Politique française : la fracture

06/12/2023

Patrick AULNAS

Le meurtre de Thomas à Crépol a fait apparaître comme jamais le profond clivage entre l’opinion publique majoritaire et les dirigeants politiques. L’alignement des médias dominants, en particulier ceux du service public, sur le déni politicien, traduit leur incompréhension de la situation ou leur asservissement au pouvoir. Pour tous ceux qui vivent dans la « France profonde », la perception du fossé, devenu gouffre béant, séparant gouvernants et gouvernés, est ancienne mais devient aujourd’hui alarmante.

 

La bien-pensance persiste dans le déni

On aura en effet tout entendu après ce meurtre odieux et particulièrement significatif. Un épisode de « la guerre des boutons » selon Pablo Pillaud-Vivien (BFMTV), « un fait divers banal » selon Isabelle Veyrat-Masson (Arte), des assaillants « venus pour s’amuser et draguer des filles » selon Patrick Cohen (France 5). Face à un meurtre révélant le face à face belliqueux de deux France par le passage à l’acte de jeunes issus de l’immigration et vivant dans la marginalité, les intervenants de gauche ne songent qu’à nier l’évidence. Pitoyable.

La France entière a été profondément émue et révoltée, mais les missi dominici de la bien-pensance n’y voient que la banalité de la vie quotidienne. Ils « communiquent ». Ce verbe si galvaudé a malgré tout un sens profond. Il existe désormais deux mondes : celui de la réalité vécue dans lequel se trouvent 90% des Français et celui de la communication médiatique qui concerne les politiciens, les journalistes, les animateurs et les invités habituels des émissions d’actualité. Une petite couche totalement irréelle de « communication » recouvre une réalité infiniment complexe et prétend la représenter. Le monopole du verbe n’induisant ni la connaissance ni la clairvoyance, ces gens-là ne comprennent pas grand-chose au pays dans lequel ils vivent.

Pourquoi ?

 

Les décideurs parisiens

Explication la plus évidente : ils vivent à des années-lumière de leurs concitoyens. Parisiens en général, très aisés financièrement presque toujours, voyageant beaucoup et côtoyant des personnes venues des quatre coins du monde, leur vie ne ressemble en rien à celle du français moyen. Celui-ci est provincial, ne voudrait pour rien au monde vivre à Paris, a des revenus modestes ou moyens et voyage peu et pas très loin. Deux modes de vie radicalement différents entraînent deux perceptions incompatibles de la société.

Deuxième élément : ce sont des décideurs ou des relais des décideurs. Les décisions politiques sont aujourd’hui complexes et reposent sur des analyses multifactorielles qu’il est impossible d’aborder dans une interview de quelques minutes ou même dans une émission d’une heure. Il faudrait une formation longue pour maîtriser les tenants et aboutissants de la plupart des sujets. D’où la communication.

De mauvais comédiens expliquent donc aux français, comme on s’adresse aux enfants de la maternelle, les rudiments de l’économie, du droit constitutionnel, de la géopolitique, etc. Exercice particulièrement ambitieux qui a toutes les chances de se solder par un échec. Le français moyen saisit intuitivement qu’on le prend pour un imbécile, qu’on lui cache bien des choses réservées aux décideurs. Les communicants ont surtout réussi à transformer les politiques en professionnels de l’hypocrisie. Où sont Churchill, de Gaulle, qui ressentaient profondément ce qu’ils disaient car ils l’écrivaient eux-mêmes ? Nos politiciens et nos journalistes de l’audiovisuel sont des comédiens pas très doués, prisonniers d’un scénario élaboré par d’autres.

 

L’héritage calamiteux

Troisième cause de la fracture : le passé. Il faut désormais assumer les erreurs massives du demi-siècle écoulé et en particulier deux dérives majeures :

-  L’immigration totalement incontrôlée avec régularisation de clandestins, regroupement familial de plus en plus large et instrumentalisation systématique de vieilles conventions internationales sur le droit d’asile. Ces conventions ne correspondent plus du tout aux réalités actuelles mais sont utilisées par les gouvernants comme justification de leur inefficacité.

-   La fuite vers une dette publique abyssale pour ne pas faire face politiquement à la fin de la période exceptionnelle de forte croissance des trente années d’après-guerre.

Il s’agit donc de gérer l’héritage calamiteux de François Mitterrand, allégrement poursuivi par ses successeurs. Pas facile ! Le mensonge et le cynisme d’antan conduisent au désespoir et à la violence d’aujourd’hui.

 

Le clientélisme électoral

Enfin, cerise sur le gâteau, la politique politicienne fait intervenir un dernier élément : le clientélisme électoral. Logiquement, les électeurs se sont progressivement détournés des partis traditionnels de gouvernement (social-démocratie et droite modérée) puisque leurs leaders s’étaient eux-mêmes éloignés d’eux. Les extrêmes ont conquis le corps électoral. Une recette très simple a été utilisée : le populisme, qui consiste à dire aux électeurs cibles ce qu’ils veulent entendre. La France insoumise convoite l’électorat d’origine immigrée et adapte son logiciel en conséquence. Le Rassemblement national rassemble, comme son nom l’indique, tous les déçus, toutes les victimes des tromperies politiciennes des décennies antérieures. L’absence de politique migratoire, l’abandon de la classe ouvrière par la gauche lui ouvrent un boulevard vers la conquête du pouvoir.

LFI joue, avec une violence verbale et comportementale de mauvais aloi, la carte du communautarisme, du wokisme et de l’écologisme radical. Le RN, en choisissant l’image de la sérénité et de la respectabilité, part à la conquête des oubliés de l’histoire récente, attachés à la nation, à la culture européenne, aux frontières, à l’autorité de l’État.

Deux France totalement incompatibles, représentées par deux partis aux antipodes l’un de l’autre s’affrontent. Entre les deux, l’espoir s’évanouit peu à peu.

Publié sur Contrepoints le 07/12/2023

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