Claude Lorrain. Le jugement de Pâris (1645-46)

 
 

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Patrick AULNAS

Né en Lorraine, Claude Gellée, dit Le Lorrain, passa l’essentiel de sa vie à Rome où ses tableaux connurent un immense succès. Poète du paysage, il doit se plier à la hiérarchie des genres de son époque qui place au sommet la peinture religieuse, mythologique ou historique. Aussi insère-t-il dans ses paysages une anecdote censée être le sujet du tableau. En réalité, c’est le paysage qui intéresse Claude Lorrain, mais les personnages permettent de l’animer et de l’investir d’une dimension narrative.

 

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris (1645-46)

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris (1645-46)
Huile sur toile, 112,3 × 149,5 cm, National Gallery of Art, Washington.
Image HD sur National Gallery of Art

Contexte historique

A l’époque où il peint Le jugement de Pâris, Claude Lorrain a environ 45 ans et il est un peintre célèbre, le maître du paysage classique. Il a reçu, dès les années 1630-40, des commandes prestigieuses venant de l’ambassadeur de France à Rome, du roi d’Espagne et même du pape. C’est en renouvelant l’art du paysage que l’artiste a séduit ces grands mécènes. Les influences flamande et italienne l’avaient placé à la confluence de deux grandes traditions paysagères. Il sut en extraire la quintessence pour aboutir à un paysage d’une pureté sans égale, dans lequel la lumière constitue l’élément essentiel. Ainsi prend naissance un paysage idéal par la stricte composition du tableau, mais fidèle à la nature dans ses détails, avec un rendu de la lumière solaire tout à fait inédit.

L’épisode mythologique du Jugement de Pâris

Claude Lorrain illustre l’épisode suivant de la mythologie grecque. Pâris, fils du roi de Troie Priam, gardait les troupeaux sur le mont Ida. Trois déesses apparaissent : Aphrodite, Héra et Athéna. Elles cherchent un juge, sur les conseils de Zeus, pour les départager dans un concours de beauté. Héra promet à Pâris la souveraineté sur l’Asie et l’Europe, Athéna, la gloire des guerriers, et Aphrodite la main de la plus belle des femmes. Ce fut à cette dernière que Pâris offrit la pomme d’or (la pomme de la discorde) qui devait revenir à la plus belle. Mais, jalouses de n'avoir point été choisies, Athéna et Héra témoignèrent à l’avenir, d'une haine farouche à l'égard du Troyen Pâris et protégèrent les Grecs.

Pâris devait remettre à la gagnante une pomme d’or, donnée par Éris, la déesse de la discorde. Cette pomme n’apparaît pas sur le tableau de Lorrain. L’expression pomme de la discorde reste utilisée aujourd’hui.

Entre mythologie et histoire, on considère souvent que le jugement de Pâris est à l’origine de la guerre de Troie, conflit légendaire rapporté dans L’Iliade, dont le caractère historique n’est pas établi.

Analyse de l’œuvre

Le tableau se caractérise par l’importance accordée aux figures. Claude Lorrain n’était pas réputé pour ses personnages, qui sont en général de très petites dimensions et d’une qualité picturale inférieure au paysage. Le jugement de Pâris place au contraire la scène mythologique au premier plan, avec des personnages particulièrement expressifs.

 

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

Il est possible d’utiliser les appellations grecques ou romaines des personnages, la National Gallery de Washington utilisant la seconde solution. Pâris le berger est assis sur un rocher, son troupeau paissant à proximité. Sa gestuelle évoque le choix auquel il est confronté. Peut-être n’a-t-il pas encore choisi, peut-être désigne-t-il Aphrodite ; cela reste assez indéterminé. Les trois déesses apparaissent avec leurs attributs : à gauche, Aphrodite (Vénus), déesse de l’amour, accompagnée de son fils Éros (Cupidon) ; au centre, habillée, Héra (Junon), déesse du ciel et de l’Olympe, avec son paon royal ; à droite, assise, Athéna (Minerve) déesse de la guerre, avec sa lance.

La nudité des déesses était une occasion courante depuis la Renaissance de représenter le corps de la femme, mais Claude Lorrain a voulu habiller Héra pour une raison purement esthétique. Les vêtements de la déesse, ainsi que celui de Pâris, permettent de placer sur la toile des couleurs pures et contrastantes, le rouge et le bleu. Ce léger contrepoint de couleurs vives constitue une constante de la peinture classique française. Aux yeux des artistes, et aux nôtres, il a une grande importance pour éviter un affadissement de la composition provenant de la retenue chromatique imposée par la doxa de l’époque.

