Faiblesse des démocraties

21/09/2019

Patrick AULNAS

Les majorités politiques d’aujourd’hui sont fragiles. On le voit un peu partout en Europe où des difficultés récurrentes apparaissent pour constituer un gouvernement. Il a fallu des mois en Allemagne pour mettre sur pied la grande coalition CDU-SPD après les élections de septembre 2017. En Belgique, le gouvernement de Charles Michel a chuté en décembre 2018 sur des désaccords entre partis concernant l’immigration. Il n’est toujours pas remplacé, faute d’accord de gouvernement. En Italie, Matteo Salvini, leader de la Ligue, a mis un terme à la coalition gouvernementale qu’il formait avec le mouvement Cinq étoiles afin de provoquer des élections qu’il pensait gagner. Mais une autre coalition s’est mise en place entre le mouvement Cinq étoiles et le parti démocrate. Pour combien de temps ? La France fait exception, mais une partie de l’opinion se radicalise.

 

France : stabilité et mouvements de rue

La France échappe à l’instabilité gouvernementale pour des raisons institutionnelles bien connues : le régime semi-présidentiel et le scrutin majoritaire. Le président de la République, chef de l’exécutif, est élu au suffrage universel direct et ne dépend donc pas de la majorité parlementaire qu’il peut même renvoyer vers les urnes en dissolvant l’Assemblée nationale si elle se montre récalcitrante.

Quant au scrutin majoritaire, contrairement à la représentation proportionnelle, il n’a pas pour objectif d’élire une assemblée qui serait la photographie exacte du corps électoral mais de dégager une majorité parmi les tendances principales.

La contrepartie de cette stabilité gouvernementale apparait aujourd’hui avec la multiplication des manifestions de rue. Les citoyens qui ne se sentent pas représentés par le pouvoir en place manifestent et se font parfois manipuler par des activistes professionnels, comme on l’a vu avec le mouvement des gilets jaunes, utilisé par les black blocs. Les opposants de gauche rêvent même d’une « convergence des luttes » qui aboutirait à déstabiliser le gouvernement.

 

Représentativité et affabulations médiatiques

Il est particulièrement malsain que des partis politiques représentés au Parlement, comme La France insoumise ou le Rassemblement national, souhaitent contourner le processus législatif constitutionnel en appelant à s’unir, hors du cadre institutionnel, contre une majorité élue pour cinq ans. Le jeu normal de la démocratie représentative consiste à respecter le vainqueur de l’élection et à agir pour le remplacer au terme de son mandat, mais seulement à cette échéance. Laisser entendre, comme les leaders des gilets jaunes ou de la gauche radicale, que la majorité n’est pas légitime, c’est évidemment remettre en cause le principe même de la démocratie.

A cet égard, les petits calculs arithmétiques concernant la représentativité de la majorité parlementaire ou présidentielle ne valent rien. On pourra toujours démontrer en démocratie que le gouvernement représente moins de 50% du corps électoral dans son ensemble. La démocratie directe ne résoudrait en rien le problème comme l’indique le niveau d’abstention en Suisse lors des consultations populaires. La démocratie est imparfaite, fort heureusement. Seules les idéologies proposent d’atteindre la perfection par le totalitarisme.

 

Populisme et dérive autoritaire

Ceux qui manipulent la population en jetant le doute sur la légitimité d’une majorité régulièrement désignée n’ont en général que peu de chances d’accéder au pouvoir, ce qui leur permet de diffuser les propositions les plus démagogiques sans crainte de devoir un jour les mettre en œuvre. Ce jeu politique, d’un cynisme absolu, est totalement antilibéral puisqu’il conduit à privilégier le rapport de force et à écarter le dialogue et le compromis, qui sont l’essence même de la liberté politique.

