Retraites : réalités économiques, démographiques et politiques

07/04/2019

Patrick AULNAS

Notre société vieillissante a hérité d’un système de retraite inadapté. Un optimisme économique excessif et politiquement intéressé a conduit à minimiser l’importance de la démographie et à maximiser les perspectives de croissance. Il en résulte des cotisations de plus en plus lourdes à la charge des actifs. En 1967, les cotisations retraites du régime général étaient calculées uniquement sur le plafond de la sécurité sociale à raison de 4,4% pour l’employeur et de 2,4% pour le salarié. Depuis 2017, elles sont respectivement de 6,84% et 5,52%. Mais il faut ajouter des cotisations supplémentaires calculées sur la totalité du salaire : 1,52% pour l’employeur et 0,4% pour le salarié.

Une telle évolution n’étant plus tenable, un projet de réforme global est en cours d’élaboration. Il devrait permettre une adaptation permanente du système de retraite aux réalités économiques et démographiques, sans réformes nouvelles. Mais le sujet est explosif politiquement et une grande incertitude subsiste.

 

Principes généraux du système actuel

La France a choisi des systèmes de retraite obligatoires par répartition. Il ne sera pas question des systèmes par capitalisation dans cet article. A la date de départ en retraite, le montant des retraites est calculé en fonction de l’historique d’activité de la personne (nombre d’années de cotisation et montant des rémunérations). Il en résulte que le montant de la retraite ne prend pas en considération la situation économique présente. C’est en fonction du passé de chaque personne que ses droits sont calculés.

Par la suite, pendant toute la durée de la retraite, l’évolution du montant versé tient plus ou moins compte des réalités économiques du présent. Le fait d’avoir indexé les retraites sur l’inflation et non plus sur l’évolution des salaires comme auparavant (de 1948 à 1987) résulte de cette contrainte. Les salaires progressant plus vite que l’inflation, cette nouvelle indexation permettait de diminuer progressivement les retraites et d’alléger la lourde charge liée au vieillissement de la population.

La décision récente de désindexation par rapport à l’inflation, prise par le gouvernement Philippe, provient, elle, de préoccupations d’équilibre budgétaire à court terme.

 

Erreurs historiques

Le fonctionnement actuel des régimes de retraite résulte de l’optimisme économique excessif qui régnait à l’époque des Trente Glorieuses et d’un refus politique de prendre en considération le vieillissement de la population. Les décideurs avaient tendance à voir l’avenir à l’image du présent, caractérisé par une croissance économique très élevée. Or, la croissance économique ayant été divisée par quatre ou cinq, la charge des retraites est devenue beaucoup trop lourde pour les actifs, d’autant que le taux de natalité a chuté dans la seconde moitié du 20e siècle.

Les facteurs purement politiciens n’ont évidemment pas été absents au moment de la mise en place du système. L’optimisme de façade est une posture politique courante permettant de distribuer l’argent public en toute démagogie et irresponsabilité.

La décision la plus démagogique prise dans ce domaine fut l’abaissement de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans en 1982 (Lois Auroux). Cette décision résultait de promesses électorales de François Mitterrand, qui avait évidemment parfaitement conscience d’aller à contre-courant des évolutions démographiques puisque l’espérance de vie avait augmenté très rapidement depuis le début du 20e siècle (48 ans en 1900, 75 ans en 1980).

 

Retour à la réalité

Il apparaît aujourd’hui évident que le niveau des retraites versées à l’instant t doit être fonction de la situation économique à l’instant t. Autrement dit, si une crise politico-économique majeure avait lieu en Europe dans les années 2020 avec forte récession et baisse importante du niveau de vie, il faudrait en tenir compte pour calculer les retraites à verser à la même époque. De même, si par suite des pressions écologistes, une société basée sur la frugalité à tous égard se mettait en place par la pression fiscale et la réglementation de la production, la même frugalité devrait être imposée aux retraités. Il est donc impossible de tenir uniquement compte des droits acquis au moment du départ à la retraite, comme le réclame encore certains syndicats ou partis hors du temps.

Il serait naïf de penser qu’un régime miraculeux existe ou qu’un trésor caché (l’évasion fiscale, le magot des riches) puisse jouer un rôle majeur. Les montants en jeu sont colossaux : 303 milliards d’€ de retraites servies en 2015 en France, soit 13,9% du PIB. Ces données macro-économiques étant ignorées du grand public, le populisme politique ou syndical peut se donner libre cours. Mais une réalité financière fonctionne comme un boomerang. Si vous la jetez au loin en fermant les yeux, elle vous revient dans la figure.

 

Le système par points

Le projet encore vague de retraite par points (ou éventuellement par comptes notionnels) a pour but de créer un système autorégulé qui ne nécessitera plus les laborieuses réformes périodiques et très conflictuelles qui ont parsemé les dernières décennies. Dans un tel système, un actif cotise et accumule chaque année un certain nombre de points dépendant du montant des cotisations versées. Le point se voit attribuer une valeur monétaire (par exemple 10 €). Au départ à la retraite, le montant de la retraite est égal au nombre de points acquis multiplié par la valeur du point.

