La gauche fascinée par l’argent

11/03/2017

Patrick AULNAS

Le rapport ambigu avec l’argent caractérise la gauche. Il s’agit d’une fascination-répulsion qui n’atteint pas la droite. La raison en est simple : l’ambition égalitariste de la gauche passe par la maîtrise de l’argent public. La droite ne partageant pas cette obsession de l’égalité, elle peut accepter que les riches soient riches sans entrer en convulsion. Évidemment, la passion individuelle pour l’argent ne connaît pas de frontières politiques. Elle peut être de droite ou de gauche. Mais le militantisme anti-argent est typiquement de gauche. L’argent est sale, surtout pour la gauche française, beaucoup moins pour la gauche américaine. « Mon ennemi, c’est la finance », disait François Hollande en 2012 pour séduire les sympathisants de Mélenchon.

 

Quand l’argent des autres est abondant, prenons-le

La prodigieuse croissance économique de l’Occident depuis deux siècles est sans doute à la racine de cette focalisation sur l’argent des partis de gauche. Prendre par la violence légitime l’argent des autres peut devenir un programme politique à partir d’un certain niveau de développement. Jusqu’au XVIIIe siècle, la capacité de production était si faible qu’aucune ambition redistributive n’était envisageable. Dans l’esprit de tous, les inégalités économiques relevaient de la fatalité. Quelques chiffres permettent de le comprendre. Le PIB de la France est estimé à 21 milliards de $ en 1700 et à 38 milliards en 1800. En 1950, il est de 220 milliards de $ et en 2016, il se situe autour de 2300 milliards de $. Alors que la production n’avait même pas doublé au cours du XVIIIe siècle, elle a été multipliée par plus de10 entre 1950 et 2016.

 

La main invisible est immorale, redressons la situation

L’antique fatum, qui cantonnait le peuple dans la misère, disparaît automatiquement avec la croissance. Car évidemment, on produit pour consommer. Les gigantesques quantités produites par les économies les plus avancées doivent nécessairement se traduire par une hausse du niveau de vie de tous. Avec des inégalités, sans aucun doute. Même si la main invisible d’Adam Smith peut conduire à l’intérêt général en laissant chacun poursuivre son intérêt particulier, elle ne prédispose pas à l’égalitarisme. Voilà donc une opportunité politique nouvelle : réduire les inégalités de niveau de vie par le politique. Comment ? En prélevant autoritairement impôts et cotisations et en redistribuant selon des critères… politiques, habilement travestis en principes moraux. Le niveau de richesse global l’autorise. Les plus riches seront un peu moins riches. Les plus défavorisés – les pauvres, au sens ancien, pouvant mourir de faim ou de froid, ont pratiquement disparu – le seront ainsi un peu moins.

 

Des sous et encore des sous pour construire un avenir radieux

L’habillage moral de cette posture politique étant à la portée de tout individu, la gauche ne se prive pas depuis des lustres d’utiliser sa supériorité éthique autoproclamée. Les dirigeants de droite, il faut bien le dire, ont souvent ressenti un manque en ne pouvant brandir l’argument de la défense des plus faibles dans une société riche. Voilà qui explique sans doute en partie la croissance exponentielle des prélèvements obligatoires en Occident, comme si une loi économique ou politique liait croissance du PIB et croissance de l’interventionnisme public. Mais cette idée n’épuise pas le sujet. En sortant de la pénurie, il est probable que l’Homo sapiens ait ressenti l’envie d’organiser rationnellement la production et la distribution. Son imagination débordante le porte à élaborer des projets d’avenir à caractère global. C’est ce que Pascal Salin qualifie de constructivisme. La gauche habille cette propension d’un optimisme de composition : l’avenir sera plus juste que le passé. Mais l’optimisme passe par le pouvoir économique et financier de l’État, la maîtrise de l’argent.

 

Le pactole des prélèvements obligatoires

On connaît la phrase célèbre de Lord Acton : « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Il n’en va pas différemment du pouvoir que donnent les finances publiques. Lorsque les dépenses publiques dépassent un certain seuil, le pouvoir qu’elles octroient aux politiciens devient considérable. Les promesses succèdent aux promesses en vue de la conquête des mandats électifs. La démagogie et le populisme reposent alors sur les engagements électoraux de distribution des deniers publics à telle ou telle catégorie-cible. Voilà bien où se situe aujourd’hui la fascination de la gauche pour l’argent. Elle n’accède plus au pouvoir que sur des critères purement économiques et financiers. En maîtrisant l’État, elle dispose du gigantesque pactole des prélèvements obligatoires et d’une capacité d’emprunt tout aussi gigantesque. Comment ne pas se servir de ce pouvoir pour conforter ses positions ? Comment croire un seul instant à l’altruisme des hommes de pouvoir ?

 

La soviétisation rampante

Dans Du pouvoir, histoire naturelle de sa croissance, Bertrand de Jouvenel a montré que le pouvoir politique est toujours à la recherche de sa propre puissance. Il s’agit d’un univers en expansion. Louis XIV disposait des lettres de cachet pour enfermer quiconque lui portait ombrage. Mais les gouvernants d’aujourd’hui possèdent une information fine et nominative sur la situation économique et financière de chaque citoyen. L’arbitraire est moindre, la puissance est infiniment supérieure.

Le transfert de la puissance économique à l’État transforme profondément le politique. Les attributions régaliennes passent presque au second plan. L’important est désormais de configurer la société en utilisant l’argent public. Les programmes les moins réalistes dans ce domaine attirent un grand nombre d’électeurs comme le miel attire les mouches. La comparaison pourra sembler offensante mais elle est tout à fait pertinente. Le revenu universel de Benoît Hamon, non finançable, permet de drainer les jeunes précaires, la sortie de l’euro de Marine Le Pen fait rêver à une société protectionniste totalement révolue, le non remboursement de la dette publique de Jean-Luc Mélenchon repose sur la haine des prêteurs. Ils sont riches, prenons leur argent.

Les promesses d’espèces sonnantes et trébuchantes font dresser l’oreille. Rien de bien nouveau. Sinon que les politiciens disposent aujourd’hui du pouvoir d’accaparer une fraction toujours croissante du revenu des individus. Jusqu’où la tendance peut-elle se poursuivre ? La gauche ne répond jamais à cette question. Les prélèvements obligatoires peuvent-ils atteindre 60%, 70% du PIB, voire plus ? Pour certains, fascinés par le pouvoir que donne la maîtrise de l’économie, sans aucun doute. La soviétisation de nos sociétés a encore des adeptes, mais ils le cachent soigneusement.

 

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