Albrecht Dürer. L'Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489)

 
 

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Patrick AULNAS

Albrecht Dürer (1471-1528) savait tout faire dans le domaine des arts graphiques : huiles, aquarelles, gouaches, gravures. Son œuvre comporte une rare diversité. S’il se rendit célèbre dans toute l’Europe par la qualité de ses gravures, technique permettant à l’époque de reproduire un dessin en de nombreux exemplaires, ses paysages à l’aquarelle restent dans l’histoire de l’art comme les premières tentatives de reproduire avec exactitude un lieu réel.

 

Albrecht Dürer. L'Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489)

Albrecht Dürer. L'Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489)
Aquarelle sur papier, 29 × 42 cm, musée de l'Hermitage, Saint-Pétersbourg.
Image HD sur WIKIPÉDIA

 

Les paysages à l’aquarelle de Dürer

Albrecht Dürer réalise dès la fin du 15e siècle des peintures de paysages en se proposant de représenter avec exactitude le lieu observé. En cela, il est un grand innovateur car il faudra encore plusieurs siècles pour que des artistes se fixent un tel objectif. Mais les paysages de Dürer sont des aquarelles de petites dimensions et non des compositions complexes à l'huile. Comme pour ses remarquables dessins d'animaux ou de plantes, Dürer ne voyait dans ces travaux à la gouache ou à l’aquarelle que des croquis préparatoires pouvant lui servir lors de la réalisation d'un tableau selon les normes de l'époque, c'est-à-dire ayant nécessairement un sujet religieux. Il l'affirme d'ailleurs dans un des traités de peinture qu'il rédige et qui se propose de donner des conseils aux jeunes peintres : « Car l'art de peindre a été employé au service de l'Église et il montre aussi les souffrances du Christ. Il sert aussi à conserver l'apparence des hommes après leur mort. » (*)

Au demeurant, peu importe aujourd'hui quelles étaient les intentions du peintre. Il a créé ainsi les premiers paysages revendiqués comme tels et élève l'art de l'aquarelle à « une force d'expression insoupçonnée » (*)

(*) Nils Büttner, L'art des paysages, Éditions Citadelles et Mazenod.

 

Analyse de L'Église Saint-Jean à Nuremberg d’Albrecht Dürer

Cette aquarelle est souvent qualifiée de premier paysage de l’histoire de l’art occidental. La peinture de paysage n’existait pas en tant que telle au 15e siècle. Pour les peintres de l’époque, le paysage servait d’arrière-plan à une scène religieuse (par exemple dans La Nativité de Robert Campin vers 1420-25) ou à un portrait (par exemple chez Piero della Francesca, Le triomphe de la chasteté, 1465-66). La démarche de Dürer consistant à reproduire en petit format un paysage réel constitue donc une innovation, même si l’ambition du peintre était de réaliser un travail préparatoire à une œuvre future.

 

Albrecht Dürer. L'église Saint-Jean, détail

Albrecht Dürer. L'église Saint-Jean, détail

En 1489, Albrecht Dürer a 18 ans et vient de terminer un apprentissage de  trois ans, à Nuremberg, dans l'atelier du peintre Michael Wolgemut (1434-1519). Il y a appris toutes les techniques des arts graphiques, y compris l’aquarelle. L’église Saint-Jean, située à l’ouest de la ville, est pour lui un endroit familier et il s’exerce à esquisser sur le papier sa vision du lieu. Il faut bien comprendre que les peintres et graveurs de cette époque étaient considérés comme des artisans et non comme les créateurs d’une œuvre originale ayant une dimension sémantique. Le jeune Dürer n’a aucune ambition artistique en peignant l’église Saint-Jean mais recherche l’exactitude topographique. Il en résulte une composition descriptive et même presque énumérative. Le peintre essaie de placer sur le papier les éléments figurant dans la réalité mais ne cherche pas une interprétation artistique qui le conduirait à faire des choix de composition. Après l’église, à droite, apparaît une succession de maisons à colombages délimitant l’espace herbeux du premier plan. Le paysage de collines de l’arrière-plan est seulement ébauché avec un ciel immense couvrant la moitié de la surface. Le jeune homme ne maîtrise pas encore la perspective : les bâtiments de gauche semblent plonger maladroitement vers l’extérieur du tableau car aucune ligne de fuite n’a été définie.

