Une menace pour la démocratie : l’anonymat sur Internet
16/11/2025
Patrick AULNAS
Pour ceux qui ont connu cette époque, il suffit de se reporter un demi-siècle en arrière pour prendre conscience de la libération de la parole sur internet. Seuls les journalistes, les politiciens et syndicalistes connus et quelques plumes célèbres du monde de la culture pouvaient alors s’exprimer dans les médias. Ceux-ci comportaient la presse écrite, la radio et la télévision publique. La parole publique était donc réservée à un nombre très limité de personnes, en général cultivées et disposant d’une capacité de réflexion personnelle suffisante pour ne pas sombrer dans l’outrance.
Toute personne peut aujourd’hui s’exprimer sur internet, ce site en fournit l’exemple. Voilà incontestablement un progrès majeur de la démocratie, une avancée à base technologique de la liberté d’expression. Où se situe alors le problème ? Pourquoi la violence verbale la plus ordurière, les images les plus sordides, le harcèlement, la propagation de la haine et des mensonges sont-ils possibles ? La réponse est toute simple et chacun la connaît : l’anonymat.
Anonymat et pseudonymat
Il est tout à fait légitime dans une démocratie de s’exprimer en utilisant un pseudonyme afin de dissocier la vie privée de l’expression publique. L’auteur de ces lignes en utilise un. Mais l’anonymat, l’impossibilité de retrouver la personne qui injurie, ment, incite à la haine et à la violence, devrait être interdit et technologiquement impossible.
L’idée selon laquelle l’interdiction de l’anonymat serait une menace pour la démocratie et la liberté d’expression est évidemment une absurdité. Plus exactement, ceux qui défendent cette idée avancent masqués. Ce sont des porte-paroles des réseaux sociaux (Facebook, Intagram, X, TikTok et compagnie). Ces réseaux avaient pour projet initial de faciliter la communication en permettant à chacun de diffuser de l’information. Ils ont dérivé vers le complotisme, la délinquance et la manipulation géopolitique. En étant accessibles à des diffuseurs anonymes, ils sont aujourd’hui une menace pour la démocratie.
Au demeurant, il est tout à fait impossible de prétendre que l’interdiction de l’anonymat est incompatible avec la démocratie puisqu’il était pratiquement impossible de publier anonymement avant l’émergence de l’informatique grand public. L’éditeur d’un livre, la direction d’un journal, le responsable d’une chaîne de radio ou de télévision exigeaient l’identité de l’intervenant s’il utilisait un pseudonyme. Y avait-il une démocratie en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni en 1970 ? Incontestablement. Seuls les libelles d’anarchistes ou de fascistes distribués homéopathiquement conservaient l’anonymat. Mais qui les lisait ? Presque personne.
La pression de la foule anonyme sur les élus
Les élus tiennent le plus grand compte des réseaux sociaux. Ils en arrivent à modeler leur parole en fonction de son audience sur ces réseaux. Le nombre de personnes abonnées au compte du politicien sur tel ou tel réseau est devenu un élément clé de sa popularité. Il s’ensuit une montée en flèche de la démagogie. Le populisme, recherche d’une adhésion de la foule par tout moyen, en découle.
La foule, libérant ses pulsions agressives sur internet dans l’anonymat le plus complet, n’est pas le peuple s’exprimant dans les urnes après une campagne électorale où chaque tendance a pu s’exprimer. Ce formalisme démocratique cherche à introduire une certaine rationalité dans la désignation des gouvernants. Il n’y parvient que partiellement et la manipulation des émotions est un grand classique du savoir-faire politicien. Mais la distance reste grande entre les discours des campagnes électorales suivies du vote à bulletin secret et les vociférations sur les réseaux sociaux.
La foule n’est pas le peuple. La foule est manipulée par des leaders, dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Elle n’est qu’un instrument au service d’une cause inavouée. Tout relève de la manipulation des affects dans les phénomènes de foule, qu’il s’agisse de l’admiration béate d’un leader ou de la haine vouée aux adversaires. La foule permet d’évacuer l’encombrante rationalité et donc l’intelligence. Elle fait régresser l’individu à l’état animal, aux prises avec ses instincts.
Les réseaux sociaux permettent à la foule d’exister virtuellement, sans rencontre physique entre les individus qui la compose. Cette évolution majeure a une influence sur les prises de position des élus et sur les élections. Le lien entre le comportement irresponsable des députés français votant des mesures budgétaires démagogiques à l’automne 2025 et les réseaux sociaux est assez clairement établi. Nos députés s’imaginent qu’ils collent à l’opinion publique en tenant compte de l’expression rudimentaire qui apparaît sur ces réseaux. En réalité, ils sont victimes de phénomènes de foule et de ceux qui les instrumentalisent. Ils confondent le peuple et la foule.
Le niveau culturel de certains députés étant ce qu’il est, sont-ils capables de faire la part de choses ? Sont-ils capables de dissocier la rumeur anonyme du troupeau et l’intérêt général du pays qu’ils gouvernent. Visiblement, la réponse est non.
Publié sur Contrepoints le 23/11/2025
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