Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent (1475-76)

 
 

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Patrick AULNAS

Nicolas Froment est probablement né en Picardie et s’est formé au contact des maîtres flamands. Il part vers le sud à une date indéterminée et s’installe d’abord à Uzès, dans le Gard, puis à Avignon où existe un courant pictural très actif appelé aujourd’hui par les historiens École d’Avignon. Sa notoriété locale lui permet de devenir le peintre officiel du roi René qui règne alors sur la Provence. Peu avant sa mort, le souverain lui commande un grand triptyque qui constituera l’œuvre maîtresse de Nicolas Froment.

 

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent (1475-76). Vue d’ensemble.

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent (1475-76). Vue d’ensemble.
Huile sur toile collée sur bois, 429 × 308 cm hors dais, cathédrale Saint-Sauveur, Aix-en-Provence.
Panneau central : 212 × 308 cm
Panneau latéraux : 111 × 308 cm et 106 × 308 cm
Dais : 212 × 81 cm
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Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent (1475-76). Les trois panneaux.

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent (1475-76). Les trois panneaux.
Image HD sur WIKIMEDIA

 

Contexte historique

Le commanditaire du triptyque est René d’Anjou (1409-1480), surnommé le Bon Roi René par ses sujets. René d’Anjou appartient à la haute noblesse européenne du 15e siècle. Fils de Louis II d’Anjou (1377-1417) et de Yolande d’Aragon (1380-1442), il héritera tout au long de sa vie, par le jeu des alliances familiales, de nombreux territoires (terre de Guise, Duché de Lorraine, comté de Provence, royaume de Naples). Outre ses nombreux titres de noblesse, il est donc roi d’Aragon par filiation maternelle et roi de Naples et de Sicile. Son surnom vient de ses qualités d’administrateur. A une époque troublée, marquée par la guerre de Cent Ans (1337-1453), il sut s’entourer de conseillers avisés et enrichir ses territoires. Il fut aussi un amoureux des arts et l’un des mécènes les plus généreux de l’époque. Il possédait une bibliothèque comportant de nombreux manuscrits enluminés et s’entourait de peintres, d’orfèvres et de brodeurs.

Peu avant sa mort, en 1471, il s’installe à Aix-en-Provence avec sa jeune épouse Jeanne de Laval (1433-1498). Le diptyque Matheron, de Nicolas Froment, offert au roi René par Jean Matheron de Salignac (1440-1495), jurisconsulte et ambassadeur, représente le couple royal.

 

Froment. Diptyque Matheron (1474)

Diptyque Matheron (1474)
Le roi René et sa seconde épouse Jeanne de Laval
Huile sur bois, 18 × 13 cm, musée du Louvre, Paris.

A cette époque, le roi René organise sa succession. La commande d’un grand triptyque évoquant un épisode biblique est un acte de dévotion qui illustre par l’image sa piété. Le monumental Triptyque du Buisson ardent, terminé en 1476, fut placé à Aix-en-Provence dans l’église des Grands-Carmes, aujourd’hui disparue. Il y resta jusqu’à la Révolution de 1789. Il devient alors bien national et est affecté à l’église de la Madeleine, à Aix, puis entreposé au dépôt des Andrettes, rendu à la Madeleine et enfin installé dans la grande nef de la cathédrale Saint-Sauveur.

Le triptyque a fait l’objet d’une importante restauration de 2003 à 2010. Pour de multiples détails à ce sujet, voir la présentation du triptyque sous l’égide de la DRAC de la région PACA.

 

L’épisode biblique du buisson ardent (Ancien Testament, Exode)

Alors que Moïse fait paître un troupeau, il reçoit la révélation de l'existence d'un Dieu unique par un buisson qui brûle mais ne se consume pas. Le Dieu en question utilise ce buisson ardent pour transmettre quelques conseils. Voici le texte biblique.

