Gilets jaunes, envie et pouvoir

08/03/2019

Patrick AULNAS

L’utilisation de la convoitise pour attiser les revendications est un ressort puissant de l’action politique. Conditionnés très jeunes à ce type de manipulation, les citoyens d’aujourd’hui n’éprouvent aucun scrupule à demander à l’État une amélioration de leur situation économique, qui ne peut être obtenue que par la redistribution. La revendication d’élévation du pouvoir d’achat des gilets jaunes se place dans ce cadre conceptuel. L’idée de base est simple : il faut faire payer les riches.

 

Manipuler l’envie pour conquérir le pouvoir

Il est assez généralement admis qu’après l’instauration des libertés politiques à la fin du 18e siècle, la problématique nouvelle se situait du côté des inégalités socio-économiques. Socialistes utopistes et marxistes ont exploité cette idée. Dans un cadre démocratique, la propension égalitariste est porteuse électoralement. Elle repose en effet sur la manipulation de l’envie, dimension psychologique omniprésente dans les sociétés humaines, analysée à la fin du 20e siècle par le sociologue allemand Helmut Schoeck (1). Beaucoup de personnes convoitent, sans jamais l’avouer, ce que possède un individu plus riche. L’idée que le riche ne peut l’être qu’en ayant commis des actes répréhensibles est très répandue. La richesse étant suspecte, le politicien qui propose de prélever sur cette richesse pour la redistribuer devient presque un parangon de vertu. Il représente la justice en promettant davantage d’égalité.

La perception de la richesse étant totalement subjective, la puissance électorale de la promesse égalitariste est considérable. Les politiciens ne sont pas des professeurs de sociologie politique qui analysent pour leurs électeurs les statistiques sur les niveaux des revenus ou des patrimoines. Seule compte la perception du public auquel on s’adresse. Un smicard considèrera un cadre comme riche. Un cadre percevra un acteur célèbre comme riche et l’acteur célèbre regardera plus haut et pensera que la vraie richesse est celle de Bill Gates.

En segmentant le marché des électeurs potentiels, il est donc possible de disposer d’un discours adapté à chaque créneau électoral. Il s’agit donc en définitive d’utiliser l’envie, sentiment vieux comme le monde, avec toutes les ressources de la sociologie politique la plus pointue.

 

La conséquence inéluctable : revendiquer l’argent des riches

Puisque depuis des lustres les politiciens utilisent ce ressort puissant de la psychologie humaine, le citoyen de base se sent désormais justifié à exiger, sinon la tête, du moins le portefeuille des riches, c'est-à-dire de tous ceux qui sont un peu plus avantagés financièrement. Voilà une situation redoutable où le jeu dangereux des politiciens se retourne contre eux. Comment gérer démocratiquement la convoitise haineuse sinon en lui faisant droit ? La seule autre solution est la répression brutale, par la vraie brutalité, celle qui tue sans ménagement. Elle est réservée aux dictatures.

Le mouvement des gilets jaunes constitue une illustration de ce phénomène. L’une des revendications majeures apparue au cours de cette révolte populaire concerne le pouvoir d’achat. Autrement dit, les acteurs du mouvement considèrent que leur niveau de vie, comparé à celui des catégories plus favorisées, n’est pas assez élevé. Une revendication de pouvoir d’achat auprès des pouvoirs publics ne peut évidemment pas être satisfaite. Seule la croissance économique peut être efficace dans ce domaine. L’utilisation des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques ne peut avoir qu’un effet marginal et les 12 milliards d’euros lâchés par le gouvernement en décembre 2018 n’ont pas donné satisfaction aux manifestants. Il était assez comique d’observer les ministres expliquer que tel quidam majorerait ses revenus de quelques centaines d’euros par an, somme qui, évidemment, ne peut rien changer au niveau de vie de quiconque.

 

Punir l’ostentation des riches

Voilà bien la preuve que la revendication de pouvoir d’achat repose sur la convoitise. L’idée de prendre aux riches pour donner aux pauvres, qui parcourt les rangs des manifestants, résulte tout simplement de leurs observations personnelles et non de l’objectivité statistique. L’éboueur, l’artisan plombier, la caissière de supermarché voient quotidiennement des avenues aux belles demeures, des intérieurs plus ou moins luxueux, des acheteuses visiblement aisées. L’idée de prendre à ces gens-là pour améliorer sa propre situation vient naturellement à l’esprit, puisqu’elle a été consacrée comme juste et souhaitable par la classe politique depuis plus d’un siècle.

Si ce tropisme redistributeur par la violence légitime provenait de motivations altruistes, il faudrait y réfléchir. Mais il provient de l’égoïsme, de l’envie, voire de la haine. L’égoïsme des riches n’est plus à démontrer, même s’il existe des exceptions qui suscitent notre admiration. Mais la convoitise, l’envie des pauvres restent à explorer. Les pauvres ne sont ni pires ni meilleurs que les riches, mais ils observent leur luxe clinquant et parfois, il faut bien le dire, d’une repoussante vulgarité, avec une envie destructrice. Il s’agit de punir les riches de l’être avec autant d’ostentation.

 

La conjonction à distance de toutes les haines

La justice véritable ne pouvant jamais être motivée par la haine, même envers la trop visible médiocrité de certains riches, on peut légitimement douter que la revendication égalitaire, devenue si commune, soit synonyme de justice. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les gilets jaunes ne demandent pas justice, ils exigent des trophées de chasse. Le rêve était chez certains de faire tomber Emmanuel Macron, car il symbolise ce qu’ils ne possèdent pas : l’intelligence, la culture, la distinction, la réussite financière et politique. Ambition démesurée, qui aurait supposé une révolution que la plus grande partie de la classe moyenne rejette totalement.

On le voit, l’envie suscitant la haine ne se limite pas aux espèces sonnantes et trébuchantes. Elle est encore plus féroce lorsqu’elle concerne ce qui sera toujours inaccessible à certains parce que la nature ne distribue pas égalitairement les talents. L’incapacité à être peut faire des ravages, même en politique, surtout lorsque la conjonction des impuissances est facilitée par ces fameux réseaux sociaux où les groupes « d’amis » ou de « followers » se confortent mutuellement dans leur négativisme par les anathèmes et les insultes.

 

 

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(1) Helmut Schoeck, L’envie, une histoire du mal. Les Belles Lettres.

 

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