L’incroyable maladresse fiscale d’Emmanuel Macron

16/03/2019

Patrick AULNAS

Les idées simples concernant la fiscalité ne sont pas à proscrire, même lorsque celle-ci est devenue complexe. Ainsi, un bon impôt présente des caractéristiques bien connues. Son assiette doit être large pour augmenter son rendement. Son taux doit être bas pour améliorer son acceptabilité. Il doit être aisément compréhensible dans ses grandes lignes afin de limiter son opacité.

En France, comme dans les autres pays développés, nous nous sommes beaucoup éloignés de ces caractéristiques et la politique fiscale d’Emmanuel Macron n’a pas rompu avec cette tendance néfaste.

Ne parlons même pas des errements récents de certains députés LREM, dont les propositions ne méritent que le silence.

 

Technocratisme et écologisme combinés conduisent à la révolte

Si le mouvement des Gilets jaunes a commencé par une révolte fiscale, c’est tout simplement parce qu’aucun des éléments cités en introduction n’était présent pour la taxe carbone. Son assiette est étroite puisque seuls les produits énergétiques sont concernés. L’évolution prévisionnelle de son taux, totalement irréaliste politiquement, pouvait donner de sueurs froides à tous ceux pour qui la voiture est un outil absolument indispensable. Enfin, son mode de calcul entraîne un manque de transparence puisque cette taxe est noyée dans la fiscalité déjà lourde des produits énergétiques, sans doute pour mieux dissimuler son impact.

Trois choix purement technocratiques, trois erreurs politiques massives. Il est vrai qu’un ancien inspecteur des Finances ne peut qu’être sensible aux sirènes de Bercy. Mais il est vrai aussi qu’un Président de la République doit être capable de prendre de la hauteur et de contrecarrer la technocratie, surtout lorsqu’elle s’acoquine avec les idéologues de l’écologisme radical.

 

L’erreur politique du maintien de l’IFI

Supprimer l’imposition sur la fortune, créée par François Mitterrand pour des raisons purement électoralistes, aurait été clair et signifiant politiquement. Mitterrand voulait montrer à son électorat qu’il « n’aimait pas les riches » et qu’il n’hésitait pas à les frapper au portefeuille. Macron aurait pu signifier par la suppression pure et simple de l’ISF l’inanité d’une telle approche : rendement faible de l’ISF, fuite des capitaux, indicateur négatif pour les investisseurs étrangers.

Bien entendu, une telle réforme est impopulaire puisque la population a été éduquée par la gauche depuis des décennies à la haine de la réussite financière et à la convoitise. Mais justement, il fallait marquer clairement un changement d’époque.

Au lieu de cela, une conceptualisation macro-économique a été choisie, totalement coupée des souhaits de la population. Le  concept utilisé fut de décourager la rente et de favoriser l’investissement productif d’avenir. La lourde vulgarisation sémantique (rente contre investissement d’avenir) trahit l’origine technocratique et manque l’essentiel dans ce domaine : le pragmatisme.

La rente serait l’investissement immobilier, l’avenir se situerait dans l’investissement mobilier en actions ou obligations. Il est inimaginable politiquement de concevoir un tel message opposant l’immobilier chéri des français, et la bourse des valeurs, haïe de beaucoup, parce qu’assimilée au capitalisme internationalisé.

Encore une erreur énorme résultant d’une analyse macro-économique relayée par la technocratie d’État : basculer l’épargne et l’investissement vers un avenir incertain et incompréhensible pour beaucoup. Théorie, théorie, que de péchés aura-t-on commis en ton nom ! La politique, c’est 80% d’émotion et 20% de raison tout au plus. Et les français aiment leurs maçons, leurs électriciens, leurs carreleurs, leurs plombiers parce qu’ils les connaissent et les voient travailler. Sur le plan émotionnel, l’immobilier conserve une importance considérable puisque devenir propriétaire constitue un rêve que cherche à accomplir une majorité écrasante de personnes.