 

AAlbrecht Dürer. Les maisons à colombages, détail

Albrecht Dürer. Les maisons à colombages, détail

Ces maladresses techniques n’occultent pas le potentiel artistique latent qui se dégage de la composition. Dürer a intuitivement choisi de représenter son paysage depuis une hauteur afin de produire un effet panoramique accentué par la vision en plongée. Il place la ligne d’horizon exactement à mi-hauteur de façon à créer cet effet spatial avec un ciel d’été vaste et uniforme. Ce faisant, il oppose le premier plan sombre à l’arrière-plan lumineux, les bâtiments servant de transition entre les deux espaces.

Outre le document topographique, cette aquarelle a la fraîcheur des premières œuvres. Elle touche autant le spectateur par ses choix spontanés de composition que par ses défauts, nous contant ainsi les ambitions et les incertitudes de jeunesse d’un des plus grands artistes de l’histoire.

 

Titre et monogramme

Titre et monogramme

Le tableau porte une inscription dans la partie supérieure : le titre et le monogramme de Dürer. Ces inscriptions sont probablement apocryphes. Quant à la date de réalisation, elle reste également incertaine et peut se situer au plus tôt à l’été 1489, au plus tard à l’été 1494. Albrecht Dürer fut inhumé dans le cimetière jouxtant l’église Saint-Jean en 1528. Ce cimetière existe toujours et l’on peut y voir une plaque à la place où fut enterré le peintre :

 

Cimetière Saint-Jean à Nuremberg. Plaque Albrecht Dürer

Plaque commémorative Albrecht Dürer

Quelques autres paysages de Dürer

Dürer a réalisé environ une centaine de gouaches et aquarelles : paysages, plantes, animaux. Elles lui permettent de mettre en œuvre son don d’observation de la nature et ses qualités exceptionnelles de dessinateur. Ces travaux n’étant pas destinés à des commanditaires, Dürer peut laisser libre cours à ses goûts et à sa créativité. Ce corpus pictural reste ainsi étonnamment proche de notre sensibilité alors que les chefs-d’œuvre réalisés sur commande s’inscrivent dans la peinture religieuse de l’époque.


Albrecht Dürer. Vue de Trente (1494)Albrecht Dürer. Vue de Trente (1494). Aquarelle et gouache sur parchemin, 23,8 × 35,6 cm, Kunsthalle, Brême. Peinte au cours du premier séjour de Dürer en Italie en 1494-95, la ville de Trente (Trento en italien) est située sur les rives de l'Adige.


Albrecht Dürer. Le moulin à tréfiler (v. 1489-94)Albrecht Dürer. Le moulin à tréfiler (v. 1489-94). Aquarelle sur papier, 28,6 × 42,6 cm, Staatliche Museen, Berlin. La ville de Nuremberg était réputée pour son activité de production de fils métalliques. Les machines à tréfiler utilisaient l'énergie hydraulique. Sur cette vue topographique des environs de la ville, Dürer détaille remarquablement les constructions situées sur les bords de la Pegnitz et le paysage environnant. Un ou plusieurs moulins à eau abrités dans ces bâtiments actionnaient les machines à tréfiler.


Albrecht Dürer. Vue du val d’Arco (1495)Albrecht Dürer. Vue du val d'Arco (1495). Aquarelle et encre brune sur papier, 22,3 × 22,3 cm, musée du Louvre, Paris. Pendant son retour de Venise, Dürer s'est arrêté assez longtemps dans la place forte vénitienne d'Arco, non loin du lac Majeur. Ce paysage représente la colline sur laquelle est construite la place forte, dont on aperçoit nettement les murailles. L'artiste n'a pas traité l'arrière-plan montagneux qui se situe derrière la colline, mais a laissé le fond non travaillé du papier. L'une des caractéristiques de cette aquarelle est un visage de vieillard plus ou moins distinct, caché dans la roche de la falaise abrupte de gauche.


Albrecht Dürer. Étang dans les bois (v. 1496)Albrecht Dürer. Étang dans les bois (v. 1496). Aquarelle et gouache sur papier, 26,2 × 37,4 cm, British Museum, Londres. Il s'agit probablement d'un paysage des environs de Nuremberg. L'artiste propose une puissante représentation de la nature vierge avec le ciel du crépuscule qui inonde encore de lumière l'étang et la végétation. L'agencement des couleurs constitue une réussite exceptionnelle.


 

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