Socialisme et libéralisme « en même temps » ?
18/08/2018
Patrick AULNAS
Socialisme ou libéralisme ? La question semble inusable. En France et ailleurs, ce tropisme binaire reste présent dans la vie politique. Mais au point où nous en sommes, est-il encore possible de rêver d’un pur libéralisme ou d’un pur socialisme doctrinal ? En pratique, il faut composer avec la réalité, qui n’est ni totalement socialiste ni totalement libérale. Seul le pragmatisme, la confrontation au réel en vue de l’infléchir représente un avenir possible.
Pourtant, si les acteurs de l’économie et de la politique, ceux qui prennent les décisions, se résolvent, bon gré, mal gré, à ce pragmatisme, la parole politique se situe fréquemment dans une outrance toute doctrinale.
Les doctrines politiques, simples instruments électoraux
Un exemple récent permettra de le comprendre. L’évolution du droit du travail vers un peu plus de souplesse, tant sous François Hollande que sous Emmanuel Macron, a entraîné des protestations véhémentes aussi bien socialistes que libérales. Pour une partie des socialistes, une réglementation encore plus drastique s’impose. Les salariés ne sont pas assez protégés. Pour certains libéraux, ces réformes ne sont que des prétextes politiciens pour capter un électorat. Leur timidité ne résout rien. Il faut donc les combattre.
Ces prises de position sont purement politiques, à la fois doctrinales et électoralistes. Les doctrines ne sont plus guère qu’un instrument de la politique politicienne. Les théories politiques constituent un inépuisable vivier permettant de faire rêver à un monde meilleur, mais elles sont totalement déconnectées de la réalité. Elles représentent une analyse très partielle de l’état de la société à un moment du temps, mais elles vieillissent très vite, sauf à se cantonner dans le conceptuel pur. Et encore ! Les concepts les plus éthérés ne sont pas à l’abri de l’obsolescence.
La fragilité des théories en sciences sociales
Le marxisme, base idéologique du socialisme, n’était en définitive qu’une pensée réductrice, privilégiant la lutte des classes comme facteur explicatif de la société du 19e siècle. On sait aujourd’hui que les sociétés humaines sont d’une toute autre complexité. Le libéralisme des économistes classiques correspond à une vision naïve et purement théorique du marché. Une petite fonction mathématique simple suffisait à expliciter le prix comme point de rencontre de l’offre et de la demande. On sait aujourd’hui que le marché livré à lui-même dérive vers les monopoles ou les oligopoles et qu’un encadrement juridique est nécessaire. Le marché le plus proche de la théorie classique est le marché des bourses des valeurs (actions, etc.) et c’est aussi le marché le plus réglementé et le plus formalisé qui puisse exister.
Une société socialiste et libérale ?
Malgré leur extrême fragilité, les doctrines rencontrent toujours l’adhésion des naïfs. Les leaders les utilisent pour rassembler, sans plus y croire. Mais du côté de l’électorat, quelques idées simplistes accompagnées de promesses en espèces sonnantes et trébuchantes constituent encore un viatique politique. D’où la survivance tenace de l’opposition libéralisme-socialisme. Cette opposition est tellement confortable : simple (plus d’État ou moins d’État), binaire (liberté ou égalité) et surtout manichéenne (les amis et les adversaires, voire même les ennemis).
En vérité, ce choix n’existe plus. Notre société emprunte au libéralisme et au socialisme. Les deux camps pourraient s’en satisfaire. Mais ce serait trop simple. On n’évacue pas ainsi la politique et l’idéologie. Nous vivons dans une société socialiste du point de vue économique. Avec 46% du PIB de prélèvements obligatoires et 57% de dépenses publiques, la France est sans conteste l’un des pays les plus socialistes du monde. Mais le marché existe pourtant, alors qu’il avait quasiment disparu dans l’URSS d’antan. Il est possible en France de créer librement une entreprise et de la développer. Il faut évidemment supporter une écrasante lourdeur normative et remplir une infinité de CERFA (*). Le marché est strictement encadré mais bien vivant.
La stratégie du « en même temps » et ses limites
Dans un tel contexte, il pouvait paraître habile de proposer le « en même temps ». Ce fut la stratégie d’Emmanuel Macron. Puisque nous vivons quotidiennement dans une société duale, pourquoi ne pas l’admettre au lieu de se chicaner sur des concepts archaïsants ? Pourquoi ne pas regarder la réalité en face et la faire évoluer pragmatiquement ? Bien entendu, les vieux partis de gauche ou de droite n’admettent pas cette désidéologisation.
Elle pose d’ailleurs un problème majeur et tout à fait élémentaire : le rêve. Le politique doit proposer du rêve et ne pas se limiter au constat de l’existant et à son évolution. Demain doit être plus beau, plus juste, plus libre. Bref, les politiciens doivent, sinon proposer un idéal, du moins teinter d’idéalisme leurs propositions concrètes. Ainsi, les innombrables prestations sociales (simple distribution d’argent) se justifient par « l’évolution vers une société plus juste », les multiples contraintes écologiques (simple renforcement du rôle de l’État) par la nécessité de « sauver la planète ».
Sans la part du rêve, la politique est tout simplement sordide. Prendre de l’argent par la force et le distribuer à ses électeurs ? Pas très joli. Renforcer son propre pouvoir en restreignant la liberté individuelle ? Dictatorial. Le paquet cadeau est donc nécessaire. L’emballage doit magnifier l’objet, comme le flacon luxueux valorise le parfum, qui n’est que de l’alcool auquel on ajoute des molécules aromatiques.
Comment Emmanuel Macron et sa majorité parviendront-ils à faire rêver le peuple de France ? Voilà sans doute le principal problème politique auquel la majorité est confrontée. Il faudra trouver des concepts assez puissants pour transformer un sujet aussi technique que la réforme des retraites en une ambition pour l’avenir, un projet pour la jeunesse. Retraite et jeunesse : pas facile !
Ajouter un commentaire