3:1 Moïse faisait paître le troupeau de Jéthro, son beau-père, sacrificateur de Madian ; et il mena le troupeau derrière le désert, et vint à la montagne de Dieu, à Horeb.

3:2 L'ange de l'Éternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d'un buisson. Moïse regarda ; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait point.

3:3 Moïse dit : Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume point.

3:4 L'Éternel vit qu'il se détournait pour voir ; et Dieu l'appela du milieu du buisson, et dit : Moïse! Moïse! Et il répondit : Me voici!

3:5 Dieu dit : N'approche pas d'ici, ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte.

3:6 Et il ajouta : Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. Moïse se cacha le visage, car il craignait de regarder Dieu.

 

Analyse de l’œuvre

Comme il était de tradition au 15e siècle, le panneau central est consacré à l’épisode religieux et les panneaux latéraux à la représentation des donateurs, c'est-à-dire ceux qui payent l’artiste et offrent l’œuvre à l’Église catholique.

Panneau central

Le panneau central illustre l’épisode biblique de façon assez libre puisqu’il inclut des personnages du Nouveau Testament : Jésus et la Vierge.

 

Nicolas Froment. Triptyque du buisson ardent, panneau central (1475-76)

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent, panneau central (1475-76)

La partie inférieure reflète avec exactitude le texte biblique. Moïse est un vieillard barbu portant un costume censé être, pour un peintre occidental, celui des bergers de Palestine. Il manifeste sa stupéfaction en voyant apparaître l’ange annonciateur de la parole divine et enlève ses chaussures selon l'ordre divin inscrit dans le texte biblique. Il se tient en effet sur une terre sainte. L’ange est richement vêtu, le peintre s’étant inspiré des vêtements du haut-clergé de son époque. Il porte au cou un pendentif évoquant le péché originel : Adam et Ève sous le pommier avec le serpent.

 

Nicolas Froment. Triptyque du buisson ardent, détail

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent, détail

 

Nicolas Froment. Triptyque du buisson ardent, détail

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent, détail

La partie supérieure est consacrée au buisson ardent qui devient ici un imposant massif de chênes verts, de ronces, d’églantiers et d’aubépines sur lequel trônent la Vierge Marie et l’Enfant Jésus. Certains commentateurs indiquent que la présence de la Vierge correspond à une conception particulière de l’épisode du buisson ardent, celle de l’ordre des Victorins dont le siège était à l’abbaye Saint-Victor de Marseille. Le « buisson tout en feu » de la Bible n’apparaît donc pas ici, mais le peintre y place quelques flammes dans la partie supérieure. Une inscription latine figure sur le cadre, en dessous du tableau, pour expliciter le message :

« Rubrum quem viderat Moises incombustum conservatam agnovimus tuam laudabilem virginita-tem sancta Dei genitrix ».

Soit :

« Dans le buisson incombustible que Moïse avait vu, nous avons reconnu ta glorieuse virginité, sainte mère de Dieu ».

Le clergé de cette époque établissait couramment des relations entre Ancien et Nouveau Testament, le second étant privilégié par l’Église catholique. L’interprétation de ce buisson ardent en découle : la parole divine exprimée dans l’Ancien Testament renverrait également à la virginité de Marie. Placée sur le buisson, elle est traversée par le feu émanant de Dieu sans en être atteinte dans sa chair.

Si de telles mises en relation entre Moïse et la Vierge paraissent aujourd’hui des subterfuges d’une grande naïveté, elles étaient vues au 15e siècle comme des raffinements seulement accessibles aux lettrés. Le tableau comporte beaucoup d’autres éléments de symbolique religieuse d’inspiration médiévale, qui ne présentent plus d’intérêt que pour les historiens spécialisés.

Nicolas Froment a placé à l’arrière-plan un vaste paysage reconstitué comportant chemins sinueux, architectures lointaines et soleil levant. Le peintre s’inspire d’un  paysage provençal ou italien qui n’a évidemment aucun rapport avec celui que connaissaient les juifs du temps de Moïse. Il s’agit simplement de produire un effet de perspective.