Même s’il ne concerne que les patrimoines immobiliers supérieurs à 1,3 millions d’€, le maintien d’un impôt sur la fortune immobilière ne peut qu’être un signal politique confus, induisant une suspicion sur les intentions réelles. On supprime un impôt, on le réforme, mais en conserver un petit morceau pour frapper spécifiquement certaines personnes ne peut qu’apparaître médiocre. Les petitesses des puissants ne datent pas d’hier.

Le même raisonnement vaut pour la taxe d’habitation, pour laquelle il a été nécessaire de promettre la suppression totale à terme au lieu de la suppression pour seulement 80% des foyers fiscaux. Mais les résidences secondaires y resteraient soumises. Bêtise ? Non, encore une fois médiocre petit calcul : pour l’État aux abois, un sou c’est un sou.

 

La CSG : d’un taux acceptable à de multiples taux rejetés par la population

La tentation d’augmenter la CSG a été constante depuis sa création. Son taux initial de 0,5% est aujourd’hui de 9,2% sur les revenus d’activité et les revenus du capital. Mais sur ces derniers, avec le prélèvement de solidarité et la CRDS, le total des prélèvements sociaux s’élève à 17,2%.

Comme beaucoup d’autres avant lui, Emmanuel Macron a choisi d’augmenter la CSG (1,7 point avec effet au 1er janvier 2018). Mais cette augmentation ayant suscité la colère des retraités, qui ne bénéficiaient pas de l’allègement corrélatif des charges sociales sur salaires, un retour en arrière partiel a été opéré pour les petites retraites.

Cette évolution renforce l’opacité de la CSG et réduit son acceptabilité. Elle avait été créée par Michel Rocard pour élargir l’assiette du financement des prestations sociales, mais à un taux très faible de 0,5% et sans pratiquement aucune exonération, sauf pour les intérêts des livrets A. Acceptabilité et transparence étaient au rendez-vous. Au fil des années, le taux a explosé et les dérogations au droit commun se sont accumulées. La CSG est devenue un impôt très lourd et peu compréhensible pour les citoyens. Les mesures la concernant sont donc perçues comme des manœuvres de spécialistes visant à favoriser certaines catégories et à en défavoriser d’autres.

En réalité, la CSG est économiquement un impôt sur le revenu destiné à financer le fameux modèle social français, caractérisé par sa lourdeur et son autoritarisme. La France est ainsi le seul pays au monde à cumuler deux impôts généraux sur le revenu, l’un à caractère proportionnel et concernant une large majorité de contribuables, l’autre à caractère progressif mais limité à 43% des foyers fiscaux.

Où nous mènera l’attelage politiciens-technocrates ?

 

Et les dépenses ? N’y songez pas

Chacun comprend que toute cette gymnastique technocratique avec les impôts, taxes et cotisations obligatoires ne résulte que d’un seul et unique facteur : comment se procurer de l’argent pour faire face à des dépenses publiques en croissance constante ? Il suffirait de renoncer au maternage public dans certains domaines pour simplifier les prélèvements obligatoires.

Mais on assiste avec consternation à l’évolution inverse. Un seul exemple permettra de comprendre que le ton doucereux qu’adoptent nos politiciens pour mieux nous circonvenir nous mène droit dans le mur. Alors que nous sommes incapables d’équilibrer les branches santé et retraite du régime général de sécurité sociale, certains évoquent depuis une bonne dizaine d’années la création d’une cinquième branche pour les personnes âgées dépendantes (30 milliards d’€ pour la dépendance actuellement). Certes, voilà un problème qui va se poser avec une acuité croissante dans les prochaines décennies puisqu’un doublement des coûts est prévu. Mais pourquoi répéter les erreurs du passé ? Pourquoi ne pas innover dans ce domaine et laisser une large place aux initiatives individuelles et à la souplesse de multiples modes de gestion concurrents ? Pourquoi créer un énième monopole public avec cotisations obligatoires ?

Réponse toute simple : l’électoralisme impose là aussi une parole politique démagogique.

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