La crise des démocraties occidentales
08/11/2019
Patrick AULNAS
Personne n’y croit plus. La politique ne recueille désormais que scepticisme. La haine entre factions rivales passe parfois des paroles aux actes. La sociologie politique va plus loin et constate l’émergence d’un archipel français (*). Le pays ne serait plus une entité politique, couramment appelée État-nation, mais un ensemble de communautés juxtaposées. Ce constat ne se limite pas à la France puisque des oppositions radicales émergent dans les démocraties anglo-saxonnes. Ce malaise dans la civilisation occidentale augure d’un avenir sombre.
Crise politique générale en Occident
Les démocraties représentatives occidentales sont en crise Cette crise se manifeste de différentes manières selon les pays, mais le consensus politique qui regroupait environ des deux-tiers de l’électorat sur des valeurs communes a éclaté. Aux États-Unis, l’accession au pouvoir du populiste Donald Trump a suscité une rupture profonde attisant la haine entre les démocrates et les républicains. Trump utilise les formulations simplistes en vigueur sur les réseaux sociaux pour exploiter les pulsions élémentaires de son électorat, essentiellement constitué des perdants de la mondialisation. Même ses tweets de politique internationale s’adressent en réalité à ses électeurs. La diplomatie est ailleurs.
Le Royaume-Uni est crispé depuis plus de trois ans sur le Brexit. Les grands partis étant divisés sur le sujet, tous les projets présentés au Parlement ont été rejetés, les préoccupations électoralistes l’emportant chez les députés sur l’intérêt général du pays. Malgré des élections prévues en décembre 2019, l’avenir reste incertain.
Dans plusieurs démocraties parlementaires du continent européen, la constitution d’un gouvernement de coalition prend des allures de quadrature du cercle. L’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie ont été confrontées à cette situation résultant de l’émergence de partis populistes entravant les alliances parlementaires traditionnelles.
La Constitution de 1958 protège la France de ces dérives du parlementarisme. Le renforcement de l’exécutif par l’élection au suffrage universel du Président de la République a stabilisé le pouvoir politique, qui était la proie des divisions partisanes sous les Républiques antérieures. Mais une contrepartie de la stabilité gouvernementale est apparue en 2019 : des frondes populaires plus ou moins spontanées. Le mécontentement, qui ne peut pas se manifester au niveau institutionnel, se déplace dans la rue. La giletjaunisation du pays a commencé.
Démocratie directe et tromperie politicienne
Il n’existe aucune solution de remplacement. La démocratie représentative est, au début du XXIe siècle, le seul mode de gouvernance démocratique des États-nations. Seuls les populistes invoquent la démocratie directe, ou parfois même la démocratie participative. Mais il s’agit pour eux de tromper leur électorat, qui n’a aucune conscience de la complexité des problématiques actuelles et donc des textes soumis aux Parlements nationaux.
L’exemple le plus éclatant de cette réalité est évidemment le référendum britannique sur le Brexit. Pour les raisons de pure politique intérieure, David Cameron consulte en 2016 la population sur la sortie du pays de l’Union européenne. Il est contre cette sortie et pense qu’elle n’a aucune chance d’advenir. Il se trompe, car les électeurs utilisent le référendum pour manifester leur mécontentement et non pour répondre à la question posée. La classe politique britannique n’a donc rien anticipé, d’autant que, très majoritairement, elle souhaitait rester dans l’UE.
Pour tout problème complexe, le référendum est une absurdité. Il est toujours détourné de son objet.
Le normatif est déconnecté du réel
Cette crise démocratique s’explique par la déconnexion croissante de la sphère politico-juridique et du réel économique, sociologique, technique, scientifique. Le normatif évolue lentement, le réel évolue de plus en plus rapidement. La démocratie peine à s’adapter car son formalisme procédural a peu évolué : assemblées, commissions, vote des citoyens avec des bulletins papier, etc. Mais ces lourdeurs procédurales conditionnent l’existence d’une démocratie. Nous n’avons pas encore inventé la démocratie de l’ère de la communication instantanée, qui caractérise pourtant déjà notre vie personnelle et professionnelle. Cette inadaptation démocratique risque de favoriser l’émergence d’une mentalité autoritariste.
Le deuxième facteur explicatif est connu de tous. Personne n’est capable aujourd’hui de proposer une vision claire de l’avenir à moyen terme. Nous ne savons pas vers quoi se dirigent nos sociétés. Les partis politiques se sont contentés d’intégrer des éléments d’écologie dans leurs programmes. Voilà la seule innovation idéologique depuis l’abandon du marxisme. Mais qui peut penser que les économies d’énergie et la promotion des énergies solaires et éoliennes puissent représenter une réponse aux défis actuels ? On voit au contraire apparaître, par ce biais, la montée d’un nouveau totalitarisme qui entend réglementer minutieusement production et consommation et soumettre les populations à un contrôle étatique de tous les instants.
L’avenir n’est pas écrit, mais de gros nuages noirs s’accumulent sur les démocraties.
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(*) Jérôme Fourquet. L’archipel français. Seuil.
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