La scène du Buisson ardent traitée par Nicolas Froment appartient encore au Moyen Âge par sa dimension sémantique. La symbolique religieuse de cette époque y est omniprésente. Son originalité provient du style. Formé par des peintres flamands dans sa jeunesse, Froment eut la chance de rencontrer le Roi René qui appréciait beaucoup leur style réaliste. Mais l’artiste ayant voyagé en Italie, il connaît également l’aspect idéalisant de la peinture des maîtres florentins. Aussi parvient-il à un savant compromis comportant des figures très flamandes et un arrière-plan paysager italianisant. L’élégante conjugaison de ces deux influences constitue l’originalité des peintres provençaux du 15e siècle que les spécialistes regroupent sous l’appellation d’École d’Avignon.

Le panneau central, comme les panneaux latéraux, sont peints sur une toile de lin recouverte de gesso (enduit à base de plâtre de de colle animale). Cette toile a été collée sur des planches de peuplier. Le peintre a utilisé la technique du glacis qui consiste à superposer plusieurs couches de peinture. Le glacis est un mélange ne comportant qu’une petite quantité de pigments de façon à conserver la transparence. Il est placé au pinceau ou à la brosse sur une couche déjà parfaitement sèche. Il produit un mélange purement optique avec les couches précédentes, générant un effet de profondeur et modifiant subtilement les couleurs. Un glacis jaune sur du bleu verdira délicatement le fond. Léonard de Vinci est célèbre pour son utilisation systématique du glacis : il pouvait en utiliser une vingtaine de couches.

Panneaux latéraux

 

Nicolas Froment. Triptyque du buisson ardent, volet gauche

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent, volet gauche

Le panneau de gauche représente le roi René à genoux, avec de gauche à droite, sainte Madeleine, saint Antoine et saint Maurice.

 

Nicolas Froment. Triptyque du buisson ardent, volet droit

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent, volet droit

Le panneau de droite représente Jeanne de Laval, seconde épouse du roi René, avec de gauche à droite, saint Jean, sainte Catherine et saint Nicolas. Aux pieds du saint, apparaissent les enfants que, selon la légende, il aurait ressuscités.

Triptyque en position fermée

 

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent, fermé (1476)

Nicolas Froment. Triptyque du Buisson ardent, fermé (1476)

Les retables étaient en général fermés. On ne les ouvrait qu’à l’occasion des fêtes religieuses ou, éventuellement, pour la durée des offices. La monumentalité de l’ensemble, les couleurs vives et le cadre doré donnaient de l’éclat à la cérémonie et en accentuait la dimension spirituelle.

En général le revers des panneaux latéraux était traité en grisaille, technique n’utilisant que des nuances d’une même couleur afin d’imiter une sculpture en pierre ou en marbre. Nicolas Froment a parfaitement simulé deux sculptures placées dans des niches de pierre. Il traite le thème de l’Annonciation : l’archange Gabriel (à gauche) annonce à la Vierge Marie (à droite) la naissance prochaine du Christ.

 

Quelques polyptyques du 15e siècle

Les diptyques, triptyques et polyptyques de grandes dimensions constituent une production courante au 15e siècle. Ils sont en général offerts par un aristocrate ou un membre du haut-clergé à une église, une abbaye, un ordre religieux, pour marquer la piété du donateur.

Flandre

Campin. Triptyque de Mérode (1425-30)

Robert Campin. Triptyque de Mérode (1425-30). Huile sur bois, 64,1 × 117,8 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Voici le moment précis (s'il existe !) où l'on quitte vraiment le monde enchanté du gothique international pour observer le quotidien de la bourgeoisie aisée de la Flandre du 15e siècle. Bien entendu, le prétexte religieux ne peut être évacué : les anges et les prières devront bien être là (thème de l’Annonciation au centre). Mais tout le décor est celui dans lequel vivait l'élite de l'époque. Le nom du triptyque provient de la famille Mérode (aristocratie belge) à laquelle il a longtemps appartenu.

