Faut-il divulguer la hiérarchie des salaires dans les entreprises ?

10/09/2018

Patrick AULNAS

La transparence en matière de revenus a le vent en poupe. Chacun sait que l’État exige depuis des lustres la transparence totale à propos de nos revenus. Rien ne doit lui échapper. Le Code des impôts prévoit d’ailleurs que le revenu imposable est le « revenu mondial ». Mais désormais, la transparence concerne aussi la vie interne des entreprises. La loi Pacte, dont l’examen en commission a commencé cette semaine à l’Assemblée nationale, pourrait les obliger à publier des informations précises sur la hiérarchie des salaires qu’elles pratiquent.

 

L’amendement transparence des rémunérations

Un certain nombre de députés de la majorité LREM, groupés autour de Matthieu Orphelin, ont déposé un amendement à la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) visant à limiter les écarts « excessifs de rémunération entre le plus petit et le plus haut salaire ».

Pour atteindre cet objectif, l’amendement prévoit la publication obligatoire d’un certain nombre d’informations statistiques sur les salaires versés. A l’opacité des rémunérations devra succéder la transparence, la glasnost disait-on dans l’URSS finissante.

 

Nouvelles obligations

Les nouvelles obligations d’information concerneraient les grandes entreprises, celles qui emploient plus de 1000 personnes en France ou 5000 personnes dans le monde. Les groupes seraient concernés puisque ces seuils s’appliqueraient à « l’ensemble des filiales ou sociétés contrôlées ».

Ces sociétés ou groupes devraient publier chaque année une note d’information comportant en particulier la rémunération moyenne, la rémunération médiane (la moitié des salariés gagne plus, la moitié gagne moins), la rémunération du premier quartile (un quart des salarié gagne moins), celle du troisième quartile (un quart des salarié gagne plus), le ratio entre la rémunération la plus haute et la plus basse. Les évolutions d’une année sur l’autre de ces éléments devraient également apparaître.

 

Réactions politiques en France

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, est favorable à cette proposition. Il a déclaré sur France 2 : « Je considère qu'on doit faire preuve de transparence. Je considère également qu'il est bon que dans une entreprise les écarts salariaux ne soient pas trop importants pour garder de la cohésion au sein de l'entreprise. »

A gauche, personne ne s’en étonnera, cet amendement est jugé insuffisant. Pour cet horizon politique, il ne s’agit pas seulement d’informer mais d’encadrer autoritairement les rémunérations versées par les entreprises privées. Au cours de la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon proposait d’imposer par la loi un écart maximum de 1 à 20 entre le plus haut salaire et le plus bas.

La droite est opposée à l’amendement. Christian Jacob, président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, considère que cette proposition « n’a aucun intérêt » (déclaration sur RTL). En effet, selon le leader LR, l'objectif de la loi Pacte est de rendre l'économie française plus compétitive. Un tel amendement ne serait qu’une opération politicienne visant à satisfaire l’aile gauche de la majorité LREM.

 

L’inspiration anglo-saxonne

Ce tropisme de transparence totale a pour origine les pays anglo-saxons. Les écarts de rémunération y sont beaucoup plus importants qu’en France et certaines rémunérations ont suscité l’opprobre de l’opinion. Aux États-Unis, la rémunération moyenne des grands patrons est, selon les sources, 275 à 350 fois supérieure au salaire moyen. En France, les PDG des sociétés CAC 40 ont en moyenne des rémunérations 70 fois supérieures au revenu moyen français.

Aux Etats-Unis, la SEC (Security Exchange commission), le régulateur américain des marchés, a imposé aux entreprises cotées de publier, à partir de 2017, l’écart entre la rémunération des dirigeants et le salaire médian de l’ensemble des salariés de l’entreprise. La Grande-Bretagne devrait adopter une mesure similaire à compter de l’an prochain.

 

Effets pervers

Ces obligations d’information, qui semblent se généraliser dans les pays occidentaux, pourraient avoir des effets inattendus. La publication dans la presse des rémunérations des grands patrons depuis la fin du siècle dernier semble avoir eu un effet inflationniste sur ces rémunérations. Cette information conduit à une compétition de mauvais aloi entre dirigeants de grandes entreprises, qui n’acceptent pas d’être moins bien payés que leurs pairs. Une rémunération plus faible pourrait en effet signifier, dans une optique de marché, que le dirigeant est de qualité inférieure.

Quel est le ressort profond de ces obligations de transparence ? Elles n’ont rien à voir avec l’économie. Il s’agit d’éthique, de morale, de politique. Chacun le sait, le niveau de vie dans une société n’a aucun rapport avec la hiérarchie de rémunérations. Il dépend uniquement du taux de croissance économique, donc de la compétitivité du pays. Les moins bien lotis n’ont rien à gagner à la réduction des salaires des patrons.

La nécessité de connaître scientifiquement n’est pas non plus en cause. Des instituts de statistiques étudient déjà de façon approfondie les rémunérations et les patrimoines. Mais ces études sont totalement anonymes. Elles ne concernent pas une personne physique ou morale particulière, mais des ensembles statistiques. L’objectif est la connaissance.

Les obligations de publication ont au contraire un objectif de contrôle public, voire de délation médiatique. Elles se fondent sur l’idée simpliste et très répandue que toute personne n’ayant rien à se reprocher n’a rien à cacher. La transparence en toutes choses représenterait ainsi l’acmé de la société parfaite. Chacun serait le Big Brother d’autrui. Les démocraties occidentales ne semblent pas être à l’abri des tentations de cette éthique totalitariste.

D’une manière plus générale, le mythe de la transparence totale repose sur une aspiration égalitariste latente. Il s’agit de permettre à la population de surveiller en permanence le petit nombre des privilégiés. Le ressort profond du phénomène est présent dans toutes les sociétés humaines, même les plus anciennes. Il s’agit de l’envie, qui provient de la volonté maligne d’empêcher la réussite d’autrui ou ses manifestations extérieures. Il n’est pas question de profiter de la richesse d’autrui, de se l’approprier, mais seulement de la rendre impossible par la pression collective vers l’égalité.

Ainsi, sous les apparences d’une éthique démocratique, ce sont les ressources les plus négatives de la nature humaine qui sont exploitées politiquement.

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