la perception des sciences et techniques de l’écrasante majorité de l’espèce humaine. Toute l’histoire de l’humanité repose en effet sur l’utilisation de l’intelligence pour accumuler des connaissances. Les connaissances scientifiques et techniques permettent d’améliorer la réalité de la condition humaine à maints égards : nourriture abondante, logements confortables, communications rapides et efficaces, état de santé en voie d’amélioration constante, etc. La question de savoir si nous sommes de plus en plus dépendants des technologies mises au point par l’être humain relève de l’évidence. Oui, nous en sommes de plus en plus dépendants parce que ce savoir scientifique et technique est perçu par la quasi-unanimité des hommes comme un progrès, améliorant siècle après siècle leur condition. Il est loisible à chacun d’aller vivre en anachorète au fond des bois ou tout simplement dans un monastère en renonçant à l’essentiel des apports de la technologie. Mais cette approche, tout à fait honorable, est rarissime, ce qui explique le succès historique des sciences et techniques. Il s’agit d’une approbation de l’humanité entière ne reposant pas sur le discours mais sur les actes : produire et consommer. Il est bien clair que si les hommes souffraient épouvantablement sous l’emprise technologique, ils s’empresseraient de retourner cultiver un lopin de terre pour se nourrir. C’est exactement le contraire qui s’est produit et continue à se produire sous nos yeux (en Chine, en Inde, en Amérique latine, etc.). Ceux qui, par tropisme idéologique, ont tenté le retour à la terre dans les pays riches à la fin du 20e siècle sont très rares à avoir persévéré.

 

La voie écologiste est une voie sans issue

En 2020, il devient tout à fait évident que l’objectif principal fixé par l’accord de Paris en 2015 ne sera pas atteint. Il s’agit donc, selon cet accord, de maintenir au-dessous de 2° C l’élévation de la température moyenne à la surface du globe à l’horizon 2100. La poursuite de la croissance démographique et de la croissance économique au 21e siècle empêchera d’atteindre cet objectif.

La croissance démographique va se poursuivre à un rythme moins élevé qu’au cours des deux derniers siècles et il y a un accord très général sur ce point. Nous allons retrouver une croissance plus faible de la population, surtout à partir de 2050, parce que l’élévation du niveau de vie conduit à la baisse de l’indice de fécondité. Il baisse partout dans le monde, mais reste nettement supérieur à 2,1 enfants par femme en âge de procréer dans les pays pauvres (chiffre assurant le maintien quantitatif de la population) alors qu’il est inférieur à ce chiffre dans les pays riches. Alors que la population mondiale croissait de 1,4% par an au cours du 20e siècle, ce taux devrait descendre autour de 0,7% dans la première moitié du 21e et autour de 0,2% dans la seconde moitié. Selon les différents scénarios, la population mondiale atteindrait 10 à 12 milliards d’individus à la fin du 21e siècle. Il n’y a donc rien à attendre dans le domaine de la croissance de la population, qui se poursuivra jusqu’à la fin du siècle à un rythme plus lent, sauf si des évènements imprévus se produisent (pandémie grave, guerre mondiale très destructrice par exemple).

En ce qui concerne la croissance économique, il est bien évident que les populations des pays pauvres n’aspirent qu’à sortir de la pauvreté et que les pays riches, qui jouent le rôle de leaders de l’écologisme, sont très peu crédibles lorsqu’ils donnent des leçons. Ce sont eux en effet qui ont bénéficié des bienfaits de la croissance économique. Comment pourraient-ils convaincre les autres d’y renoncer ?

La Chine fournit d’ores et déjà à cet égard un exemple historique intéressant. Son PIB par habitant était de 89 $ en 1960. Il est passé à 9 770 $ en 2018. Le taux de croissance du PIB chinois a parfois dépassé les 15% par an. Pays pauvre en 1960, la Chine, par une politique volontariste, est devenue une véritable puissance qui aspire aujourd’hui à poursuivre sa progression. Le fait de signer des accords du type de l’accord de Paris permet simplement d’apparaître comme un bon élève dans la géopolitique mondiale. Cela n’engage à rien un pays gouverné par un parti unique, qui observe les démocraties occidentales comme des concurrents irréalistes. L’objectif principal de la Chine est de poursuivre dans la voie du progrès technique, de la croissance économique et de la puissance militaire. On pourrait citer d’autres exemples : la Russie, le Brésil, l’Inde n’entendent pas renoncer au développement économique.