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Van der Weyden. Triptyque de la crucifixion (v. 1445)

Rogier Van der Weyden. Triptyque de la crucifixion (v. 1445). Huile sur bois, 101 × 70 cm (centre), 101 × 35 cm (chaque aile), Kunsthistorisches Museum, Vienne. Volet gauche : Marie-Madeleine. Panneau central : le Christ en croix avec la Vierge Marie (en bleu) et saint Jean (en rouge). Les donateurs sont représentés priant au pied de la croix. Volet droit : Sainte Véronique.

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Memling. Triptyque du jugement dernier, ouvert (1467-71)

Hans Memling. Triptyque du jugement dernier, ouvert (1467-71). Huile sur bois, 221 × 161 cm (centre), 223,5 × 72,5 cm (chaque aile), Muzeum Narodowe, Gdansk. Selon les mythologies juive, chrétienne et musulmane, il s’agit du jour au cours duquel la divinité, après avoir ressuscité les morts, va classer les humains en damnés et justes. Les uns et les autres auront ensuite un sort distinct. Ce thème naïf, très populaire au Moyen Âge, permettait au peintre d’exercer sa créativité par de multiples scènes plus ou moins apocalyptiques. Sur le panneau central, le Christ et saint Michel trient les âmes des morts. Sur le volet de gauche, les élus montent au ciel, et sur celui de droite, les damnés chutent en enfer.

 

Italie

Lippi. Triptyque de la Vierge à l'enfant avec deux anges (1437)

Filippo Lippi. Triptyque de la Vierge à l'enfant avec deux anges (1437). Tempera sur bois, panneau central : 123 × 63 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Panneaux latéraux : 129 × 65 cm, Accademia Albertina di Belle Arti, Turin. Ce triptyque a probablement été commandé par un couvent ou un monastère. Les panneaux sont actuellement dispersés. Les volets latéraux représentent les quatre pères de l'Eglise chrétienne d'Occident : à gauche saint Augustin (354-430), évêque d'Hippone (Algérie) et Saint Ambroise (340-397), évêque de Milan, à droite Saint Grégoire (540-604) qui devint le pape Grégoire 1er et Saint Jérôme (347-420), moine traducteur de la Bible. Le panneau central est consacré à la Vierge avec l'enfant Jésus entourée de deux anges.

P. della F. Polyptyque de la Miséricorde (1445-50)

Piero della Francesca. Polyptyque de la Miséricorde (1445-50). Tempera sur bois, 330 × 273 cm, Pinacoteca Comunale, Sansepolcro. Ce polyptyque a été commandé par la Confraternité de la Miséricorde de Sansepolcro, la ville natale du peintre. Tout en haut une crucifixion et en dessous une Vierge de la Miséricorde entourée de personnages plus petits afin de marquer la hiérarchie. A droite de la Vierge, saint Sébastien et saint Jean-Baptiste. A sa gauche, saint André et saint Bernard. Les saints de petite dimension des parties latérales et la prédelle ont été réalisés plus tard par des collaborateurs de Piero della Francesca.

Andrea Mantegna. Polyptyque de San Zeno (1457-59)

Andrea Mantegna. Polyptyque de saint Zénon (1457-60). Tempera sur bois, 480 × 450 cm, basilique Saint Zénon, Vérone. Il constitue le retable de l'autel de la basilique Saint Zénon (San Zeno) de Vérone. Commandé par l'abbé Gregorio Correr à Mantegna, il fut peint dans l'atelier de Padoue puis transporté à Vérone. Il est actuellement démembré. Les trois panneaux de la prédelle sont des copies, les originaux se trouvant au musée du Louvre et au musée des Beaux-arts de Tour. Mantegna a voulu une unité architecturale qui apparaît nettement dans des trois panneaux supérieurs. Les quatre colonnes en bois semblent compléter les parties peintes.

 

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