Le populisme résulte de ce refus de jouer le jeu de la démocratie représentative. Le leader populiste en appelle directement au peuple en se présentant comme un émissaire de sa volonté. Depuis l’Antiquité, ce césarisme a toujours abouti à la dictature. Lorsque le démagogue conquiert le pouvoir, il cherche à se passer des corps intermédiaires élus, qui peuvent lui résister, et préfère nommer des fonctionnaires d’autorité à sa botte. Napoléon, Lénine, Mussolini, Hitler ont agi ainsi. Il nous faut espérer en France que ni Marine Le Pen, ni Jean-Luc Mélenchon, ni leurs émules n’accèderont jamais au pouvoir car l’enclenchement d’un processus antidémocratique serait alors probable.

 

Tout, tout de suite

L’impatience de la population affecte également les démocraties. La propension au « tout, tout de suite » se généralise, même lorsque les problèmes posés relèvent de toute évidence du long terme. Les manifestations dites « pour le climat » constituent des moyens de pression sur les gouvernants concernant ce que certains qualifient d’urgence climatique. Mais il est clair que, dans ce domaine, seuls le temps long et l’action géopolitique à l’échelle mondiale sont réellement efficaces. La politique de la France seule n’a strictement aucune influence sur l’avenir du climat. Notre pays est d’ailleurs un très faible émetteur de gaz à effet de serre par rapport à son PIB car son électricité provient du nucléaire et également de l’énergie hydraulique, non émettrices de CO2. Les militants et même les sympathisants sont donc enfermés dans une posture politico-éthique, une sorte de catéchisme du parfait écologiste, qui ne prédispose pas à la réflexion individuelle et à la clairvoyance.

La même analyse pourrait être faite pour la réforme des retraites, à ceci près cependant que ce sont les lâchetés et les erreurs accumulées depuis un demi-siècle par les dirigeants politiques qui sont la source des problèmes actuels. Si, en 1981, au lieu d’accorder la retraite à 60 ans aux salariés du secteur privé, on avait reculé à 65 ans la retraite du secteur public, conformément aux évolutions démographiques, la situation actuelle serait beaucoup plus satisfaisante. Lorsqu’on dispose d’un recul historique suffisant, il apparaît évident aujourd’hui que, réforme systémique ou pas, seul le long terme, le courage politique et la ténacité permettront de concilier vieillissement de la population et solidarité intergénérationnelle.

 

Surinformation et réseaux sociaux

La fragilisation des démocraties provient donc de facteurs multiples. Mais une surinformation de mauvaise qualité, basée sur le goût de la polémique, joue un rôle particulièrement négatif pour attiser les mécontentements. Les médias télévisuels d’information en continu ne sont pas toujours à la hauteur à cet égard. Mais bien évidemment, les réseaux sociaux constituent la véritable catastrophe contemporaine. Beaucoup de braves gens utilisent Facebook pour communiquer à des pseudo-amis des photos, des vidéos et des informations sans le moindre intérêt sur leur vie personnelle. Voilà déjà un recul de l’intelligence. Mais il ne reste pas toujours innocent lorsque les pseudo-amis s’amusent à diffuser des contenus polémiques.

Les politiciens, les partis politiques, les activistes et même des services spécialisés des États-nations, se sont engouffrés dans la brèche pour influencer, manipuler et diffuser des fake-news sur les réseaux sociaux. Donald Trump utilise systématiquement Twitter pour caresser son électorat dans le sens du poil. Le format du message Twitter interdisant toute analyse, il convient particulièrement bien à un électorat populaire dont le niveau culturel tangente souvent le point zéro. Désinformation et théorie du complot sont donc omniprésentes et il s’avère que la capacité de résistance du plus grand nombre est faible.

La démocratie ne peut fonctionner que si l’information est de qualité et le sens du compromis omniprésent. Un minimum vital culturel et une certaine ouverture d’esprit doivent rester présents. L’abrutissement médiatique des citoyens et la valorisation du rapport de force détruisent jour après jour les bases culturelles et éthiques de la démocratie. La déliquescence d’une civilisation n’étant pas compatible avec la liberté, nous devons craindre pour elle.

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