Gauche : où en sommes-nous ?

08/03/2018

Patrick AULNAS

Pendant longtemps, la gauche a rêvé de construire une autre société en se référant à une doctrine. Cette époque est révolue. La cause profonde réside dans la prise de conscience de l’inanité des idéologies. L’intelligence humaine se déploie désormais dans les domaines scientifiques et techniques. Il apparait inutile de construire sur le papier des projets clé en main de société future. Un certain pragmatisme semble aujourd’hui nécessaire d’un point de vue politique.

La gauche est très mal à l’aise dans un tel contexte historique. Petit bilan.

 

La mort des idéologies de gauche

Avant la mort des idéologies, les partis de gauche représentaient un courant de pensée cherchant à influer sur le destin des hommes. On était communiste parce que l’idéologie marxiste faisait émerger un espoir de société sans classes. Beaucoup de militants communistes européens des années 1950 n’avaient pas lu Le Capital, mais croyaient sincèrement que l’URSS construisait une société plus juste. Pour les dirigeants, il en allait autrement : ils connaissaient la vérité sur le totalitarisme soviétique, mais leur addiction à la lutte politique ne leur permettait pas d’y renoncer. Il a fallu attendre la chute de l’URSS en 1989 pour que s’ouvrent les yeux des derniers croyants.

Les socialistes pensaient, eux, que la justice résulterait de l’accroissement de la sphère étatique, en particulier dans le domaine économique. Ils étaient sincères également. François Mitterrand a, une dernière fois, exploité leur naïveté en nationalisant des secteurs entiers de l’économie en 1981-82. Le cynisme de Mitterrand a conduit à une lente déconvenue de plusieurs décennies qui aboutit au quinquennat de François Hollande. La rupture entre sociaux-libéraux (Valls, Macron) et socialistes canal historique (Martine Aubry, Benoit Hamon, Henri Emmanuelli, etc.) signe la mort de l’idéologie socialiste, qui était déjà en état de coma profond.

 

La mise en œuvre silencieuse du socialisme

La mort du socialisme démocratique a une cause très simple : il a été réalisé en pratique. Entreprises nationalisées, participation de l’État dans de nombreuses sociétés, assurance-maladie, assurance-chômage, retraite par répartition, éducation nationale gratuite ou peu coûteuse ; la liste pourrait se poursuivre longtemps. En un siècle, nous avons construit en France, sans le dire, une société socialiste. Il est donc bien normal que le parti socialiste s’efface lentement. Mission accomplie. Voilà justement la grande différence avec les communistes, qui eux, ont échoué historiquement.

 

Le seul recours : la démagogie

Alors qu’elle se structurait autour d’un grand parti, le Parti socialiste, la gauche est désormais atomisée. En 2018, on recence principalement les formations suivantes en France : Parti socialiste, Génération.s  (Benoît Hamon), Europe Écologie Les Verts, La France Insoumise (Mélenchon), Parti communiste. S’y ajoute une nuée de petits partis d’extrême-gauche et de micro-partis.

Faute de propositions crédibles, PS et PC ne peuvent plus émerger. Leur histoire s’achève. LFI, le mouvement le plus bruyant médiatiquement, multiplie les promesses sur le papier et sur les ondes. Protectionnisme, hostilité à la construction européenne, fiscalité confiscatoire, embauche de fonctionnaires, réglementation tous azimuts, voilà les grandes options proposées. Elles correspondent aux préoccupations de beaucoup de citoyens qui, face à la globalisation planétaire, se sentent démunis et demandent protection à l’État.

La méthode est éprouvée depuis l’Antiquité romaine, avec les tribuns de la plèbe : répondre à l’inquiétude résultant des évolutions historiques par la démagogie. Evidemment, dans le monde réel d’aujourd’hui, de telles orientations dégraderaient rapidement la situation de ceux que l’on prétend protéger. Le protectionnisme conduirait à la sclérose économique et l’endettement massif résultant de l’alourdissement de la sphère administrative nous mènerait en quelques années à la banqueroute.

 

Une étrange insoumission

Les programmes des partis de gauche reposent tous sur un rôle croissant de la puissance publique. Autrement dit, la gauche veut accorder une place encore plus grande à la politique dans une société où elle gère 57% du PIB (niveau des dépenses publiques en France). L’image de « l’insoumis » étant la seule qui ait attiré les électeurs récemment, il est frappant de constater que le peuple de gauche ne voit aucune contradiction entre insoumission et renforcement de l’État. Voilà une insoumission qui ressemble furieusement à son contraire. Mais il en allait de même pour les bolcheviks au début du 20e siècle.

Il faut sans doute un certain degré d’aveuglement pour concilier insoumission et demande de protection étatique. Il s’agit en effet de se soumettre à un pouvoir politique omniprésent pour retirer de cette servitude des avantages matériels. Du moins en théorie. Mais l’histoire est passée par là et chacun sait désormais que la servitude n’a jamais conduit qu’à l’appauvrissement.

La gauche se trouve ainsi dans une impasse. Puisque nous vivons de facto dans une société socialiste, le seul recours pour survivre consiste à reprendre l’antienne communiste actualisée : la lutte contre le capitalisme mondialisé. Les communistes d’antan n’étaient pas très regardants sur les moyens utilisés dans cette lutte, la splendeur de l’objectif justifiant les moyens douteux.

Il en va de même aujourd’hui. Cela se traduit par des accointances floues d’une partie de la gauche avec l’islamisme radical. Le symptôme le plus apparent en est la stigmatisation constante d’une islamophobie jugée omniprésente. A défaut de disposer d’une alternative crédible au capitalisme, une certaine gauche ne regarde plus avec effroi les dérives les plus violentes. Une nouvelle fois, la fin justifie les moyens.

 

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