Abstention et troisième tour social

26/06/2017

Patrick AULNAS

Beaucoup de commentateurs ou d’acteurs politiques invoquent le fort taux d’abstention des législatives pour justifier le fameux « troisième tour social » qui pourrait avoir lieu en septembre ou à l’automne. Mais peut-on sérieusement considérer qu’il est légitime de s’opposer par la force au résultat des élections présidentielles et législatives. Les grèves, manifestations, blocages des dépôts des carburants ou des raffineries, ou même des moyens de transport, peuvent-ils se justifier par le désintérêt ou le refus de s’exprimer dans les urnes d’un grand nombre de citoyens ?

 

Que signifie l’abstention ?

L’abstention recouvre des situations très variables. Certaines personnes s’abstiennent contre leur gré (maladie, hospitalisation, absence du domicile). Dans ces cas, le vote par correspondance est très insuffisant car « le matériel de vote » est envoyé au domicile et il est impossible de se le faire adresser ailleurs. Quant au vote par procuration, il suppose une confiance totale accordée au mandataire. Il faut noter que les français de l’étranger (1 780 000 personnes inscrites dans les consulats) ont été privés en 2017, pour les législatives, du vote par internet qui avait été organisé dans de bonnes conditions en 2012. Le taux d’abstention a donc grimpé (de 78% à 90% d’abstentions selon les circonscriptions). Ces chiffres recouvrent une forte abstention involontaire (éloignement du lieu de vote).

Mais qu’en est-il de l’abstention volontaire aux dernières législatives ? Deux explications principales existent.

 

  • Le désintérêt pour la politique en général (abstention structurelle). Ce désintérêt peut aller jusqu’à la non-inscription sur les listes électorales. Les inscrits représentent environ 90% des français majeurs. Le désintérêt peut parfois provenir de la défiance envers l’ensemble des politiciens ou du refus des principes actuels de la démocratie (anarchisme), voire du rejet du principe démocratique lui-même (fascisme).
  • Le refus de choisir entre les candidats en lice ou le sentiment que tout est joué avec la présidentielle, ou dès le premier tour des législatives (abstention conjoncturelle). Le refus de choisir au premier tour suppose un refus du réel car le nombre de candidats était pléthorique dans la plupart des circonscriptions et chacun pouvait trouver chaussure à son pied. Refuser de choisir entre deux candidats au second tour est assimilable à un réflexe anti-démocratique : « mon candidat ayant été éliminé, je n’accepte aucun compromis ». Mais le fonctionnement d’une démocratie n’est qu’un ensemble de compromis pour vivre ensemble en paix.

 

L’abstentionniste démocrate doit accepter que les autres choisissent

Une abstention très importante (57% au second tour des législatives) affaiblit incontestablement la démocratie représentative car elle constitue un refus de se plier à la réalité de son fonctionnement. Il s’agit plus fréquemment d’émotion que de raison. Il peut y avoir de la colère, du désespoir, de la déception derrière une abstention. Mais l’abstention ne saurait remettre en cause la légitimité du résultat si une partie significative du corps électoral s’est prononcé. Le minimum éthique incompressible pour un démocrate consiste à admettre que s’il s’abstient, il laisse toute latitude à ceux qui se prononcent de désigner les gouvernants. Bien entendu, cela ne vaut que si les libertés publiques sont effectives (expression, réunion, association, etc.). Mais qui pourrait prétendre qu’elles ne l’ont pas été ?

 

Manque de réalisme ou rejet de la démocratie ?

Les abstentionnistes ne peuvent contester le résultat que s’ils rejettent la démocratie elle-même ou s’ils rêvent d’une démocratie idéale qui n’est qu’une chimère. Il en résulte que les analyses des résultats en fonction des inscrits présentent sans doute un intérêt statistique mais ne remettent pas en cause la légitimité de l’élection.

