Raymond Barre, l’égalité et la liberté
05/07/2019
Patrick AULNAS
Le Canard Enchaîné, toujours à l’affût d’informations croustillantes, vient de révéler que Raymond Barre aurait « planqué » environ sept millions d’euros en Suisse. On ignore tout de l’origine des fonds, mais il pourrait simplement s’agir d’un héritage familial, c’est-à-dire de capitaux qui avaient été placés en Suisse à une époque plus ancienne, comme cela se pratiquait couramment dans les familles aisées.
Personne ne doit échapper au fisc !
L’unanimisme médiatique sur le sujet étonnera toujours les naïfs comme l’auteur de ces lignes. C’est mal, c’est vraiment très mal de planquer son fric en Suisse. L’État doit tout connaître des revenus et des patrimoines. Simple question de justice. Comment voulez-vous prélever équitablement si vous ne disposez pas de toutes les informations ? La justice fiscale et la justice sociale imposent évidemment que chacun contribue à la construction de la société bonne et juste à proportion de ses moyens.
Le malheureux salarié, dont les revenus sont déclarés par son employeur, ne peut absolument rien cacher. Il en résulte que la transparence doit désormais être complète. Personne ne doit échapper à la juste vigilance du fisc. Pas de privilèges ! Pas de petit malin qui planque son magot ! Un seul rang bien aligné, pas une seule tête ne doit dépasser.
Le meilleur des mondes
Personne ne semble même penser qu’un tel modèle conduit tout droit à la servitude. La justice parfaite, surtout lorsqu’elle concerne l’argent, suppose des contrôles et donc des moyens de contrôle de plus en plus inquisitoriaux. Et bien évidemment, contrôler la circulation et l’accumulation monétaire au niveau micro-économique, c’est disposer d’informations fines sur la vie privée des individus. On pourrait ainsi imaginer un monde dans lequel d’énormes systèmes informatiques stockent intégralement l’ensemble des transactions et les analysent pour le compte de l’État, après interdiction de l’argent liquide. Nous sommes sur cette pente. Et visiblement, la direction prise par nos sociétés ne suscite aucune angoisse dans le grand public. Pour avoir la justice parfaite, laissons s’instaurer le contrôle parfait. Tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes.
La passion de l’égalité
Mais l’anticipation des risques de totalitarisme par les contrôles tous azimuts n’est pas le principal aspect du problème. L’essentiel se situe du côté de la philosophie politique. Il n’est pas nécessaire de s’envoler vers des concepts éthérés pour le comprendre. C’est tout simple. La passion de l’égalité, que Tocqueville avait entrevue très tôt, est désormais totalement admise. Par tous les grands médias, par la presque totalité de la population. Il est entendu et absolument indiscutable et indiscuté que la marche vers l’égalité est la mission première et sacrée de tout État digne de ce nom. Quelle égalité ? D’abord et avant tout, l’égalité économique. Pourquoi pourriez-vous gagner plus que moi ? Pourquoi, sous prétexte de compétence, de talent, d’habileté, de dynamisme, auriez-vous le droit d’accumuler des fortunes ? Si justice il y a, elle ne peut consister qu’à redistribuer. « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », telle était la préconisation de tous les socialistes, marxistes ou non, au 19e siècle. Il faut désormais mettre en œuvre cet excellent précepte.
C’est quoi, ça, la liberté ?
Que cette mise en œuvre conduise nécessairement à étouffer la liberté, cela importe peu. Qui s’intéresse encore à une notion aussi creuse que la liberté ? C’est quoi la liberté ? La liberté d’écraser les autres, le règne du renard libre dans le poulailler libre. Ne venez surtout pas nous bassiner avec votre liberté ! Laissez-nous de grâce construire le monde juste, égalitaire, auquel chacun aspire, bref la société du bonheur pour tous avec contrôles automatisés à tous les étages. La liberté, c’est le malheur garanti. Il faut toujours se battre pour la liberté. Avec l’égalité, vous êtes tranquille. Il suffit de laisser l’État contrôler les non conformistes, les rebelles. Ils ne feront pas le poids, ils rentreront dans le rang.
