La droite française et le refus du libéralisme

11/06/2019

Patrick AULNAS

Le paysage politique français est en pleine évolution. Après l’atomisation de la gauche en de multiples formations rivales, la droite éclate sous nos yeux. Le résultat de LR (Les Républicains) à l’élection européenne du 26 mai 2019 (8,48% des suffrages exprimés) a déclenché une crise du parti, qui l’a définitivement affaibli. Comme nous l’avons expliqué par ailleurs, c’est l’ancien monde politique qui arrive au terme de sa longue agonie. Il s’agit d’une évolution logique, eu égard à la défiance croissante des citoyens à l’égard du monde politique depuis de nombreuses décennies et au changement de paradigme des positionnements politiques.

Concernant spécifiquement la droite de gouvernement, quels sont les éléments essentiels qui l’ont conduite là où elle est ?

 

Un libéralisme purement discursif

D’une part, la droite avait un discours beaucoup plus libéral lorsqu’elle était dans l’opposition que lorsqu’elle gouvernait. D’autre part, la croissance constante de l’État-providence depuis la seconde guerre mondiale a représenté une réalité qu’elle n’a pas pu ou pas voulu enrayer, selon les diverses sensibilités qui la composaient.

La distance parfois sidérale entre les promesses électorales et les réalisations gouvernementales a fortement déconsidéré la droite. Jacques Chirac s’est particulièrement distingué à cet égard.  Un seul exemple : le programme de Chirac pour l’élection présidentielle de 1995 prévoyait une baisse des prélèvements obligatoires. Or, ceux-ci passent de 41,9% du PIB en 1995 à 42,4% en 2007 lorsqu’il quitte le pouvoir.

L’État-providence s’est donc maintenu et a parfois prospéré lorsque la droite était au pouvoir. Les dépenses publiques en France étaient de 54% du PIB en 1994 et de 57% en 2012. Les présidences Chirac et Sarkozy ont renforcé l’interventionnisme public. La social-démocratie s’est donc installée et la droite n’a eu ni le désir ni la capacité de la contrecarrer.

Si l’on reprend la distinction des trois droites de René Rémond (légitimiste, orléaniste, bonapartiste), les gouvernements de droite ont toujours déçu la sensibilité libérale orléaniste du point de vue économique. Ce fut une première cause de division et une faiblesse majeure quand on prétend en théorie s’opposer au socialisme.

 

Un libéralisme culturel et sociétal minoritaire à droite

Le seul président de la République de droite qui puisse être qualifié de libéral du point de vue sociétal et culturel est Valéry Giscard d’Estaing. Il se rattache clairement à l’orléanisme libéral. Pendant son septennat (1974-1981), deux réformes d’inspiration libérale ont vu le jour, consistant à accorder une plus grande liberté aux individus.

La majorité a été fixée à 18 ans à partir de 1974 alors qu’elle était à 21 ans depuis 1792. Les nouveaux électeurs représentaient 2,4 millions de personnes. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été autorisée par la loi Veil de 1975. Cette réforme sortait de l’illégalité une pratique courante concernant plusieurs centaines de milliers de femmes chaque année, mais réalisée dans des conditions sanitaires d’une grande précarité.

Les réformes sociétales de Giscard d’Estaing, grand bourgeois libéral, ont heurté le conservatisme de droite, particulièrement attaché à la tradition et aux prescriptions religieuses concernant la vie. Dans cet électorat, correspondant à la droite légitimiste de René Rémond, la plaie ne s’est jamais refermée. La droite dans son ensemble est vraiment très peu libérale culturellement.

 

La montée du nationalisme dans l’électorat de droite

Les deux thèmes de l’identité nationale et de l’immigration ont été utilisés surtout au 21e siècle. L’objectif était de mordre sur l’électorat du Front national par un message nationaliste. Ce fut une réussite pour Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007, mais pas en 2012. Un certain nombre d’électeurs de droite se sont en effet ralliés aux partis politiques préconisant le nationalisme (RN, Debout la France, par exemple), préférant selon l’expression consacrée l’original à la copie.

Les études d’opinion montrent que la sensibilité politique d’une partie croissante des électeurs de la droite de gouvernement est allée vers le nationalisme. L’explication est simple. D’une part, la droite n’a jamais maîtrisé le phénomène migratoire, contrairement à ses promesses répétées. D’autre part, la mondialisation des élites les a coupées de plus en plus de la base, attachée à une culture locale et pour certaines de ses composantes à une tradition religieuse. Le ressenti fut un sentiment de précarisation culturelle et d’abandon de la part des dirigeants. Alors que la droite devrait avoir pour vocation, selon son électorat, de défendre les traditions et l’ancrage culturel national, ses représentants politiques n’ont adhéré à l’identité culturelle traditionnelle des français qu’avec une telle mollesse qu’ils sont apparus comme des traîtres à la nation.

La fuite des électeurs vers le Rassemblement national est toujours en cours. Une partie non négligeable des droites légitimiste et bonapartiste de René Rémond est désormais attirée par les appels au nationalisme de la droite extrême. Cette frange de la droite est irrémédiablement perdue pour le libéralisme.

 

LR n’est plus qu’une machine électorale

L’ancienne droite de gouvernement n’a pas pu établir un compromis historique durable entre ses trois composantes : libérale, conservatrice, nationaliste. Ce compromis a fonctionné pendant une trentaine ou une quarantaine d’années, à partir de 1958. Mais il a volé en éclat lorsque la base électorale a été touchée par les conséquences diverses de la mondialisation. La droite a alors vogué de Charybde en Scylla, choisissant parfois même l’immobilisme, par exemple sous le second mandat de Jacques Chirac (2002-2007).

A l’heure où s’estompent les fondamentaux de la distinction séculaire droite-gauche, cette navigation à l’estime n’est plus possible. Il faut désormais se prononcer pour ou contre l’apologie de nation dans le monde occidental. Sur ce point essentiel, la droite est totalement clivée entre l’orléanisme libéral, farouchement opposé à la résurgence du nationalisme, et les légitimistes conservateurs, ainsi que les bonapartistes autoritaristes, l’accueillant plus ou moins chaleureusement.

Il ne faut donc pas trop s’étonner de l’éclatement de LR, création sarkozienne, qui, tout comme le Parti socialiste de François Hollande, n’est plus qu’un instrument à usage électoral, sans colonne vertébrale conceptuelle.

 

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