Retraites : la folie médiatique
20/03/2023
Patrick AULNAS
La politique permet de raconter n’importe quoi. Les leaders ne s’en privent pas, les journalistes non plus. Il s’agit de jouer avec les émotions pour susciter des réactions d’admiration béate ou de rejet, voire de haine. La très modeste réforme des retraites de 2023 le prouve à nouveau de façon presque caricaturale. L’opinion, manipulée depuis des décennies, a encore été flouée. Si du moins on s’en tient aux réalités démographiques et économiques. Et seules les réalités comptent sur le très long terme, le verbiage politicien est inopérant.
Le cynique Mitterrand
Commençons par le commencement. François Mitterrand avait promis de ramener l’âge de la retraite à 60 ans afin de drainer un électorat suffisant pour conquérir le pouvoir. Ce politicien cynique s’est toujours trompé sur tout. Il ne croyait pas à la chute du communisme en URSS, il ne croyait sans doute pas non plus à la démographie. Pourtant, l’espérance de vie à la naissance était d’environ 45 ans en 1900 et avait dépassé 70 ans en 1981. Tout le monde le savait et tout le monde savait également qu’elle continuait à augmenter.
Il était absurde dans ces conditions d’abaisser l’âge de la retraite, d’autant que la croissance économique avait chuté depuis le milieu des années 1970 et que le financement posait d’énormes problèmes. Aucun pays n’a donc diminué l’âge de départ à la retraite à cette époque, sauf la France où le narratif politique ne tenait aucun compte des constats objectifs.
Se grave alors dans l’esprit des français l’idée que la retraite à 60 ans est un « acquis social », selon le vocabulaire des syndicats. Pour la gauche dans son ensemble, un véritable tabou prend naissance. Toutes les adaptations au réel du système de retraite seront faites par la droite et il faudra attendre la réforme Touraine de 2014 pour que la gauche ose faire un petit pas. Mais François Hollande ne sera pas réélu en 2016.
La France médiatique est hors du réel
La fuite hors du réel par le discours politique s’est donc poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Une majorité de français croit encore, plus de quarante ans plus tard, qu’il est possible de respecter peu ou prou l’absurde réforme de Mitterrand. Le Rassemblement national lui-même réclame à cor et à cri le retour aux 60 ans. C’est tout dire. De l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par les socialistes, les écologistes et une partie des Républicains, la classe politique se range derrière la foule vociférante. La majorité elle-même se permet d’avoir des hésitations et quelques députés macronistes votent contre la réforme de 2023 ou s’abstiennent.
Nos députés sont des pantins sans structure intellectuelle et sans conviction forte. Ils suivent leurs électeurs. Peu importe que ceux-ci se fourvoient, personne n’ose le leur dire. Il s’agit de sauver son poste à la prochaine élection. Le comportement honteux du député LR Aurélien Pradié fut le plus emblématique à cet égard.
Les médias ne sont pas en reste. Il n’est question que des manifestants et des violences urbaines. 80% du pays n’est pas concerné par cette agitation. Là où je vis, le calme règne et a toujours régné. Mais la France médiatique se réduit presque à cette détestable ville qui s’appelle Paris. Si Paris s’agite, c’est la France qui est en ébullition. Eh bien non ! La France est très calme dans son ensemble et tous ceux, fort nombreux, qui travaillent dans des petites entreprises n’ont pas fait grève et n’ont jamais manifesté. Les excités viennent surtout du secteur public ou parapublic.
Pourtant, Le Monde titre sur cinq colonnes le 18 mars : « Le recours au 49-3 accentue la crise politique ». Le Figaro s’y met également : « La France sous tension ; la majorité dans la tourmente ». Les chaînes d’information en continu consacrent leurs soirées à l’agitation urbaine. Les images de saccages sont vendeuses. Il faut signaler la remarquable exception de LCI, qui depuis le 24 février 2022 réserve toutes ses soirées à la guerre en Ukraine. Bravo LCI.
La France politique est donc à peu près réduite par les médias à quelques dizaines de milliers de zozos qui brandissent des pancartes et hurlent des slogans éculés. Il y a 48 millions d’électeurs en France qui se sont exprimés à quatre reprises en 2022, ou pouvaient le faire. C’est cela la démocratie.
Le roman pour midinettes des politiques
Politiciens et médias vivent dans la pure représentation. On pense aux peintres baroques du 17e siècle, qui accentuaient sur la toile la gestuelle, les mimiques et les couleurs pour hypertrophier les émotions de leur public. Il n’y a pas de crise politique et il est fort probable qu’Élisabeth Borne ne démissionnera pas. Il n’y a pas de tourmente, sauf dans les esprits de quelques milliers de manifestants et de quelques centaines de journalistes. Tout se passe normalement dans la réalité du monde. Mais tout est bouleversé dans sa représentation médiatique.
Quelle foutaise la politique ! Toute personne sensée, même sans être bien informée du problème des retraites, sent parfaitement qu’il faudra travailler un peu plus longtemps si on vit beaucoup plus longtemps. Ces personnes sensées constituent l’écrasante majorité mais elles n’ont jamais la parole. Le déclaratif des sondages d’opinion, les fameux 70 ou 80% de français opposés à la réforme, ne joue pas. On peut parfaitement se déclarer contre la réforme et avoir conscience de sa nécessité. Les émotions peuvent contredire la raison.
Mais la manipulation des émotions par la communication, aujourd’hui toute puissante, semble devenir l’essentiel. Le politique doit savoir « communiquer », c’est-à-dire produire une représentation de lui-même en adéquation avec ses ambitions. C’est ainsi que le monde politique s’éloigne de la réalité et se réfugie dans le roman pour midinettes qu’il s’est construit.
Publié sur Contrepoints le 21/03/2023
Commentaires
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- 1. DREVON Pierre Henri Le 03/04/2023
"La politique permet de raconter n’importe quoi"...
On peut même dire que faire de la politique, c'est être capable de raconter n'importe quoi, sur n'importe quel sujet, sans rien y connaître, mais... de le faire BIEN !
Et la foule applaudit.
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