Van Gogh, Terrasse de café le soir (1888)

 
 
 

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Patrick AULNAS

L'œuvre de Vincent Van Gogh (1853-1890) s'étale seulement sur les dix dernières années de sa vie. Mais elle subit des évolutions radicales, depuis les peintures sombres des débuts jusqu'aux tableaux tourmentés mais éclatants de couleurs des dernières années. Pratiquement inconnu de son vivant en dehors du milieu artistique, Van Gogh est aujourd'hui l'un des peintres les plus célèbres.

 

Van Gogh.Terrasse de café le soir (1888)

Vincent Van Gogh. Terrasse de café le soir (1888)
Huile sur toile, 80,7 × 65,3 cm, Musée Kröller-Müller, Otterlo.

 

Contexte

Né aux Pays-Bas, Van Gogh arrive à Paris en 1886. Son frère Theo gère une galerie de peinture à Montmartre. C'est par l'intermédiaire de Theo que Vincent rencontre la plupart des peintres impressionnistes qui, à cette date, avaient réussi à s'imposer. Van Gogh est un artiste qui brûle les étapes comme s'il avait la prémonition que sa vie serait courte. A Paris, sa peinture se transforme radicalement : la couleur et la lumière prennent une place essentielle. Mais il veut découvrir la lumière méditerranéenne et, en 1888, il s'installe à Arles. Gauguin le rejoint, mais l'instabilité mentale de Van Gogh le fera rapidement fuir. Les paysages provençaux conduiront Van Gogh à accentuer encore sa liberté chromatique et à composer à Arles et Saint-Rémy certains de ses grands chefs-d'œuvre.

 

Analyse de Terrasse de café le soir (1888)

En septembre 1888, Van Gogh est déjà depuis plusieurs mois à Arles et il attend l'arrivée de Gauguin. Il décide de peindre la terrasse du café situé sur la place du Forum. Il connaît bien la peinture impressionniste mais cherche à la dépasser, comme beaucoup d'artistes de cette époque. Le terme postimpressionnisme sera utilisé au début du 20e siècle pour qualifier ces recherches. De quoi s'agit-il ? D'une évolution principalement technique destinée à diversifier l'approche impressionniste.

L'impressionnisme n'est pas remis en question dans ses principes : l'artiste veut saisir la fugacité de l'instant présent, ou plutôt les impressions qu'il lui procure, en insistant particulièrement sur les effets de lumière. La lumière est l'élément de base de la vision et sa perception peut fluctuer selon les individus. Les artistes impressionnistes sont très sensibles à cette forme de subjectivité. Dans Terrasse de café le soir, Van Gogh veut saisir l'atmosphère nocturne d'une petite place dans une ville provençale. Le ciel étant dégagé, la lumière a deux sources : lumière naturelle provenant des étoiles que le peintre représente comme des fleurs sur le fond bleu profond du ciel, lumière artificielle de l'éclairage au gaz de la terrasse du café. Cette seconde source lumineuse est traitée par des tonalités de jaune sur l'auvent et le mur du café et des reflets matérialisés par des touches jaunes sur le pavé.

 

Détail, le ciel étoilé (1888)

Détail, le ciel étoilé (1888)

 

Détail, l'auvent et le mur éclairés (1888)

Détail, l'auvent et le mur éclairés (1888)

 

Détail, le pavé éclairé (1888)

Détail, le pavé éclairé (1888)

 

L'impressionnisme se manifeste aussi dans les formes : personnages, tables, chaises ne sont pas soigneusement dessinés, mais évoqués de façon très convaincante par un assemblage de formes et de couleurs. Il s'agit d'une esthétique de la perception.

