PMA : liberté ou contrainte religieuse ?

12/10/2019

Patrick AULNAS

Les opposants aux évolutions sociétales se sont à nouveau mobilisés au sujet de la PMA (procréation médicalement assistée). Le projet de loi relatif à la bioéthique doit en effet être définitivement voté le 15 octobre 2019 et il accorde la filiation par PMA aux femmes seules et aux femmes vivant en couple homosexuel. Cette extension de la liberté devrait satisfaire les libéraux conséquents, mais certains se rallient au camp conservateur pour s’y opposer. C’est leur droit le plus strict, mais il est également patent que ce libéralisme-là bute sur certaines questions.

 

Un peu d’histoire et de prospective (ou de science-fiction ?)

Il ne sera pas question de réexaminer de façon analytique les arguments et contre-arguments des deux camps. Tout cela a été fait à de multiples reprises. On se limitera à observer l’histoire de l’humanité sur le long terme. Une chose frappe l’esprit : il s’agit pour les opposants à la PMA de figer l’histoire.

Les monothéismes juif, chrétien et musulman avaient cantonné la procréation humaine dans le mariage religieux, qu’il soit monogame ou polygame. Le plaisir sexuel n’était légitime que s’il visait à la procréation et si celle-ci avait lieu dans un cadre normatif religieux validé par le pouvoir politique : le mariage. Pendant longtemps, droit et religion ont cheminé main dans la main sur ce sujet.

Mais à partir du XVIIIe siècle, l’athéisme se développe lentement et les religions n’ont plus le monopole de la définition du bien et du mal dans le domaine de la procréation. Les progrès scientifiques des XXe et XXIe siècles laissent présager des possibilités nouvelles à plus long terme. La procréation pourrait ne plus être intra-utérine, ce qui remettrait en cause fondamentalement le modèle ancien auquel l’homme est assigné depuis son apparition. Autrement dit, dans un avenir indéterminé, l’homme ne serait plus astreint au mode de reproduction des mammifères : un mâle qui féconde une femelle. Le mariage traditionnel disparaîtrait et la distinction des sexes n’aurait plus aucun intérêt pour l’humanité.

 

Figer l’histoire…

Une question fondamentale est donc posée concernant notre avenir. Est-ce que le modèle religieux traditionnel défendu par les conservateurs adeptes d’une religion (popularisé par le slogan : « Une famille, c’est un père, une mère et des enfants ») doit être pérennisé ou peut-il être dépassé ?

Sa pérennisation impose de figer l’histoire de l’humanité en interdisant toute utilisation des progrès scientifiques ou en la limitant rigoureusement par le droit. Les opposants à la PMA demandent donc aujourd’hui que la République française garantisse la survivance du modèle familial religieux dans un contexte sociologique d’effondrement de la pratique religieuse. Il y a là plus qu’un paradoxe. Il s’agirait de consacrer par le droit l’éthique d’une minorité de croyants, alors que la société l’a déjà dépassée. Cette position est d’autant plus surprenante que tous les croyants ne s’opposent pas à l’évolution législative en cours.

 

… Cela n’a jamais eu lieu

En observant notre évolution depuis le paléolithique, il apparaît clairement que les pouvoirs, qu’ils soient religieux ou politiques, ont souvent agi afin d’entraver des évolutions jugées par eux non souhaitables. L’objectivité scientifique n’a pu émerger que difficilement lorsqu’elle heurtait les dogmes. Les exemples fourmillent. Par exemple, la dissection de cadavres humains a longtemps été interdite, en particulier dans l’Antiquité occidentale, car le corps était sacré.

Mais jamais les pouvoirs ne sont parvenus à stopper une évolution lorsque les progrès cognitifs l’autorisaient. Il a fallu parfois attendre des siècles, mais toujours les connaissances humaines ont été mises en œuvre avec prudence. L’histoire n’a jamais été figée à long terme pour des questions d’éthique, tout simplement parce que dans ce domaine des divergences apparaissent et qu’elles ne sont fondées que sur l’adhésion à une croyance et non sur des réalités tangibles.

 

Baroud d’honneur ?

Ces divergences éthiques peuvent être à nouveau observées aujourd’hui à l’échelle internationale, c’est-à-dire à l’échelle de l’humanité entière.  De nombreux pays admettent la PMA pour les couples de femmes homosexuelles et les femmes seules. L’évolution législative dans ce domaine n’a en général posé aucun problème. Pourquoi ? Tout simplement parce que le sujet ne concerne qu’une toute petite minorité à laquelle il s’agit d’accorder une liberté. Pour plus de 95% des couples, rien ne change. Mais les français politisent et adorent le débat conceptuel. Donc ils essentialisent, ce qui est particulièrement frappant pour la filiation.

A lire les articles sur le sujet, provenant parfois d’universitaires ou de chercheurs, on pourrait croire que la conception ancienne de la filiation va brusquement sombrer et nous tous avec. Mais il s’agit simplement d’un cadre juridique nouveau. Tous ces brillants philosophes semblent oublier, peut-être parce qu’ils ne sont pas juristes, qu’un cadre juridique est bien peu de chose. Il réglemente de façon générale et impersonnelle un ensemble de situations extrêmement variables en tentant de produire une cohérence d’ensemble, à laquelle il ne parvient d’ailleurs pas toujours.

La réalité sociologique, elle, n’est nullement affectée par l’évolution du droit. La quasi-unanimité des couples français ne sera même pas concernée en pratique par la libéralisation de la PMA. Le baroud d’honneur des opposants a donc, comme toujours en France, un côté politique politicienne très bas de gamme. Rien ne changera pour tous ces opposants, mais ils font de la politique.

Quant à l’avenir, ces personnes-là diront qu’il appartient à Dieu et que les hommes n’ont pas à s’en mêler. Mais plus nombreux encore sont aujourd’hui ceux qui pensent que l’avenir de l’humanité appartient aux hommes et qu’ils ont le devoir d’assumer cette liberté.

 

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