Les libéraux sont-ils les seuls résistants au pouvoir ?

13/02/2018

Patrick AULNAS

L’image du libéralisme est mauvaise dans le grand public parce qu’elle est associée à l’argent. Les doctrines économiques libérales ont en effet préempté cette philosophie politique avec l’aide très active des marxistes. Le libéralisme économique offre un repoussoir commode à tous ceux qui se réclament du communisme, du socialisme ou même de la social-démocratie. A eux la générosité, aux libéraux l’égoïsme du struggle for life.

 

Le libéralisme, goût de la liberté et non addiction au profit

Mais le libéralisme n’a rien à voir avec l’addiction au profit, ni même avec un intérêt marqué pour l’argent. Il s’agit en profondeur d’une philosophie de l’individu et de sa liberté dans l’espace social. Est libérale toute personne qui place l’individu au premier plan, qui n’accepte pas qu’il soit constamment subordonné à des intérêts collectifs.

Faire société suppose une organisation dans laquelle l’individu trouve sa place, ce qui suppose une discipline commune basée sur des normes juridiques consensuelles. Mais une société libre ne peut pas accepter le primat du collectif sur l’individuel. La liberté est individuelle ou n’est pas. Elle ne consiste pas à adhérer à des orientations idéologiques ou à des mouvements collectifs, mais à disposer du droit de s’abstenir et de droit d’entreprendre.

 

Qu’est-ce qu’un homme libre ?

Qu’est-ce qu’un homme libre aujourd’hui ? Que faut-il à l’individu pour qu’il se sente libre ? L’argent ne compte pas ou très peu. Est libre celui qui se réalise dans une activité qu’il a choisie. Si les quelques instants d’une vie humaine apparaissent comme une succession de choix individuels et non le produit d’un déterminisme, cette vie est une réussite. Vivre libre, c’est être jardinier et aimer jardiner, avoir le goût d’entreprendre et créer une entreprise, vouloir soigner ses semblables et être médecin, disposer d’un altruisme hors du commun et être l’abbé Pierre. Idéalisme de pacotille ? Approche réductrice de la complexité des sociétés contemporaines ? Pas vraiment. Nietzsche préconisait déjà « d’être ce que nous sommes ».

Si la liberté individuelle signifie quelque chose, elle doit être à la disposition de tous. Il n’est donc pas possible de penser que liberté et réussite économique vont de pair. Il n’est pas possible non plus de penser qu’elles sont exclusives l’une de l’autre. Lorsque Bill Gates, après une réussite économique exceptionnelle, crée une fondation pour lutter contre la pauvreté et favoriser l’éducation dans les pays pauvres, il manifeste son sens de la liberté.

Mais a contrario, partir à vingt ans d’Afghanistan avec un peu de monnaie en poche pour tenter de rejoindre l’Angleterre et y réaliser un rêve, c’est aussi exercer sa liberté. Et même si la précarité économique et l’insécurité politique expliquent la migration, celle-ci reste un choix individuel, un acte de liberté.

 

Le libéralisme, dernière grande évolution de la pensée politique

Après que le christianisme ait affirmé en Occident que tout être humain avait le statut de personne et ainsi dépassé l’approche inégalitaire de l’Antiquité qui distinguait esclaves et hommes libres, le seul grand progrès de la pensée politique a été la conquête de la liberté. Le christianisme apportait l’idée d’égale dignité de tout être humain, mais il a fallu attendre de longs siècles, à peu près jusqu’au 18e, pour qu’émerge le concept d’autonomie de l’individu.

Cette autonomie interdit au pouvoir politique de porter atteinte à la capacité de l’individu de penser, de s’exprimer et d’agir selon ses propres valeurs. Nulle obligation de se réclamer d’une affiliation religieuse, idéologique ou partisane dans une société libre. L’individu définit lui-même ses priorités, peut emprunter à plusieurs pensées et appartenir à plusieurs organisations.

Au 20e siècle, le communisme, sous prétexte d’égalité, a cherché à annihiler l’autonomie de l’individu en le soumettant à nouveau à une pensée monopolistique et à une hiérarchie étatique. Il a totalement échoué.

Le dépassement du marxisme n’a pas eu lieu. Il n’y a plus de révolutionnaires parce qu’il n’y a plus de pensée révolutionnaire. L’atavisme constructiviste se manifeste rarement par la violence aujourd’hui. Il prend la forme de propositions réformatrices visant à étendre toujours plus loin la sphère étatique, l’emprise du collectif sur l’individu, la limitation de la liberté individuelle. Les partis écologistes et sociaux-démocrates en sont les principaux représentants, mais certains courants politiques conservateurs les rejoignent dans le domaine sociétal. On pense par exemple à Sens commun cherchant à imposer autoritairement à tous une conception intangible de la famille.

Le libéralisme, lui, est un réformisme visant toujours à résister à la croissance du pouvoir politique, à le cantonner à sa sphère incompressible, les attributions régaliennes (maintien de l’ordre intérieur et extérieur, justice)

 

Résister

Lorsque sous l’impulsion de la prodigieuse croissance économique des deux derniers siècles, les États se sont intéressés à l’économique et au social, le risque majeur pour la liberté a subi une sorte de translation. Il résidait auparavant dans l’accaparement du pouvoir politique par un dictateur qui pouvait être un roi. Il se situe désormais dans l’envahissement du corps social tout entier par de minutieuses réglementations et dans l’utilisation de la violence étatique pour ponctionner des sommes gigantesques sur les revenus et patrimoines en prétextant de l’intérêt général.

Le Léviathan étatique dévore à belles dents la société civile sans le moindre autoritarisme, puisque tout est consenti dans le respect scrupuleux des formes démocratiques.

Ainsi, liberté et démocratie ne vont plus de pair. Et ceux qui se réclament de la liberté contre l’extension sans limite des États démocratiques apparaissent paradoxalement comme des anarchistes. On les appelle libéraux.

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