Le montant de la retraite dépend donc de l’historique d’activité de la personne (nombre de points) et de la situation économique au moment du versement (valeur du point). La grande différence avec les régimes actuels résulte de cette valeur du point. Actuellement, la variable utilisée pour la liquidation de la retraite est le niveau des rémunérations anciennes de la personne considérée (calculé sur les 25 dernières années pour le régime général, sur les 6 derniers mois pour les fonctionnaires). Avec le système par points, la liquidation de la retraite dépendra de la valeur du point au moment de cette liquidation.

En cas de crise grave, il sera possible de baisser la valeur du point. En cas de croissance forte, une augmentation significative serait envisageable. La fixation de la valeur du point aura évidemment un poids politique élevé puisque le nombre de retraités est important dans une société vieillissante. Baisser la valeur du point entraînera des défections dans l’électorat des retraités pour le responsable de la décision. L’augmenter par démagogie pourrait permettre de gagner une élection. On n’échappe jamais aux petitesses de la politique.

Le système par comptes notionnels est une variante du système par points. Sans entrer dans les détails techniques, le calcul de la retraite est alors basé sur l’accumulation pendant l’activité d’un capital virtuel. La retraite versée est une rente virtuelle déterminée à partir du capital accumulé. Il s’agit toujours d’un régime par répartition, mais le mode de calcul simule un système par capitalisation. Dans ce cas, c’est le taux d’intérêt de la rente qui permet de tenir compte de la situation économique présente.

 

Les évolutions démographiques, variables fondamentales

Le raisonnement appliqué ci-dessus pour le niveau des retraites, qui doit nécessairement tenir compte de la richesse présente de la société, est aussi applicable à l’âge de départ à la retraite. Dans ce cas, il s’agit de prendre en considération les facteurs démographiques. Si l’espérance de vie augmente, il est indispensable de reculer l’âge de départ à la retraite. Rappelons que, selon les statistiques de l’INED, l’espérance de vie à la naissance était de 60 ans pour les hommes et de 65 ans pour les femmes en 1946. En 2015, les chiffres équivalents étaient de 79 et 85 ans. La durée de la retraite, qui était très brève pour les générations antérieures, devient de plus en plus importante. La charge financière de 5 à 10 années de retraite est considérablement plus faible que la charge financière de 20 à 30 années de retraite.

La question de la fixation de l’âge à partir duquel il est possible de prendre sa retraite est donc essentielle. En s’en tenant aux principes généraux, deux solutions existent : un âge fixe déterminé par la loi ou un âge variable. L’espérance de vie augmentant, la première solution conduit à une augmentation progressive de l’âge fixe. Il est passé de 60 ans à 62 ans en France pour le régime général. La solution de l’âge variable impose la fixation d’un âge pivot autour duquel la variabilité va jouer. Une personne qui prend sa retraite avant l’âge pivot se voit appliquer un malus. Au contraire, une personne dépassant l’âge pivot se voit appliquer un  bonus.

En tout état de cause, tous ceux qui font de l’âge de départ un tabou mentent effrontément. Cet âge devra en pratique augmenter d’une manière ou d’une autre car l’adaptation aux évolutions démographiques est inéluctable et n’a été que trop retardée.

 

Le comportement honteux de la gauche

Le nombre de retraités étant considérable (autour de 16 millions de personnes en France) et les personnes âgées s’abstenant moins aux élections, l’enjeu politique d’une réforme du système de retraite est très important. La gauche s’est systématiquement comportée de façon irresponsable depuis l’abaissement à 60 ans de l’âge de la retraite en 1982. Les grandes réformes émanent toutes de gouvernants de droite : Balladur en 1995, Fillon en 2003, régimes spéciaux en 2007, Woerth en 2010. En 2012, le gouvernement Ayrault avait fait voter un retour partiel à la retraite à 60 ans, à contre-courant des tendances démographiques. A gauche, seule Marisol Touraine a tenté de limiter le désastre financier en allongeant progressivement la durée de cotisations jusqu’à 43 ans.

Y-a-t-il un courage de droite et une couardise de gauche ? Ce serait trop simple et trop beau. C’est le réalisme électoraliste qui détermine les comportements. Les électeurs de gauche sont majoritairement moins favorisés financièrement que ceux de droite. La retraite par répartition représente très souvent leur seule source de revenu après la cessation d’activité. Au contraire, une partie non négligeable de l’électorat de droite peut épargner pendant la vie active. L’assurance-vie, placement préféré des français, équivaut en quelque sorte à un système de retraite par capitalisation qui ne dit pas son nom. La sensibilité de l’électorat de gauche à des réformes allant vers plus de rigueur financière est donc plus élevée que celle de l’électorat de droite.

Les politiciens comptent toujours les voix avant de s’intéresser aux déficits publics.

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