La femme est-elle coupable d'être femme ?

23/08/2018

Patrick AULNAS

Les religions ont souvent cherché à cacher le corps des femmes. Il peut s’agir de porter un chapeau, des vêtements amples, un voile sur le visage, mais toujours de masquer une partie du corps à la vue des hommes. Les femmes occidentales se sont libérées récemment de ces contraintes culpabilisantes mais les musulmanes peuvent encore y être soumises. Des interprétations, toujours masculines, de la soi-disant parole divine, prétendent les justifier. En France, du fait d’une conception exigeante de la laïcité, le « voile islamique » et ses variantes sont mal accueillis par la population d’origine européenne.

 

Décalage culturel

Cette contrainte vestimentaire apparaît à beaucoup comme une régression et, de fait, elle l’est. Non pas en tant que simple accessoire vestimentaire, mais en tant que symbole d’une obligation faite spécifiquement aux femmes, jamais aux hommes. Prétendre que l’on choisit le voile, comme le font certaines jeunes femmes, constitue une réponse hors sujet. On peut certes choisir la servitude, consacrer l’inégalité hommes-femmes en souscrivant à des obligations spécifiques aux femmes, mais cela ne remet nullement en cause la situation objective d’inégalité. Les hommes échappent toujours à ce type de contrainte.

Il est vrai que dans les années 1970-80, ces querelles infantiles sur la tenue correcte féminine avaient presque disparu dans notre pays. Presque, mais pas totalement. La mini-jupe a fait scandale. Le problème récurrent, qui chatouille certains austères moralistes, est toujours le même : que peuvent-elles montrer en public ? Lorsque la question se double d’une dimension religieuse, elle devient explosive. L’Islam étant devenu la seconde religion de France d’un point du vue numérique, nous avons replongé dans des débats que l’on croyait dépassés.

L’Islam est une religion importée de pays non démocratiques où elle a le statut de religion d’État. Tout le parcours occidental vers la liberté, depuis le siècle des Lumières, n’a pas été effectué dans la plupart des pays d’origine de l’Islam. La liberté religieuse n’y est pas vraiment assurée et la notion de laïcité y est inexistante. De ce point du vue, la situation de ces pays est à peu près semblable à celle qui régnait en France au XVIIIe siècle. L’immigration musulmane a donc amené dans notre pays un grand nombre de personnes culturellement difficiles à intégrer. On ne franchit pas plus de deux siècles d’histoire en quelques années.

 

Le vieux mythe de la femme tentatrice

Le problème le plus apparent concerne la liberté des femmes. Les femmes musulmanes, au Maghreb ou au Moyen-Orient, sont juridiquement soumises à l’autorité masculine du fait de l’enracinement religieux du droit civil. La tradition religieuse impose que, dans l’espace public, leur corps soit caché par des vêtements amples. Les cheveux ne doivent pas être visibles, d’où le voile. Le visage lui-même peut disparaître sous la burqa.

Ceux qui les imposent aux femmes citent des versets du Coran pour justifier ces tenues vestimentaires. Évidemment, beaucoup de musulmans n’approuvent pas cette rigueur réservée aux femmes par les hommes qui les dominent. Pour un non croyant, elle repose sur le vieux mythe de la femme tentatrice que partagent les trois religions du livre. Les femmes « en cheveux » du XIXe siècle étaient également stigmatisées par la bonne société européenne de l’époque, car une femme convenable devait porter un chapeau. L’habillement féminin des occidentales comportait de multiples épaisseurs qui rendaient le corps totalement indiscernable, à l’exception du décolleté des mondaines qui pouvait parfois, mais rarement, être admis.

 

Le corps de la femme et le regard de l’homme

Toutes ces contraintes vestimentaires s’imposant aux femmes ont pour arrière-plan la sexualité. Les hommes, pour peu qu’ils soient hétérosexuels, aiment voir le corps des femmes. Le corps de la femme a été conçu par la nature pour porter un enfant puis le nourrir. C’est le sort réservé aux mammifères. Mais chez Homo sapiens, intelligence et sensibilité ont fait évoluer l’aspect purement biologique pour l’investir d’une dimension culturelle. Le corps des femmes est donc objet de désir et de fantasmes pour la partie masculine de l’humanité. Pour extraire l’être humain de sa condition naturelle de mammifère, les sociétés humaines ont cherché à canaliser l’instinct sexuel. Les religions ont joué un rôle majeur dans ce domaine en moralisant une réalité biologique. La figure de la femme tentatrice est ainsi présente dans les monothéismes juif, chrétien et musulman.

