Abandon du nucléaire : l’erreur historique des démocraties

17/12/2022

Patrick AULNAS

Jamais l’homme n’a renoncé à une technologie nouvelle et efficace basée sur une découverte majeure. La découverte de l’énergie contenue dans le noyau de l’atome et libérée par fission ou fusion constitue sans le moindre doute une avancée scientifique fondamentale. Personne ne le conteste, mais l’utilisation de cette source d’énergie serait dangereuse. Aussi, certains écologistes considèrent-ils l’énergie nucléaire comme une énergie du passé, une erreur de l’humanité du 20e siècle. Seules les énergies dites renouvelables (solaire photovoltaïque, éolien, hydraulique) représenteraient l’avenir.

 

Comment renoncer à mettre en œuvre nos connaissances ?

Il est presque inimaginable que cette dernière affirmation se réalise sur le long terme historique. Pourquoi ? Parce que seule la coercition étatique peut contraindre à abandonner un savoir aussi essentiel. Mais cette violence dite légitime, qui accorde au pouvoir politique la capacité juridique de contraindre, présente une forte dimension idéologique. Démocraties plus ou moins libérales, dictatures mafieuses, régimes théocratiques, totalitarismes à base idéologique se côtoient sur notre petite planète. La capacité d’écraser l’homme sous le pouvoir n’est jamais acquise. Elle est même toujours contestée.

L’ambition idéologique écologiste visant à un monopole de certaines sources d’énergie sous contrainte politique est donc très fragile. Elle est pourtant à l’œuvre, mais principalement dans les démocraties occidentales. Prenons les exemples allemands et français. L’Allemagne disposait au début du 21e siècle de nombreux réacteurs nucléaires. Elle a décidé de les fermer en totalité à la suite de l’accident de Fukushima au Japon, qui n’est pas dû à un dysfonctionnement mais à un séisme de magnitude 9 suivi d’un tsunami. C’est donc l’emplacement de la centrale qui était en cause et non la technologie elle-même.

Les considérations électoralistes ont joué un rôle important dans la décision du gouvernement allemand présidé par Angela Merkel. Les écologistes recueillant entre 10 et 15% et suffrages aux élections législatives, ils constituent une force politique importante avec laquelle il faut compter. Par ailleurs, la population a acquis la sensibilité écologiste un peu naïve apparue dans la plupart des pays riches et qui innerve l’ensemble du spectre politique, mais avec le caractère grégaire et conformiste du monde germanique. L’abandon du nucléaire était donc dans l’air du temps. Il fallait se mettre à jour, se conformer à la doxa dominante.

La France a été tout aussi médiocre, mais avec davantage de modération. Disposant d’un parc nucléaire de premier ordre et d’un savoir presque unique au monde dans ce domaine, elle a peu à peu, dans les vingt premières années du 21e siècle, interrompu les investissements et l’effort de formation, sous l’impulsion négative de politiciens préoccupés par la crainte irrationnelle du nucléaire entretenue dans la population par des militants écologistes relayés par l’intelligentsia bien-pensante.

Le coup de grâce est venu du président François Hollande, qui avait besoin des voix écologistes d’EELV. Il fallait donc faire acte d’allégeance. Ce fut la promesse la diminuer progressivement de 75 à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité et donc la fermeture de centrales nucléaires. D’où l’absurde fermeture de Fessenheim pour des raisons d’une petitesse électoraliste rarement atteinte.

Outre l’absence de conviction philosophique sur les capacités de l’intelligence humaine, c’est donc aussi la médiocrité électoraliste des gouvernants occidentaux qui a conduit à l’abandon d’une technologie représentant très vraisemblablement l’avenir à long terme. La science et la technologie, le savoir accumulé par l’humanité, se heurtent ici aux impératifs à court terme du pouvoir et à la démagogie.

 

La haine de la technique

La découverte par Einstein en 1905 de la relation entre matière et énergie a fait l’admiration de tous. E=mc2. L’énergie (E) est égale à la masse (m) multipliée par la vitesse de la lumière (c) élevée au carré. La matière est énergie. Puiser l’énergie dans le noyau de l’atome n’est pas anodin puisqu’une réaction en chaîne peut se produire. Mais le feu effrayait également les hommes du paléolithique lorsqu’ils l’ont découvert et il a fallu bien longtemps avant de le maîtriser correctement. Ce qui d’ailleurs n’élimine pas à 100% le risque d’incendie. Nous enfonçons des portes ouvertes.

