La chute de l’idole égalitariste

11/07/2018

Patrick AULNAS

Si les partis de gauche crient très fort, mais sans convaincre, il doit exister une raison à cette impuissance nouvelle. Longtemps, leur succès a reposé sur la promesse de « la lutte contre les inégalités ». Cette lutte n’étant jamais terminée, beaucoup d’entre nous se sont posé une question simple : jusqu’où doit-on continuer à lutter dans cette direction ?

 

L’adieu au socialisme

La réponse des professionnels de la politique était prévisible : « Un long chemin reste encore à parcourir ». Une telle réponse relève de la plus élémentaire spontanéité chez un politicien communiste ou socialiste. L’objet de ses promesses ne doit pas disparaître car lui-même disparaîtrait. Faute d’actualiser l’idéologie, ils ont pourtant disparu en grande partie. Au début du 21e siècle, les électeurs ne croient plus aux promesses des dirigeants de la gauche traditionnelle. Ils lui ont dit adieu en se dispersant sur l’offre politique alternative. Il est en effet toujours possible de réclamer davantage d’égalité ; on ne l’atteindra qu’à l’infini, c’est-à-dire jamais. Cet égalitarisme asymptotique a été perçu à juste titre comme une supercherie.

Il reste donc à gauche ceux que l’on qualifie désormais de populistes, Jean-Luc Mélenchon en étant en France le représentant emblématique. Ceux-là font feu de tout bois, la promesse égalitariste n’étant qu’un moyen parmi d’autres de rassembler des mécontents. Ce sont de simples démagogues. Ils n’ont probablement pas d’avenir à long terme car leur corpus idéologique est fragile et ne se rattache que partiellement à la doxa marxiste. En effet, cette nouvelle gauche agglomère diverses minorités (migrants, féministes, homosexuels, etc.) quand l’ancienne prétendait représenter le prolétariat ou plus largement les travailleurs. Il en résulte qu’aucun projet cohérent n’est envisageable du fait de l’hétérogénéité de la base sociologique. Il s’agit de s’opposer aux « dominants » dans différents domaines pour en recueillir les bénéfices politiques, mais sans véritable aspiration à la conquête du pouvoir.

A l’extrême-gauche, le « mâle blanc » représente ainsi l’archétype du dominant dont il s’agit de saper les positions de pouvoir. Ce vocabulaire simpliste, à caractère raciste, a même été utilisé récemment par Emmanuel Macron, qui visait certes un autre objectif. Mais il est infiniment regrettable qu’un Président se laisse aller à de telles facilités verbales.

 

Les deux raisons de la chute du socialisme

Le socialisme ne fonctionne plus désormais pour une raison élémentaire et une raison profonde.

La raison élémentaire est connue de tous : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. » (Abraham Lincoln). Avec la croissance économique des Trente Glorieuses (1944-1974), la falsification politique de la réalité était facile. Les politiciens s’attribuaient par le verbe le mérite de l’élévation générale du niveau de vie, qui en réalité était due aux performances du capitalisme. Lorsque la croissance n’a plus été au rendez-vous, les mensonges sont devenus de plus en plus apparents. Les électeurs ont quitté le navire socialiste avant qu’il ne fasse naufrage.

 

L’égalité précède la liberté

Mais en vérité, au-delà des péripéties de l’histoire récente, la cause profonde du recul de l’égalitarisme est inscrite dans le projet égalitariste lui-même. Les talents, le dynamisme, l’intelligence, le génie parfois, ne sont pas égalitairement répartis entre les hommes. Pourquoi faudrait-il donc qu’un projet politique consiste à établir une égalité des revenus et des patrimoines ? Cela ne se peut. A chaque pas de cette marche vers l’égalité, la coercition politique doit s’accroitre puisqu’on s’oppose à la réalité humaine la plus fondamentale qui est la diversité. Une société égalitaire est nécessairement une société tendant vers le totalitarisme.

C’est le concept d’égalité économique lui-même qui est atteint, en tant que projet politique. L’espoir d’une société égalitaire ne fut qu’un grossier subterfuge pour conquérir le pouvoir au cours du siècle dernier. Le seul projet politique acceptable concerne la liberté. Comment, concilier liberté et pouvoir ? Voilà la grande question depuis des siècles.

Le problème de l’égalité a été résolu très tôt, avec l’apparition du christianisme. L’égalité a précédé la liberté. La liberté ne peut exister sans l’égalité. Selon la religion chrétienne, il n’existe qu’un seul Dieu qui a créé l’homme à son image. Un seul Dieu et un seul homme. Tous les hommes ont une égale dignité pour la divinité. La réification d’un homme est contraire à l’éthique chrétienne alors qu’elle était admise dans l’Antiquité. C’est donc l’égalité ontologique de tous les hommes, créés à l’image de Dieu, qui rend possible la liberté politique.

Sans doute a-t-il fallu attendre le siècle des Lumières pour voir apparaître une philosophie de l’égalité des droits politiques. Mais le pas essentiel avait été franchi bien longtemps auparavant par la proclamation de l’égale dignité de tout être humain au regard d’un dieu. Qu’il s’agisse d’un principe venant de Dieu (pour les croyants) ou créé par les hommes, comme le sont les dieux (pour les non croyants), importe peu.

Cette possible liberté se heurte toujours au pouvoir politique, nécessaire dans les sociétés complexes. Le goût de la domination de certains hommes, ceux précisément qui conquièrent le pouvoir, rend celui-ci potentiellement dangereux pour la liberté. Le pouvoir cherche toujours à étendre et à accentuer sa domination. Il faut constamment lui résister.

 

Le pouvoir est par essence une menace pour la liberté

Le projet politique socialiste n’était donc qu’une opportunité historique née au 19e siècle. L’ambition égalitariste ne pouvait conduire qu’à la dictature (communisme) ou une coercition étatique accrue (socialisme). La vision libérale, qui n’est pas un projet politique constructiviste, repose sur le rapport entre liberté et pouvoir politique, c'est-à-dire sur une problématique fondamentale sur laquelle le temps n’a pas de prise. Le pouvoir sera toujours une menace pour la liberté.

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