Pour les chrétiens, Ève a provoqué la chute en voulant séduire Adam. La femme étant potentiellement dangereuse pour l’homme, l’acte sexuel n’est admissible que dans le cadre d’un mariage consacré par l’Église. En dehors de ce cadre, il constitue un péché. Cette culpabilisation des croyants n’a plus beaucoup de prise sur les esprits en Occident, mais elle fut longtemps un élément essentiel de la morale commune. Les élites, disposant des moyens matériels et du niveau culturel suffisant, pouvaient d’ailleurs relativiser le dogme religieux. Les aristocrates et les rois avaient des maîtresses ou des favorites, le droit de cuissage existait au Moyen Âge au profit du seigneur, les bourgeois fortunés du XIXe siècle se servaient sans scrupules dans la nombreuse domesticité féminine dont ils disposaient.

 

La révolution sexuelle occidentale

Le libéralisme occidental a bouleversé les relations hommes-femmes, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle. Cette fameuse « libération des femmes » résulte de facteurs complexes, à la fois éthiques (affaiblissement des religions), politiques (le vote féminin), culturels (les filles font des études), technologiques (la contraception) et économiques (le travail féminin). Elle a eu pour conséquence de démocratiser la liberté sexuelle qui n’est plus réservée à une petite élite. Elle a montré également que la liberté des femmes peut exister sans précariser l’ordre social. L’antique culpabilisation religieuse de l’acte sexuel n’est plus nécessaire. Une société peut exister avec des femmes libres, ce qui n’était pas admis par l’ordre ancien.

Mais la liberté occidentale heurte de front la vieille éthique religieuse encore revendiquée par certains. Et cela à deux égards.

 

  • Le moins glorieux est la généralisation de l’accès à la pornographie. Elle existe depuis fort longtemps mais elle était réservée à un petit nombre. Elle s’est généralisée d’abord avec des revues spécialisées et des films puis avec des sites internet. Il s’agit d’une activité économique fondée sur l’importance de l’aspect visuel dans la sexualité masculine. Les clients abondent puisque l’attractivité des images repose sur une manipulation de l’instinct sexuel.
  • Le second aspect a trait à l’érotisation des rapports hommes-femmes. Elle n’est sans doute pas à sens unique, mais c’est évidemment le corps de la femme qui est l’objet du désir, beaucoup plus que l’inverse. Lorsque la simple attirance sexuelle se double d’un plaisir esthétique, nous quittons la pornographie pour accéder à l’érotisme. Quel homme n’a pas été ému, aux beaux jours de printemps ou d’été, par les robes légères de nos compagnes, qui révèlent leurs formes tout en les cachant. Cette modalité contemporaine de la séduction féminine procure aux hommes non seulement le plaisir de deviner sans le voir le corps d’une femme mais aussi le bonheur de la savoir heureuse de son pouvoir de séduction. Tout cela se déroulant dans l’espace public, il a fallu une évolution éthique majeure et acceptée par tous pour accéder à une telle liberté de comportement.
    Les agressions sexuelles qui se sont déroulées à Francfort dans la nuit du nouvel an 2016, et qui étaient majoritairement le fait d’immigrés de fraîche date, ont montré que cette évolution de la mentalité masculine ne s’improvise pas. Les femmes libres occidentales peuvent être perçues comme des proies faciles par des hommes conservant un rapport aux femmes très archaïque.
    Ces hommes n’ont pas disparu du monde occidental, il s’en faut de beaucoup. Pensons à Dominique Strauss-Kahn ou à Harvey Weinstein et à tous leurs acolytes moins célèbres.  Il serait réducteur d’affirmer que la vulgarité et la violence masculines sont des avatars du pouvoir. Mais une situation de domination prédispose à l’abus.

 

L’obsession islamique du corps féminin

L’obsession islamique du corps féminin, qui se manifeste par sa dissimulation imposée, n’a rien de très original. Il s’agit seulement d’un décalage dans le temps par rapport à la libération des femmes occidentales, que les religions locales, christianisme et judaïsme, ont dû admettre, souvent avec réticence. Les dogmes religieux consacrant l’inégalité hommes-femmes n’ont pas disparu mais ils sont en contradiction de plus en plus flagrante avec la réalité sociale. Ainsi, l’Église catholique refuse l’ordination des femmes car le droit canonique l’exclut expressément. De même, un imam ne peut être qu’un homme dans la religion musulmane car seul un homme peut diriger la prière des hommes.

La femme tentatrice des récits monothéistes s’est transformée en Occident en une femme heureuse de l’être et qui rend heureux ceux qu’elle tente. La femme coupable d’être femme est devenue une femme libre disposant de tous les droits des hommes. Il est si difficile de résister à cette aspiration à la liberté que les fondamentalistes n’ont trouvé que la violence la plus sordide pour tenter de maintenir le statu quo. Mais tôt ou tard, l’Islam devra faire amende honorable et rendre aux femmes ce qui appartient aux femmes : leur liberté.

 

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