Il en ira de même pour le nucléaire dont le potentiel énergétique est tel que son abandon définitif n’est pas envisageable. Le risque subsistera mais pourra être limité et cantonné technologiquement pour atténuer les effets des dysfonctionnements. Pourquoi alors tant de haine écologiste envers l’énergie nucléaire ? La réponse est toute simple : l’idéologie politique. Pour certaines personnes et organisations, la science et la technologie sont des ennemis.

La pensée écologiste se développe au 20e siècle dans l’opposition à la technique. En France, Jacques Ellul (1912-1994) est l’auteur le plus connu dans ce domaine avec La technique ou l’enjeu du siècle (1954), manifeste antitechniciste dont le succès a été beaucoup plus important aux États-Unis que dans notre pays. Pour Ellul, la technologie, au sens large du terme englobant les techniques de gestion par exemple, s’autonomise progressivement. Tout problème doit alors avoir une solution technique et l’homme devient l’esclave de la technologie alors qu’elle avait pour objectif de le libérer.

L’idéologie écologiste s’est largement construite à partir de ce présupposé antitechnologique. L’énergie nucléaire ne peut donc être perçue que comme l’ultime et nocive avancée de la technique au cœur de la matière. Elle ne peut être dans l’esprit des adeptes de l’écologisme que le parachèvement d’une évolution suicidaire.

 

Les simplismes pour militants faibles d’esprit

Une autre conséquence majeure de cette défiance envers la science et la technique doit être soulignée : la prévalence du politique sur la technologie. Pour les écologistes, ce sont les militants et ceux qu’ils désignent comme leurs leaders qui doivent gouverner effectivement. La technique ne doit pas conduire au règne des scientifiques et des ingénieurs par incompétence des militants, sacrés dirigeants par la magie des votes à l’intérieur des partis. Or, il est clair que le nucléaire n’est vraiment accessible dans ses réalisations concrètes qu’à des personnes de haut niveau technologique. Le contrôle des centrales lui-même ne peut être réalisé que par des spécialistes pointus. En France, ce contrôle extrêmement strict est de la compétence de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) employant plus de 500 personnes.

Cette organisation de la gestion de l’énergie est exactement celle qu’abhorrent les écologistes militants, d’où leur addiction à l’éolien et au photovoltaïque qui permettent une gestion décentralisée et même très locale pouvant descendre jusqu’au niveau communal. En caricaturant, le militant écologiste du conseil municipal de Trifouilly-les-Oies pourra intervenir sur les choix énergétiques avec l’éolien et le solaire mais n’aura pas son mot à dire avec le nucléaire.

On peut facilement adhérer à l’idée que la décentralisation des décisions politiques est souhaitable et que la verticalité excessive de l’exercice du pouvoir conduit souvent à des aberrations décisionnelles apparaissant dix ou vingt ans plus tard comme des erreurs historiques. Mais ce raisonnement doit-il conduire à éliminer totalement certaines technologies majeures ? Certes non. Le principe de subsidiarité doit toujours rester présent à notre esprit. Le nucléaire et le renouvelable ne sont pas des technologies incompatibles mais bien évidemment des technologies complémentaires. La permanence du nucléaire supplée à l’intermittence du vent et du solaire. La nécessaire gestion centralisée du nucléaire par des personnels de haut niveau n’est pas incompatible avec des choix locaux d’implantations d’éoliennes ou de panneaux solaires.

La grossière idéologisation du sujet conduit à opposer de façon infantile les bons et les méchants, l’innocuité et le danger. Les militants adorent. Le manichéisme, le binarisme simpliste permettent de recruter des personnes cherchant des raisons de vivre à travers les causes à défendre. Ainsi se constituent les partis extrêmes ayant peu de chances d’accéder au pouvoir mais toutes les chances d’instiller le trouble dans les esprits faibles.

 

Tout espérer de l’intelligence

La conclusion est éclairante : il est tout à fait estimable de chercher à capter le rayonnement solaire ou à utiliser la force du vent, mais vouloir imposer le monopole de ces technologies l’est beaucoup moins. Seule une idéologie politique profondément hostile à la liberté conduit à une telle aberration. Il y a plus. Jamais l’humanité n’abandonnera l’espoir de créer des micro-soleils produisant une énergie abondante sans émission polluante. Pour renoncer à ce rêve, il faut ne plus croire en l’homme, ne plus rien espérer de son intelligence.

Publié sur Contrepoints le 19/12/2022

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