Dette publique : les cigales et les fourmis

23/08/2023

Patrick AULNAS

L’accumulation d’une dette publique massive par les États n’est pas une nouveauté. Les gouvernants ont toujours eu une propension à dépenser plus que les recettes fiscales ne le permettaient. Les guerres pouvaient historiquement provoquer un endettement très lourd. Aujourd’hui, ce sont des pays riches, en paix et principalement démocratiques qui croulent sous les dettes. Pourquoi ?

 

La démagogie redistributive

La Banque mondiale donne la liste des dettes publiques de la plupart des pays du monde. Pour 2021, 16 pays ont une dette supérieure à 100% du PIB dont 7 pays riches et démocratiques, à savoir : Belgique (109,2%), Espagne (135,8%), États-Unis (120,4%), France (116,5%), Grèce (237,1%), Japon (217,6%), Royaume-Uni (186,5%).

Les regroupements statistiques de la Banque mondiale indiquent clairement que ce sont les pays riches qui s’endettent le plus. Ainsi, la dette publique de l’Amérique du Nord est de 115,6% du PIB et celle de l’Amérique latine de 70,3%. L’Asie du Sud se situe à 46,6%, mais l’OCDE à 122,3%. Les « pays à revenu élevé » ont une dette publique de 127,8%.

On ne prête qu’aux riches. Il est donc possible d’expliquer l’endettement des riches par la garantie de remboursement qu’ils offrent. Mais le comportement démagogique des politiciens des pays riches ne peut pas être exclu. Les élections sont devenues des concours de promesses coûteuses. Depuis que l’interventionnisme public dans les domaines économique et social est la règle, il est impossible pour un politicien de résister à la surenchère dépensière. L’extrême-droite elle-même est devenue « sociale ». L’adjectif a désormais une acception financière : arroser sa clientèle électorale par la dépense publique. Le « social » s’aligne sur l’intérêt des partis.

 

La procédure de vote du budget de l’État : d’abord les dépenses

Le processus législatif de vote du budget de l’État conduit aussi à creuser les déficits. Dans la plupart des États, on vote d’abord les dépenses, ensuite les recettes. Lorsque l’habitude du déficit est prise, on ne trouve à peu près personne parmi les élus des assemblées législatives pour prôner l’équilibre. On le comprend aisément. Augmenter les impôts pour les placer au niveau des dépenses conduirait à une révolution. Diminuer les dépenses pour les ramener au  niveau des impôts perçus aboutirait à des révocations massives de fonctionnaires et à des coupes douloureuses dans les dépenses sociales. Personne ne veut s’y risquer.

D’où le déficit financé par l’emprunt. D’où, depuis le milieu des années 1970 des budgets toujours déficitaires en France. Le déficit étant financé par l’emprunt, la dette publique s’accumule.

 

La dette « roule », mais jusqu’à quand ?

Certes, la dette publique augmente depuis des décennies. Mais en réalité, elle « roule ». Cela signifie que le capital emprunté, par exemple cinq ans auparavant, est remboursé en empruntant à nouveau. Ce qui importe, tant que le pays a la confiance des prêteurs, c’est la charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts à payer. Le niveau des taux d’intérêt est donc un élément essentiel pour les États. S’ils sont très bas et voisinent zéro, la dette ne pèse pas sur les comptes publics. Le site FIPECO indique que, pour la France, « de 2010 à 2020, la charge d’intérêt a baissé de 20 Md€ alors que la dette a augmenté de 770 Md€ de fin 2009 à fin 2019 ».

Ce phénomène n’est pas propre à la France. Selon la même source, pour l’ensemble de l’UE, la charge d’intérêt de la dette représentait un peu moins de 5% du PIB en 1997 et seulement 1,6% en 2022.

La hausse des taux d’intérêt actuellement en cours constitue un risque majeur pour les États endettés. Ils peuvent en effet perdre la confiance des marchés. Pour des pays riches, offrant des garanties potentielles élevées (en particulier le patrimoine privé) cela ne se produit pas d’un seul coup mais de façon très progressive. Les agences de notation, organismes privés indépendants des États, jouent un rôle non négligeable à cet égard.

L’exemple de la France est particulièrement significatif. Jusqu’à 2011, le pays avait la note maximum (AAA ou Aaa) dans toutes les agences. Fitch Ratings fait passer la note française à AA+ en 2013, à AA en 2014 et à AA- en 2023. Standard & Poor’s rétrograde la France à AA+ en 2012 et à AA en 2013. Chez Moody’s, la France passe de Aaa à Aa1 en 2012 puis à Aa2 en 2015. La situation financière du pays apparaît donc objectivement préoccupante depuis déjà plus de 10 ans. Si les taux d’intérêt s’envolent, il devient impossible de faire rouler la dette car les nouveaux emprunts deviennent plus coûteux que les anciens. Le danger est imminent.

 

La culture de la dette en Europe

Les cigales et les fourmis apparaissent clairement en observant la situation européenne. Selon Eurostat, la dette publique brute des 27 pays de l’UE représente 84% du PIB en 2022. Les cigales sont plutôt les pays du sud : Grèce (171,3%), Italie (144,4%), Portugal (113,9%) Espagne (113,2%), France (111,6%). La Belgique (105,1 %) est le seul pays non méditerranéen à s’acoquiner avec les cigales. Pour les autres pays, la dette varie de 86,5% (Chypre) à 18,4% (Estonie). Les pays de l’est européen et les pays de culture germanique sont donc beaucoup plus vertueux financièrement.

Il serait inimaginable pour un dirigeant de ces pays vertueux d’utiliser l’expression « quoi qu’il en coûte » pour les dépenses publiques comme l’a fait Emmanuel Macron pour faire face à la pandémie de COVID-19. Ce fut évidemment une grave erreur psychologique, qui n’a fait que conforter les français dans leur mentalité d’assistés. Il en coûte toujours à quelqu’un lorsque les dépenses publiques augmentent par endettement et la limite est tout simplement le degré de confiance des prêteurs.

Mais il existe dans certains pays une véritable culture de la dette liée à leur histoire. Les pays de culture germanique ont subi l’influence protestante considérant l’épargne comme une vertu et l’équilibre comptable des comptes comme un principe intangible. Les pays catholiques sont restés accrochés à la mentalité archaïque de l’aristocratie d’antan, qui voyait dans les dépenses somptuaires un élément indispensable de son statut social. L’endettement était courant et garanti par le patrimoine foncier de cette aristocratie. L’apparence modeste et le goût de la rigueur du bourgeois luthérien s’opposaient à l’opulence affichée et au mépris de la bonne gestion de l’aristocrate catholique. Les politiciens des État-nations sont, culturellement, les héritiers de ces caractéristiques rémanentes.

Publié sur Contrepoints le 23/08/2023

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