Voile islamique et domination masculine
19/10/2019
Patrick AULNAS
Le voile islamique a refait surface dans l’actualité récente, toujours avec les deux positions inconciliables sur le sujet. La division traverse les partis politiques eux-mêmes et certains ministres du gouvernement Philippe appartiennent à des camps opposés. La gauche est scindée entre une sensibilité diversitaire et communautariste et une sensibilité laïque et universaliste. Les libéraux eux-mêmes ne s’accordent pas sur la signification de ce fameux voile et des questions essentielles se posent à ce propos.
La femme voilée libre n’existe pas
La première concerne le concept même de liberté. Certains libéraux affirment en effet que la liberté religieuse impose d’admettre le port du voile pour les femmes. Ce serait leur choix et le pouvoir politique n’a pas à intervenir dans ce choix. Sans entrer dans les détails juridiques, c’est-à-dire les limites légales au port de signes religieux ostentatoires, il apparaît que dans son principe même l’affirmation de la liberté du port du voile est paradoxale et même illogique.
L’esclave peut-il librement revendiquer son statut d’esclave ? C’est évidemment impossible. Or les femmes portant le voile islamique, même lorsqu’elles affirment qu’il s’agit d’un choix, sont des femmes soumises à un archaïsme machiste, qui n’est même pas considéré par tous les musulmans comme une prescription religieuse.
Il n’y a pas de voile pour les hommes. Pourquoi y-en-t-il un pour les femmes ? Tout le monde connaît la réponse : selon les monothéismes, le corps des femmes est impur et il appartient exclusivement au mari. En remontant quelques siècles, l’approche chrétienne n’était pas très éloignée de l’approche de l’idéologie islamiste actuelle, qui, répétons-le n’est pas celle de la majorité des musulmans de France.
Voile signifie soumission à l’homme
Une femme qui porte le voile se soumet à une idéologie qui s’oppose à sa liberté et à l’égalité homme-femme. Sa soumission résulte d’un conditionnement éducatif qui remonte à l’enfance et duquel il est difficile de se libérer. J’ai eu à la fin du XXe siècle une étudiante originaire d’Afghanistan, qui ne portait pas le voile pendant les cours, mais se couvrait les cheveux avec un foulard ordinaire et tentait tant bien que mal de dissimuler son visage avec son manteau. Elle s’exprimait le moins possible, mais lorsqu’elle devait le faire, elle cachait sa bouche avec la main. Cette pauvre fille avait de toute évidence été éduquée dans un Islam rigoriste et avait honte de montrer son visage à des hommes.
La pression familiale peut également être considérable. L’homme étant considéré comme le chef de famille par l’idéologie islamiste, il lui appartient de décider de la tenue de sa femme et de ses filles. Lui résister aboutit à un conflit que beaucoup de femmes veulent éviter à tout prix.
Enfin, la pression communautaire est immense. Il s’agit de choisir entre appartenir à la communauté, qui est à la fois religieuse et sociale (le lieu de vie, le quartier, les relations amicales, la mosquée et les coreligionnaires, etc.) ou de rompre et d’affronter l’isolement.
Il est donc absurde de prétendre qu’une femme voilée est une femme libre. On pourra toujours citer quelques exemples d’ingénieures ou de médecins qui portent le voile. Mais ces cas particuliers n’emportent nullement la conviction. On peut avoir fait de longues études dans une spécialité quelconque et rester totalement soumise à une idéologie liberticide. Sinon, pourquoi y-aurait-il eu des intellectuels staliniens et nazis ? Pourquoi Jean-Paul Sartre aurait-il écrit dans les années cinquante des stupidités idéologiques à orientation communiste ?
La gauche et le voile
Pourquoi une certaine gauche défend-elle les femmes voilées ? Pour deux raisons. La première peut être prise en considération, mais pas la seconde. En excluant les femmes voilées de toutes les activités sociales, par exemple l’accompagnement des sorties scolaires, on les marginalise, on les cantonne au foyer familial et elles n’ont aucune chance de s’ouvrir au monde. Argument pertinent, qui impose la mesure et le pragmatisme dans l’opposition au voile, opposition qui doit cependant demeurer un principe intangible.
La deuxième raison de l’adhésion au voile islamique d’une partie de la gauche relève de la médiocrité habituelle de la politique politicienne. Il s’agit de défendre les damnés de la terre, comme toujours chez ces gens-là. Et comme le prolétariat leur a échappé en passant chez Marine La Pen, les migrants et les femmes voilées représentent un ensemble de dominés de substitution. Le marxisme étant en perdition, l’idéologie islamiste, pas nécessairement radicale, peut constituer un élément porteur. Autrement dit, pour employer une expression ancienne, les islamistes peuvent être des « compagnons de route » dans la lutte universelle contre la domination, celle-ci étant à la fois capitaliste, occidentale et blanche de peau.
La gauche anticapitaliste est une gauche antilibérale qui regarde la liberté comme un danger et le pouvoir politique comme un espoir. Comment alors des libéraux pourraient-ils se ranger à ses côtés, sinon sous sa bannière ?
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