Les mots manipulés par les politiciens

12/11/2018

Patrick AULNAS

Libéral, socialiste, conservateur, mais aussi migrant, mariage, riche ; les mots de la politique sont imprégnés d’idéologie. La maîtrise du verbe est un acquis essentiel pour un politicien, mais la tentation de la manipulation est souvent présente. En jouant sur le flou de ses paroles, un politicien peut faire des propositions mal comprises. En utilisant les glissements sémantiques, il peut rénover le sens des mots sans que cela soit perceptible de tous ses interlocuteurs.

Quelques exemples récents permettront d’illustrer à quel point nos gouvernants ou aspirants gouvernants jouent sur les mots et avec les mots.

 

Le migrant remplace l’immigré

Voici seulement dix ans, il n’était question que d’immigrés. Le mot migrant a brusquement surgi dans le vocabulaire de presque tous les politiciens. Ce n’est pas innocent. Le mot immigré renvoie à l’aspect juridique alors que le mot migrant met en évidence l’aspect humanitaire. Lorsqu’une personne franchissait une frontière sans documents réguliers elle était unanimement qualifiée d’immigré clandestin. Ce terme est exact puisqu’il s’agit bien de venir dans un pays sans respecter les règles juridiques de franchissement de la frontière.

Le terme migrant a été imposé par les pro-immigrations pour éluder la question juridique. L’accent ayant été mis sur « le devoir d’accueil », « l’ouverture à l’autre », un mot valorisant devenait nécessaire. Il faut donc comprendre que le migrant a le droit de migrer, tout comme les oiseaux migrateurs. Refuser de l’accueillir équivaut à « un repli identitaire ».

La substitution du mot migrant au mot immigré comporte donc un contenu idéologique fort : les frontières n’ont pas à être respectées. Tout individu est libre de migrer.

 

Le mariage religieux et le « mariage pour tous »

La réforme de 2013 rendant le mariage civil accessible aux couples homosexuels constitue également une manipulation du langage. On peut approuver le contenu de cette réforme et regretter le glissement sémantique qu’elle implique. Le mot mariage est en effet depuis la nuit des temps l’union d’un homme et d’une femme. Les croyants attribuent à cette union une valeur spirituelle. Par exemple, pour les chrétiens le mariage est un sacrement, c’est-à-dire un engagement pris devant Dieu, qui ne peut concerner les couples homosexuels.

En qualifiant mariage une union homosexuelle, l’objectif est de modifier radicalement le sens du mot et donc l’institution elle-même. Le mariage devient une simple union civile, juridiquement constatée par l’autorité étatique. Apparemment, le mariage religieux n’est pas concerné, mais le contenu sémantique du mot mariage ayant été bouleversé, le sens nouveau heurte de front le caractère sacré du mariage pour les croyants.

La plupart des Églises ne reconnaissant pas le mariage homosexuel, il aurait été possible d’utiliser un autre mot pour les couples homosexuels tout en leur attribuant les même droits. Mais pour la gauche, il s’agissait avant tout d’un combat politique visant à faire prévaloir idéologiquement une conception purement civile de l’union entre deux individus.

 

Les riches et les pauvres

La « taxation des riches » constitue un mantra socialiste depuis un siècle. Mais évidemment, rien n’est plus relatif que la notion de richesse. Au cours de sa campagne électorale de 2012, François Hollande avait affirmé qu’il « n’aimait pas les riches ». En opposant riches et pauvres, il se plaçait ainsi du côté des seconds, dont il recherchait les voix. Mais les questions des journalistes l’avaient amené à sortir de l’ambiguïté. Il avait alors évoqué le seuil de 4000 € par mois. Par personne ou par foyer ? Il lui avait fallu préciser un peu plus tard qu’il s’agissait du revenu net par personne. Hurlements à la gauche de la gauche : seuls 8% des salariés gagnaient plus de 4000 € par mois. Lorsqu’on oblige un politicien à sortir de la manipulation du langage, les armes qu’il a utilisées peuvent ainsi se retourner contre lui.

Quant au mot pauvre, il n’est plus en vogue. Dans les années 60 et 70 du 20e siècle, les politiciens parlaient sans détour des pauvres. L’euphémisme est aujourd’hui de rigueur. Chacun recherche une formule de substitution : les plus défavorisés, les plus modestes, la France d’en bas, ceux qu’on a laissé au bord du chemin, etc. Cette euphémisation correspond sans doute à une réalité : la grande pauvreté a beaucoup régressé depuis un demi-siècle. Il y avait encore d’immenses bidonvilles en France dans les années 60. Le mot pauvre risque donc de renvoyer à une image négative de citoyens ordinaires disposant de ressources financières faibles.

 

Libéral, socialiste, conservateur ?

Sans approfondir le sujet, qui supposerait un livre entier, chacun sait qu’il existe des libéraux, des ultra-libéraux, des libéraux conservateurs, des sociaux-libéraux, des sociaux-démocrates, des socialistes, des radicaux-socialistes, des nationalistes, etc. La liste pourrait se poursuivre sur une page entière. Les citoyens, dans leur écrasante majorité, sont incapables de se situer clairement dans ces catégories. Ils migrent d’ailleurs de plus en plus souvent de l’une à l’autre. Le refus d’adhérer, la versatilité politique caractérisent l’époque.

Il en résulte que les mots des idéologues ne correspondent plus à aucune réalité. Les individus libres se jouent des classifications dans lesquelles on veut parfois les enfermer.

 

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