Coronavirus : les choix stratégiques des gouvernements
26/03/2020
Patrick AULNAS
Définir une stratégie suppose une capacité de synthèse élevée. Face au coronavirus, les États sont donc à la manœuvre. Pourquoi ? Parce que les aspects sanitaires, économiques, sociaux, politiques doivent être pris en considération. Seuls les dirigeants politiques de haut niveau disposent de l’ensemble des informations nécessaires et de la capacité d’action globale. Le laissez-faire est théoriquement possible mais se heurte à un rejet politique dans les démocraties.
L’impossibilité politique de la stratégie d’immunité de groupe
Cette affirmation est corroborée par les exemples britanniques, néerlandais et américains. On sait que le NHS (National Health Service) britannique se caractérise par ses insuffisances : délais d’attente très longs et autoritarisme. Boris Johnson avait donc choisi dans un premier temps de ne rien faire pour empêcher la propagation du virus. Seuls les malades seraient soignés selon les capacités du système de santé.
Cette stratégie se base sur le concept d’immunité de groupe. Lorsque 60 à 70% d’une population est infectée, l’immunisation collective atteint un niveau qui ne permet plus au virus de progresser. La courbe épidémique atteint son sommet. Dans un pays comme le Royaume-Uni (66 millions d’habitants) cela entraîne 40 à 50 millions de porteurs du virus, certains malades, certains asymptomatiques mais transmetteurs. Le nombre de morts se chiffre potentiellement à des centaines de milliers, d’autant que le NHS est incapable de faire face aux nombreux cas graves.
Cette stratégie a dû être en abandonnée pour des raisons politiques : la population d’un pays riche n’accepte pas le laisser-faire gouvernemental en matière de santé. Johnson a dû énoncer des recommandations à la population, puis des obligations de confinement.
Les Pays-Bas avaient également choisi de ne pas tenter d’arrêter la propagation du virus. Mais, là encore, sous la pression de l’opinion publique, des mesures contraignantes ont été adoptées : fermeture des bars, restaurants, crèches et écoles, etc.
Aux États-Unis, confrontées aux insuffisances notoires de Donald Trump et à ses déclarations intempestives, les autorités locales ont commencé à agir. Par exemple, en Californie, le gouverneur a décrété le confinement de la totalité de la population de l’État (40 millions d’habitants). D’autres États fédérés ont suivi.
Le choix de l’immunité de groupe n’est pas vraiment une stratégie de lutte contre une épidémie. Il s’agit d’une réalité scientifique concernant l’évolution d’une épidémie dans toute population. Mais le laisser-faire conduisant à une mortalité élevée est politiquement inacceptable et ne peut être vraiment maintenu.
La stratégie du confinement
La stratégie du confinement cherche à rompre les chaines de transmission du virus. En maintenant temporairement (quelques semaines à quelques mois), la « distanciation sociale », c’est-à-dire en limitant au maximum les contacts physiques interpersonnels, le virus ne peut se propager. Le système immunitaire des individus contaminés se débarrasse du coronavirus. Dans des cas plus rares, c’est le coronavirus qui détruit l’organisme hôte et en conséquence se détruit lui-même. La propagation cesse donc.
La Chine a choisi un confinement très répressif de sa population. Mais le succès est indéniable. En confinant totalement la population de la province de Hubei (60 millions d’habitants) et en particulier de sa capitale Wuhan (9 millions d’habitants), lieu de départ de l’épidémie, la progression du virus a été stoppée. Cette stratégie d’endiguement de la propagation du virus suppose des restrictions très importantes aux libertés publiques et en particulier à la première d’entre elles : la liberté d’aller et venir. Cela ne pose pas problème en Chine communiste, mais devient beaucoup plus difficile en démocratie.
L’Italie, la France, l’Espagne et bien d’autres ont aussi choisi cette solution. Dans ces démocraties, la répression tous azimuts est inenvisageable. L’indiscipline et la joie de vivre propres à la jeunesse, mais parfois aussi la bêtise ou la désinformation de certains adultes rendent le confinement moins strict qu’en Chine. Pourtant, le succès ou l’échec dépendent du niveau de conscientisation de la population et de la peur des sanctions éventuellement infligées.