Les pays riches eux-mêmes sont aux prises avec des difficultés majeures dans ce domaine. Une croissance économique faible, a fortiori une récession (que les écologistes appellent décroissance), se traduit nécessairement par un appauvrissement ou une certaine précarisation de couches entières de la population. Les perdants d’une politique économique récessive votent alors pour des leaders dits populistes qui promettent monts et merveilles par pure démagogie, dans le but exclusif de conquérir le pouvoir. Donald Trump appartient à cette catégorie de dirigeants cyniques ne s’intéressant qu’à leur intérêt électoraliste. Les problèmes écologiques apparaissent à sa base électorale comme des préoccupations de nantis. Elle réclame donc surtout de la croissance économique. Cette problématique économico-politique est présente dans tous les pays riches à des degrés divers.

Il est donc politiquement impossible de renoncer à la croissance économique sans cataclysme politique. Or, la croissance économique est la cause principale de l’évolution du climat, si l’on admet, comme les écologistes, l’hypothèse de la causalité anthropique. Les spécialistes du sujet indiquent d’ailleurs tous que la consommation d’énergie fossile devrait devenir pratiquement nulle dans la seconde moitié du 21e siècle pour maintenir l’élévation de température à moins de 2° C. Etant donné le faible développement des énergies renouvelables depuis trente ou quarante ans, la solution ne peut pas être trouvée dans cette direction, tout au moins à l’échelle mondiale. Même si un pays vertueux, comme l’Allemagne par exemple, parvient à tirer l’essentiel de son énergie des renouvelables, cette évolution particulière ne représentera que très peu de chose pour la planète entière.

En l’état actuel de la technologie, seule l’énergie nucléaire est capable de permettre une baisse massive des émissions de CO2. Mais l’écologisme militant, à quelques exceptions près, ne veut pas entendre parler du nucléaire. Pourquoi ? La raison est toute simple et provient de l’antitechnicisme écologiste, déjà évoqué ci-dessus à propos de la pensée de Jacques Ellul. Les écologistes veulent contrôler politiquement la technologie. Avec des éoliennes et des panneaux solaires, n’importe quel conseil municipal ou départemental peut intervenir dans la gestion de la production d’énergie. Avec le nucléaire, il faut réunir des masses financières considérables qui ne sont qu’à la portée des États et des très grandes entreprises. Il faut aussi assurer un contrôle scientifique et technique de haut niveau de l’appareil de production (ASN, Autorité de sureté nucléaire, en France). Les militants peuplant les instances politiques (Parlements, conseils locaux divers) et devenus politiciens n’ont alors qu’un rôle mineur par défaut de compétence. Le politique ne maitrise pas la technique. La technique lui échappe, ce qui est en contradiction avec la philosophie politique écologiste.

Nous sommes donc dans une impasse. La seule énergie qui permettrait de réduire drastiquement les émissions de CO2, sans pour autant se diriger vers la récession économique, est rejetée pour des raisons de philosophie politique. A cet égard, il y a lieu de préciser que les arguments en général avancés concernant les dangers du nucléaire (risques de contamination, gestion des déchets à durée de vie longue) ne concernent que le grand public. Il s’agit de faire peur, ce qui est évidemment très élémentaire lorsqu’on évoque le nucléaire, la notion d’arme nucléaire venant immédiatement à l’esprit. Mais pour les militants écologistes d’un certain niveau, la problématique est bien davantage celle de la philosophie politique.

 

Technique ou politique ?

En définitive, deux voies apparaissent pour l’avenir à échéance d’un siècle : la voie politique et la voie technique.

Les solutions politiques conduiront nécessairement à un renforcement considérable de la coercition étatique. Les politiques environnementales qui sont menées depuis une vingtaine d’années consistent à réglementer strictement la production (véhicules, appareils de chauffage, bâtiments, etc.) et à alourdir la fiscalité par création de nouvelles taxes incitatives. L’exemple type est la taxe carbone, destinée à augmenter artificiellement le coût des produits provenant des énergies fossiles.