 

Résultats des législatives 2017, France entière, en % des inscrits (Ministère de l’Intérieur)

Étiquette

% des inscrits premier tour

% des inscrits deuxième tour

La République en Marche

13,44

16,55

Les Républicains

7,51

8,54

Parti Socialiste

3,54

2,18

Front National

6,29

3,36

La France Insoumise

5,25

1,87

 

 

Les analystes citent en général le chiffre de LREM pour relativiser l’importance de la victoire, mais se gardent bien de fournir ceux des autres partis. Bien entendu, les leaders du FN ou de LFI se répandent dans les médias en invoquant les 13% (seulement) de LREM sans jamais, ô grand jamais, faire état de leur pitoyable 5 à 6%. Tout cela n’est évidemment que de la politique de bas étage visant à accrocher facilement le lecteur pour les journalistes ou à contester la légitimité du pouvoir pour les petits partis d’opposition radicale.

Voici la seule vérité : si le gagnant n’a eu qu’une médiocre victoire, que dire de ses opposants ?

 

Les perdants peuvent-ils faire parler les abstentionnistes en leur faveur ?

Voilà bien une facilité devant laquelle ne reculent pas de nombreux vaincus. Ils analysent l’abstention comme une opposition qui n’a pas su s’organiser. Une telle attitude n’est pas éloignée de la pratique très restreinte qui consiste à faire voter les morts dans certaines régions. Evidemment, une abstention, c’est … une abstention. Il est impossible de l’interpréter comme une opposition exprimée clairement en faveur de ceux qui ont perdu l’élection. Tout au plus peut-on la considérer parfois comme une opposition globale, y compris aux propositions des perdants.

Il est donc impossible pour un perdant de s’annexer a posteriori « le parti des abstentionnistes » comme ont tendance à le faire certains démagogues. Les abstentionnistes n’appartiennent à aucun parti ni à aucun syndicat et se réclamer d’eux pour justifier ses clameurs relève de la tromperie. Mais les faibles ont besoin de paraître fort en usurpant les voix du silence.

 

Le troisième tour social est illégitime

La détestable expression journalistique de « troisième tour social » est une injure à la démocratie. Ce troisième tour ne pourrait s’analyser que comme la remise en cause d’une élection à la légitimité incontestable. Pourquoi ? Parce que Macron a annoncé clairement son programme. Outre la « moralisation » de la vie politique, six réformes ont été programmées pour les 18 premiers mois du quinquennat. Elles concernent : le Code du travail, la CSG, la formation professionnelle, l’assurance-chômage, l’apprentissage, les retraites. Les électeurs ont donc approuvé le principe de ces réformes. Il reste à en définir les modalités, mais le Parlement peut alors jouer son rôle de lieu de débats. Toutes les sensibilités politiques y sont représentées et toutes peuvent s’exprimer librement.

La démocratie ne promet rien d’autre que cette liberté d’expression. Elle n’autorise pas la minorité à saboter le travail législatif par des milliers d’amendements pratiquement identiques à examiner, comme on l’a vu par le passé. Ce comportement honteux de certains députés justifie amplement le recours aux ordonnances pour la modification du Code du travail. Au demeurant, les ordonnances supposent une loi d’habilitation et une loi de ratification permettant un débat parfaitement démocratique.

Contrairement à la droite qui restait floue sur les réformes au cours des campagnes électorales précédentes, ou à François Hollande qui a laissé entendre, au moins dans ses discours, qu’il représentait une gauche dure, Macron a annoncé la couleur avant son élection. Tenter d’empêcher les réformes promises serait donc s’opposer au choix de la majorité des français.

Les syndicats ont certainement pris la mesure de cette difficulté. Ils ne regroupent déjà qu’une petite minorité de salariés. Qu’une petite cohorte de gros bras cherche à bloquer le pays et ils risquent la marginalisation. Les divergences avec le gouvernement sont normales en démocratie, mais se mettre objectivement au service du front Mélenchon-Le Pen, une minorité tentée par l’autoritarisme, présente un très gros risque pour l’avenir du syndicalisme.

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