 

Détail, personnages  et tables (1888)

Détail, personnages et tables (1888)

 

Mais l'ambition de Van Gogh va au-delà. Il veut innover, comme il l'écrit très clairement dans une lettre adressée à sa sœur Wilhelmina :

« Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu'avec du beau bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de soufre pâle, de citron vert. Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d'après le dessin. Mais moi je m'en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est bien vrai que dans l'obscurité je peux prendre un bleu pour un vert, un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu'on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c'est le seul moyen de sortir de la nuit noire conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. » (*)

Van Gogh cherche donc à dépasser les conventions de l'esthétique de la représentation : la nuit est noire, donc il convient de la représenter sur la toile avec du noir sur lequel se détachent des éléments de « lumière blafarde et blanchâtre ». Il veut au contraire montrer une nuit aux couleurs vives en peignant sur le motif et peut-être, dit-il, en se trompant parfois sur la tonalité exacte. Mais après tout, cela n'est que le résultat de la perception nocturne des couleurs et ne contredit pas l'objectif poursuivi. Le génie du grand artiste est là : utiliser du jaune, du bleu, du mauve, du vert, tout en donnant au spectateur une impression complétement nocturne.

Techniquement, Van Gogh applique la peinture en couches épaisses, sans lissage. Les traces du pinceau sont parfois visibles en se rapprochant de la toile, comme on le voit ci-dessus dans le bleu du ciel. La perspective est traitée par un ensemble de lignes convergentes orientées vers le fond de la rue : au premier plan, le caniveau creusé dans le pavé, puis le tracé de l'auvent et de l'estrade, enfin les toits des maisons se détachant sur le ciel à droite.

Au-delà des intentions du peintre et de l'analyse technique, le chef-d'œuvre résulte de la capacité à susciter l'émotion de façon quasi-universelle. Tous les hommes (ou presque) peuvent voir une place d'Arles une nuit de septembre. Très rares sont ceux qui peuvent l'interpréter par un assemblage de couleurs vives représentant un regard singulier et poétique sur le monde. Presque personne n'appréciait le travail de Van Gogh à la fin du 19e siècle car son caractère innovant heurtait trop les conventions académiques. Aujourd'hui, il représente un des sommets de la peinture de cette époque. Nous avons la chance d'avoir accès, par les images qu'il nous a laissées, au monde intérieur de cet homme qui vivait au bord de la folie. Car, bien entendu, cette Terrasse de café le soir ne ressemblait sans doute pas du tout à ce que nous en montre Van Gogh. Pour le passant ordinaire, il devait s'agir d'une rue sombre, assez faiblement éclairée au gaz. La poétisation du lieu constitue le message que nous adresse l'artiste sur sa vision du monde.

 

Autres nuits étoilées de Van Gogh

Vincent Van Gogh. Nuit étoilée sur le Rhône (1888)

Vincent Van Gogh. Nuit étoilée sur le Rhône (1888)
Huile sur toile, 72,5 × 92 cm, musée d'Orsay, Paris.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Vincent Van Gogh. La nuit étoilée (1889)

Vincent Van Gogh. La nuit étoilée (1889)
Huile sur toile, 73,7 × 92 cm, Museum of Modern Art, New York.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

 

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(*) http://www.webexhibits.org/vangogh/letter/18/W07-fr.htm

Commentaires

  • Dang Nguyen
    Très belle analyse et très beau carrousel, qui nous fait apprécier la force expressive de la couleur chez Van Gogh. Merci, encore une fois.

    J'aime beaucoup votre conclusion. Mais il faut aussi signaler la somme de recherche et de souffrance que ce travail (comme toute son oeuvre d'ailleurs) a représentée. Même si ces recherches et ces souffrances ont disparu avec lui, on ne peut pas comprendre la variété de son génie sans les avoir à l'esprit. Elles ont affecté ses sentiments, exacerbé ses sensations et lui ont permis de trouver comment les couleurs peuvent les traduire. Se souvenir de cela permet de décrypter plus facilment ses tableaux, au moins en ce qui me concerne.
  • Adriana
    • 2. Adriana Le 02/05/2022
    C'est vrai que ce tableau fait ressortir la nuit avec peu de lumière mais un tableau de nuit sans noir... c'est un peu exagéré.
  • Renoir Jack Van gogh jean michel
    "Voilà un tableau de nuit sans noir", je ne crois pas non...

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