Des variantes peuvent d’ailleurs exister pour la pratique de la distanciation sociale. Dans les États démocratiques d’Asie (Corée du Sud, Taïwan), les mentalités permettent une politique beaucoup moins coercitive. Le confinement est obtenu par l’incitation gouvernementale et les échanges d’informations liées à la géolocalisation des personnes infectées, que chacun peut repérer sur une application pour smartphone. Cette politique a donné d’excellents résultats mais elle suppose un individualisme faible et une discipline collective élevée.
Les hésitations face à la décision
Tous les gouvernements ont longtemps hésité avant de définir une stratégie. Chacun peut comprendre la difficulté de l’exercice et il est malvenu de donner des leçons aux gouvernants quand on a aucune décision à prendre. Certaines médiocres femmes politiques (Ségolène Royal) et certains commentateurs ne s’en sont cependant pas privés.
En Chine, le premier cas apparaît début décembre. Le premier médecin qui a donné l’alerte a été poursuivi en justice. Il est mort ensuite du COVID 19. En Italie, en Espagne, en France et partout ailleurs, les gouvernements ont d’abord choisi de minimiser le risque épidémique. La grande crainte était évidemment de provoquer un effondrement économique à la suite d’une panique dans la population. La panique n’a pas eu lieu mais la récession est bien là.
Un confinement précoce donnerait sans doute de bons résultats sanitaires, avec des conséquences économiques importantes. Le confinement tardif est moins efficace d’un point de vue sanitaire mais tout aussi récessif économiquement. Quand prendre des décisions radicales de confinement ? A posteriori, tout le monde a la réponse. Dans le feu de l’action, personne ne l’avait.
Un risque bien documenté
Les informations étaient-elles disponibles pour mieux gérer la situation ? La réponse doit être nuancée. Les informations scientifiques sur le risque épidémique existaient, mais elles ne permettaient pas de mesurer le potentiel épidémique de tel ou tel virus particulier. D’où une temporisation générale en 2019-2020.
Le premier virus de type SARS-COV à atteindre l’espèce humaine est détecté et étudié à partir de 2003. En 2002-2003, l’épidémie de SARS-COV1 avait infecté plus de 8000 personnes dans une trentaine de pays, mais principalement en Chine et en Asie du Sud-Est. Le trafic aérien chinois ayant quasiment décuplé depuis cette date (61 millions de voyageurs transportés en 2000, 611 millions en 2018, selon la Banque mondiale), la propagation du virus SARS-COV2 en 2019-2020 a été plus rapide et mondiale.
A partir de 2003, les scientifiques ont étudié les coronavirus et alerté sur le risque épidémique élevé. Les habitudes chinoises de consommation de viande issue de petits mammifères porteurs de ces virus avaient bien été citées comme « une bombe à retardement ».
Les états-majors militaires des pays développés connaissaient tous ce risque. En 2008, le centre d’analyse prospective de la CIA l’avait clairement indiqué dans un rapport. « L’émergence d’une maladie respiratoire humaine hautement transmissible et pour laquelle il n’y aurait pas de contre-mesure adéquate pourrait déclencher une pandémie mondiale. » En France, les spécialistes de stratégie évoquaient régulièrement le sujet dans leurs écrits.
Tout était donc clair d’un point de vue sanitaire. Le risque était détecté. Mais une stratégie est nécessairement globale. En présence d’un début d’épidémie, il s’agit de faire un choix ayant des répercussions sociales, économiques et politiques. La crainte d’entraver fortement l’activité économique a visiblement conduit à minorer le risque de contagion, pourtant clairement documenté scientifiquement. Tous les pays ont retardé le déclenchement de l’action contre l’épidémie pour la même raison.
Il est à peu près certain que la pandémie actuelle provoquera une réflexion stratégique future sur l’action gouvernementale la mieux adaptée. On peut donc penser que la prochaine épidémie sera mieux gérée, c’est-à-dire traitée, sans temporisation, à la racine. Mieux vaut l’espérer.
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