Le paysage servant de cadre à la scène mythologique est construit en atelier en s’inspirant d’observations de la nature. La rigueur de la composition classique apparaît immédiatement. Verticalement, deux masses rocheuses à droite et à gauche, encadrent le groupe de figures et l’ouverture vers l’horizon. Le peintre utilise le clair-obscur en opposant la partie gauche ombragée à la partie droite illuminée par un ciel s’éclaircissant vers l’horizon. Horizontalement, la composition comporte plusieurs plans successifs : un premier plan avec les figures et le troupeau, un second plan correspondant à l’arbre majestueux situé derrière la scène mythologique, puis l’arrière-plan où apparaissent une rivière et le paysage lointain.

 

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

 

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

Verticalité et horizontalité se conjuguent aussi par les éléments aquatiques – la chute d’eau placée derrière les figures et le torrent en arrière-plan – qui apportent au paysage une dimension dynamique et sonore. Dans le paysage lointain, de minuscules voiles blanches se dessinent, donnant un certain aspect maritime au tableau. Claude Lorrain était considéré au 17e siècle comme le spécialiste du paysage maritime, par opposition à Nicolas Poussin qui s’intéressait au paysage terrestre.

 

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

Claude Lorrain. Le jugement de Pâris, détail (1645-46)

Comme toujours chez Claude Lorrain, la lumière irradie de la profondeur du tableau et enveloppe délicatement la scène mythologique. Le ciel bleu parsemé de nuages légers rougeoie à l’horizon, mais le soleil reste inapparent. Le moment de la journée n’est pas nettement perceptible, mais se situe tôt le matin ou le soir. La dimension intemporelle provient ainsi de la thématique mythologique qui traverse intacte les millénaires et de l’indétermination du moment. Comme tous les paysages classiques, celui-ci nous propose un voyage infiniment poétique dans le temps et l’espace.

Autres compositions sur le même thème

Le jugement de Pâris a inspiré les artistes de l’Antiquité au 20e siècle. Il subsiste des peintures sur céramique de la Grèce antique et des mosaïques de l’époque romaine. A la Renaissance, le thème est fréquemment traité du fait de son potentiel artistique et de l’infinité des variantes possibles : narration mythologique, gestuelle, nus féminins, paysage. Les peintres baroques, par exemple Rubens, l’utiliseront également au 17e siècle. Plus tard, le néoclassicisme le revisitera (Mengs), de même que certains impressionnistes (Renoir) et les fauves (Lhote).

Peintre de Witt. Amphore à figures noires (v. 560-550 avant J.-C.). Le jugement de Pâris

Peintre de Witt. Amphore à figures noires (v. 560-550 avant J.-C.). Le jugement de Pâris. Hauteur 40 cm, diamètre 29 cm, musée du Louvre, Paris.

Mosaïque d’Antioche sur l’Oronte. Le jugement de Pâris (115-150)

Mosaïque d’Antioche sur l’Oronte. Le jugement de Pâris (115-150). Marbre, calcaire et pâte de verre, 186 × 186 cm, musée du Louvre, Paris.

Mosaïque d’Antioche sur l’Oronte. Le jugement de Pâris (115-150), détail

Mosaïque d’Antioche sur l’Oronte. Le jugement de Pâris (115-150), détail.

Cranach l'Ancien. Le jugement de Pâris (1527)

Cranach l'Ancien. Le jugement de Pâris (1513). Huile et tempera sur bois, 43 × 32 cm, Kimbell Art Museum, Fort Worth.

Pierre Paul Rubens. Le jugement de Pâris (1632-35)

Pierre Paul Rubens. Le jugement de Pâris (1632-35). Huile sur toile, 144,8 × 193,7 cm, National Gallery, Londres.

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Raphaël Mengs. Le Jugement de Pâris (1757)

Raphaël Mengs. Le jugement de Pâris (1757). Huile sur toile, 226 × 296 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.

André Lhote. Le jugement de Pâris (1912)

André Lhote. Le jugement de Pâris (1912). Huile sur toile, 180 × 180 cm, musée de Valence.

Auguste Renoir. Le jugement de Pâris (1913-14)

Auguste Renoir. Le jugement de Pâris (1913-14). Huile sur toile, 73 × 92,5 cm, Hiroshima Museum of Art.

 

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