Commentaires
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- 1. Cassandre Le 06/07/2019
Programme fiscal intéressant ! La TVA est considéré comme un impôt injuste, à tort à mon avis, puisqu'il touche les dépenses réelles et son taux, de surcroît, peut être modulé (faible ou inexistant sur les produits de première nécessité, fort sur les produits peu utiles ou nocifs de même que les taxes comme vous le soulignez). Je souscris volontiers à votre programme (je vous laisse cependant le soin d'aller expliquer au GJ que vous augmentez les taxes sur les carburants...) -
- 2. Cassandre Le 05/07/2019
Je suis bien d'accord sur la dérive des états modernes qui tendent à satisfaire tous les besoins ou désirs des individus (et parfois plus) à la demande des citoyens ou avec leur accord le plus souvent d'ailleurs. Ceci évidemment est très coûteux ce qui entraîne une imposition fiscale de plus en plus forte et de plus en plus contraignante. Pour l'instant toutefois, il me semblerait excessif de dire que nos libertés essentielles sont menacées mais nous devons sans cesse rendre des comptes, c'est vrai, et on peut imaginer un avenir plus sombre comme vous le faites (auquel je ne crois guère car des équilibres se mettront en place à mon sens). Que faire ? Comme vous le suggérez ramener l'état à ses fonctions régaliennes, "poursuivre" (?) les économies de fonctionnement mais il y a tout de même des limites à cette rationalisation des dépenses. Quels segments de la matière imposable actuelle verriez-vous échapper à l'impôt : patrimoine, successions, revenus du travail,, du capital, consommation?-
- rivagedebohemeLe 06/07/2019
Pour commencer, je supprimerai totalement l'IR progressif qui n'est qu'un grossier subterfuge pour accumuler de l'information sur les particuliers. Il suffirait aujourd'hui en France de se limiter à un prélèvement proportionnel à la source sur tous les revenus. Ce prélèvement serait libératoire. Aucune déclaration des revenus ne serait nécessaire. Pour les BIC, BNC, BA, il pourrait être réalisé par les experts-comptables. Pour les micro-entreprises, ou auto-entrepreneurs, il suffirait d'un tout petit prélèvement fixe (quelques centaines d'euros par an) ou même rien de tout pour encourager ces activités. Je supprimerais l'impôt sur la fortune immobilière et les droits de succession pour presque tous les héritages (par exemple, au-dessous de 1 million d'euros par héritier. J'augmenterais par contre les taux de TVA, les taxes sur le tabac, l'alcool, le billets d'avion (le tourisme est devenu une calamité), les carburants. Voilà quelques idées qui, évidemment, susciteraient un tollé dans de nombreux partis politiques. Mais elles simplifieraient grandement la vie des particuliers et supprimeraient surtout l'impression d'inquisition administrative permanente qu'ils ressentent aujourd'hui.
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- 3. Cassandre Le 05/07/2019
Vous semblez confondre deux choses : le respect des lois sans lesquels une démocratie n'est pas possible et la nécessaire sphère de liberté dont doit jouir tout individu. Le respect des lois, pour être viable, suppose évidemment des contrôles aussi désagréables soient-ils.
Sur l'affaire Barre, je n'en connais pas les dessous : mais, héritage personnel ou non, ces sommes devaient être déclarées. Vous savez très bien que de tels agissements alimentent le populisme.-
- rivagedebohemeLe 05/07/2019
Ce petit article est volontairement provocateur et ironique. Il ne prétend pas être une analyse de politologue. Cependant, il part de l’idée que si l’État recherche une soi-disant justice fiscale parfaite, il devra aussi mettre en place des contrôles de plus en plus perfectionnés. Les technologies de l’information lui donneront des moyens dans ce domaine et un Big Brother digne de 1984 naîtra. Il n’est pas interdit de penser que la justice fiscale est une fiction permettant de tout connaître des activités économiques des individus. Si les instituts de statistiques, qui travaillent sur des ensembles, ont des objectifs scientifiques, l’administration fiscale, qui collecte des données personnelles, a un objectif totalitariste. Une société dans laquelle la matière imposable ne recouvre pas toute l’activité économique (patrimoines, revenus, consommation) est parfaitement possible. L’État ne devrait prélever que ce qui est strictement nécessaire à son fonctionnement et ne pas se proposer d’intervenir dans tous les domaines de la vie des individus. Pour leur plus grand bien, évidemment, pour la justice et l’égalité, évidemment. C’est ainsi que naît la servitude volontaire.
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