Mais il est peu probable que réglementation et taxation puissent suffire. Des révoltes sporadiques ont déjà eu lieu contre les excès de taxation (par exemple les Gilets jaunes en France). Cette politique semble donc atteindre ses limites dans les pays où les prélèvements obligatoires dépassent les 40% du PIB. Quant à la réglementation minutieuse de toutes les productions, elle conduit à une complexité normative qui n’est maîtrisable que par quelques spécialistes, coupant la population de toute capacité de compréhension des règles juridiques qui lui sont imposées.

Un obstacle politique majeur risque donc d’apparaître rapidement : l’opposition d’une fraction de la population des sociétés démocratiques, qui n’acceptera pas de se voir imposer une politique économique récessive à caractère structurel, la fameuse décroissance souhaitée par de nombreux écologistes. Pour vaincre cette opposition, il n’existe que l’autoritarisme, voire le totalitarisme. Des mouvements écologistes radicaux prônent déjà l’action violente pour imposer leurs vues, par exemple Extinction Rebellion, qui aurait environ 100 000 militants répartis dans plusieurs dizaines de pays. Il existe dans les pays occidentaux une nuée de petites organisations écologistes extrémistes qui ne sont en réalité que le prolongement des anciennes formations révolutionnaires de tendance marxiste. L’anticapitalisme reste un élément idéologique central, auquel a été adjoint un écologisme radical et antitechniciste.

En 2020, ces petites organisations politiques radicales ne représentent pas grand-chose et elles n’ont aucune chance d’accéder au pouvoir. Mais il est intéressant de noter que l’idéologie écologiste fait naître dans les esprits fragiles une volonté de domination par la violence afin d’imposer à tous une doxa érigée en vérité absolue. Rien de bien nouveau : les anciens marxistes avaient également cette foi naïve, mâtinée de haine pour les opposants, qualifiés d’ennemis de classe.

Les solutions techniques représentent donc le seul espoir véritable. Il ne faut pas s’en étonner. Depuis le paléolithique, c’est par la technique que l’homme progresse lentement. Le politique joue un rôle de court terme, mais la grande constante de l’histoire de l’humanité est l’accumulation patiente de connaissances permettant d’agir plus efficacement dans tous les domaines : agriculture, élevage, transports, construction, médecine, information, etc. Aujourd’hui naît l’intelligence artificielle qui bouleversera probablement les siècles futurs.

Les technologies marginales, comme l’éolien ou les capteurs solaires, ne sont évidemment pas à rejeter. Mais leur production intermittente et relativement faible ne les qualifie pas pour satisfaire la consommation d’énergie de plusieurs milliards d’êtres humains. Leur impact environnemental est par ailleurs important et une forte contestation apparaît déjà du fait de la multiplication des parcs d’éoliennes dégradant le paysage et suscitant des nuisances sonores.

Dans le domaine de l’énergie, la technologie la plus avancée est aujourd’hui le nucléaire. Il existe deux possibilités : la fission et la fusion atomique. La fission consiste à libérer les quantités très importantes d’énergie contenues dans les noyaux des atomes constituant la matière. A l’heure actuelle, c’est la fission du noyau d’uranium dans un réacteur nucléaire qui permet de récupérer cette énergie. Il suffit d’emmagasiner la chaleur de la fission nucléaire dans de l’eau. La vapeur d’eau produite agit sur une turbine entraînant un alternateur producteur d’électricité.

La fusion nucléaire consiste à assembler deux noyaux d’atomes pour former un noyau plus lourd. La quantité d’énergie libérée par la fusion est encore plus importante que celle qui est libérée par la fission. Plusieurs projets de recherche sur la fusion sont en cours dans le monde, dont un en France, à Cadarache (ITER, International Thermonuclear Experimental Reactor). La fusion produit quatre fois plus d’énergie que la fission, ne dégage pas de CO2 et ne fait apparaître aucun déchet radioactif à durée de vie longue. Il s’agit donc d’une voie d’avenir, mais qui ne sera pas opérationnelle avant plusieurs décennies.

L’humanité se trouve donc face à un choix historique : se diriger vers l’autoritarisme politique afin d’imposer aux populations la frugalité énergétique ou utiliser les technologies les plus novatrices pour produire des quantités importantes d’énergie. Cette seconde solution n’altère en rien la liberté, mais suppose la mise en place d’autorités de contrôle compétentes et efficaces, ce qui ne pose pas de problème majeur.

 

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(*) Jacques Ellul. La Technique ou l'Enjeu du siècle, Economica, 2008, 3e édition.

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