Les grandes illusions des français

02/02/2023

Patrick AULNAS

Entretenir les français dans l’illusion. C’est aujourd’hui toute la gauche politique et syndicale qui utilise ce moyen pour manipuler l’opinion publique. Les derniers sondages indiquent que plus de 70% des français s’opposent à la réforme des retraites. Cet indicateur confirme une évolution d’un demi-siècle de refus du réel et de surestimation des capacités de la politique. Les illusions des français sont de trois ordres : politique, économique, historique.

 

L’addiction à la politique

Pour les militants de gauche, « tout est politique ». Ceux qui prétendent « ne pas faire de politique » sont immédiatement considérés comme « de droite ». Droite et gauche, conservateurs et progressistes, voilà les critères essentiels de l’univers de la gauche, comme si l’humanité se résumait au politique. Cette survalorisation du collectif, du pouvoir et du conflit par rapport à l’individuel, à l’échange et au consensuel caractérise toute la gauche mais s’accentue fortement à l’extrême, qui instrumentalise la radicalité pour instaurer une lutte permanente.  

Concrètement, il s’agit de laisser entendre que la politique a la capacité de changer la société et qu’il suffit de lutter pour obtenir. Lutter contre qui ? Contre ceux qui gouvernent ou qui dominent : les gouvernants et les dirigeants d’entreprise principalement. Cela ne fonctionne pas, bien évidemment, puisqu’une structure n’est pas réductible à des individualités et qu’elle se caractérise par la permanence. Changer le monde, c’est une affaire de très long terme. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », disait La Fontaine. La gauche l’oublie volontiers pour mobiliser ses troupes. Au risque de mentir.

L’exemple le plus emblématique de l’impuissance politique au cours de ces cinquante dernières années concerne le chômage. Mitterrand de 1981 à 1995, Jospin de 1997 à 2002, Hollande de 2012 à 2017 ont fait du recul du chômage un élément essentiel de leurs promesses politiques. Mais ils ont échoué à le faire reculer. Jusqu’à 1979, le taux de chômage se situait au-dessous de 5% de la population active. A la fin du règne mitterrandien en 1995, il était à plus de 10%. Il atteignait encore 8% en 2002, au moment de la défaite présidentielle de Jospin. Pendant le quinquennat de Hollande, il reste constamment autour de 10%. Il est aujourd’hui à 7%, première éclaircie véritable depuis 1979.

Les mensonges de la gauche dans ce domaine n’ont visiblement pas eu d’effet. L’addiction des français à la politique est trop forte. Ils en sont gravement dépendants.

 

L’illusion égalitariste

Après la politique, tournons-nous vers l’économie. Le dernier degré de la démagogie a été atteint ces derniers mois en France avec ce thème dominant : « Les riches doivent payer ». De multiples débats médiatiques ont eu lieu pour déterminer si les grandes fortunes pourraient financer. Quelles grandes fortunes ? Financer quoi ? Les réponses deviennent floues. On cite évidemment Bernard Arnault, président du groupe LVMH. Très original. Quant aux besoins de financement, tout y passe : la transition énergétique, la dépendance des personnes âgées, l’hôpital, etc.

Il est assez pédagogique de présenter au grand public la propension égalitariste par une caricature simpliste : prendre quelques milliards aux grandes fortunes permettrait de payer telle ou telle dépense. Mais en s’arrêtant là, le sujet n’est même pas abordé. Certains vont plus loin dans la médiocrité et considèrent que la richesse est immorale. C’est le cas de Manuel Bompard, dirigeant de LFI. Si la richesse est immorale, pourquoi ne suit-il pas d’illustres exemples de pauvreté altruiste : Vincent de Paul, l’abbé Pierre, mère Teresa, Gandhi ? Pourquoi aspire-t-il au pouvoir qui entraîne richesse ou au moins aisance financière ?

Thomas Piketty lui-même, à la fin de son livre, Le capital au XXIe siècle, précise que seul un impôt mondial à taux élevé sur le capital permettrait de limiter l’accumulation capitalistique. Un impôt national entraînerait seulement une fuite des capitaux et un appauvrissement. D’une manière plus générale, il semble clair qu’une orientation égalitariste par la contrainte normative est très désincitative. Elle décourage les initiatives et fait fuir les créatifs.

La France de gauche reste pourtant furieusement attachée à la marche vers l’égalité économique. Elle est totalement obsédée par l’argent de ceux qui en gagnent. Son unique horizon : leur en prendre un maximum pour s’arroger les bénéfices politiques de la redistribution. Quel beau programme !

 

Le dieu État

L’État a joué un rôle majeur en France pour configurer la nation. De Saint Louis à Charles de Gaulle, en passant par Louis XIV et Napoléon, les figures magnifiant la puissance publique ne manquent pas. Une solide administration a été mise en place progressivement, qui tient aujourd’hui le pays face à l’inconsistance de nombreux politiciens. L’avènement du socialisme au 20e siècle a conduit à renforcer considérablement la dimension économique et sociale de cette administration et à instiller dans les esprits l’idée de toute-puissance économique de l’État.

Pour beaucoup de nos concitoyens, la distinction entre État et société devient floue. La société est perçue comme la matière première qu’une énorme machine étatique doit transformer en produit fini. D’où la réglementation pathologiquement minutieuse de chaque acte de la vie sociale. Vendre, louer, contracter, créer une entreprise ou une association, prêter, donner, léguer supposent le contrôle tatillon du Big Brother étatique, des cerfa par milliers. Et les français en redemandent. Ils voient des « vides juridiques » partout et exigent qu’ils soient comblés au plus vite. Les politiciens relaient leurs demandes et la technocratie publique élabore un filet réglementaire aux mailles de plus en plus serrées. Les français n’ont aucune conscience du fait que le fameux vide juridique représente leur liberté contractuelle. Celle-ci s’amenuise sous la chape de plomb normative.

 

Se réveiller !

Dans un tel contexte, l’inconscience absolue des opposants à toute réforme du système de retraites ne doit pas surprendre. Les dirigeants syndicaux et politiques ne font qu’exploiter un terrain fertile. La plupart des manifestants et grévistes n’ont aucune idée des évolutions démographiques en cours et d’un vieillissement de la population mondiale qui n’a aucun précédent historique depuis que le monde est monde. La toute petite réforme des retraites en cours en 2023 ne sera donc pas la dernière car sa modestie ne permettra pas de faire face à la réalité sociale de 2050. Les grandes illusions des français, si précieuses pour la gauche, devront se dissiper. Le réveil sera difficile.

Publié sur Contrepoints le 02/02/2023

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