Juppé et Sarkozy : deux stratégies

16/11/2016

Patrick AULNAS

Quel que soit le prochain Président de la République, la droite de gouvernement sera confrontée à la même réalité : la société ouverte sur le monde et la concurrence inhérente, les résistances syndicales, la dette abyssale et les déficits publics, les prélèvements obligatoires plus élevés que jamais, l’arrivée massive de migrants, les interventions militaires extérieures. On n’imagine pas facilement qu’entre Juppé, Sarkozy et Fillon, il puisse y avoir des différences politiques profondes lorsqu’ils se trouveront face à cette réalité. Des nuances, certes, mais pas davantage. Pourtant, les deux favoris des sondages ont choisi deux stratégies distinctes de conquête du pouvoir.

 

Alain Juppé et le rassemblement

Pour Alain Juppé, l’électorat auquel on s’adresse pour conquérir le pouvoir doit également représenter la majorité avec laquelle on souhaite gouverner. Il cherche donc à rassembler ceux qui gouverneront avec lui : Les Républicains (LR) et les centristes (MODEM, UDI). Les centristes soutenant Juppé adhérent à ses propositions mais attendent un accord électoral en vue des élections législatives. Leur soutien est conditionné par l’octroi, en position éligible, d’un certain nombre de circonscriptions. En pratique, les candidats LR devront se désister en faveur des centristes lorsque ceux-ci arriveront en tête au premier tour.

Juppé Président disposera donc d’une majorité composite mais soutenant sa politique. Il ne devrait pas y avoir de difficulté majeure au niveau du Parlement à condition d’accepter les compromis avec le centre, ce qui est l’essence même de la démocratie.

 

Nicolas Sarkozy et le clivage

Nicolas Sarkozy dissocie nettement conquête et exercice du pouvoir. Il cherche d’abord à conquérir un électorat pour accéder à la Présidence. Mais l’exercice du pouvoir ne pourra pas correspondre aux aspirations d’une partie de cet électorat. En effet, il considère que le centre de gravité politique pour la conquête du pouvoir se situe très à droite de LR. Les journalistes spécialisés ont pu observer que certains militants UMP soutenant Sarkozy avaient également la carte du Front National. Comme en 2007, Nicolas Sarkozy pense pouvoir aspirer une partie de l’électorat frontiste.

Les discours de campagne reposent alors beaucoup sur les diverses déclinaisons de la thématique « nous-eux » (français-étrangers, peuple-élite, travailleurs-assistés, etc.). Évidemment, l’exercice du pouvoir ne sera pas du tout en harmonie avec l’électorat frontiste ainsi conquis. Nicolas Sarkozy est un libéral mâtiné de bonapartisme qui fera une politique très proche de celle d’Alain Juppé. En tout état de cause, il faudra une alliance avec les centristes pour les législatives de juin 2017. La majorité parlementaire de Sarkozy ne pourra pas être très différente de celle de Juppé. Elle ne correspondra pas à sa majorité présidentielle.

 

Majorité parlementaire et majorité présidentielle

C’est le régime semi-présidentiel français qui induit cette problématique. Jusqu’à 2002, le Président de la République était élu pour 7 ans. Élections législatives et présidentielles étaient totalement dissociées dans le temps. Il en résultait que majorité parlementaire et majorité présidentielle ne coïncidaient pas toujours. Une cohabitation droite-gauche était parfois nécessaire. Cela s’est produit trois fois. Sous la présidence de Mitterrand, Jacques Chirac fut Premier Ministre de 1986 à 1988, puis Édouard Balladur de 1993 à 1995, du fait d’une majorité parlementaire de droite. Sous la Présidence de Jacques Chirac, Lionel Jospin fut nommé Premier Ministre en 1997 à la suite d’une dissolution et de l’arrivée d’une majorité parlementaire de gauche.

Le passage au quinquennat était motivé, en particulier, par la volonté d’éviter les cohabitations. Les élections législatives surviennent désormais immédiatement après la Présidentielle. On espère ainsi que les deux majorités coïncident et c’est bien ce qui s’est produit depuis 2002. Mais il apparaît que les candidats à la Présidence de la République font parfois campagne sans respecter l’harmonie nécessaire entre les deux majorités. La volonté de conquérir le pouvoir peut les porter à élargir l’électorat présidentiel par des promesses ou des discours assez démagogiques.

 

Le corps électoral n’est pas un simple instrument

Depuis 2002, date de la réélection de Jacques Chirac, les citoyens français subissent donc cette dichotomie larvée entre majorité parlementaire et présidentielle correspondant aussi à une dissociation nette entre conquête et exercice du pouvoir. La conquête du mandat de Président de la République obéit à une stratégie spécifique. L’exercice du pouvoir suppose une majorité parlementaire. Une fois le pouvoir conquis, son exercice ne dépend plus de l’électorat qui a désigné le Président de la République. Cette forme de monarchie républicaine conduisant le chef de l’exécutif à s’exonérer de sa dette envers ses électeurs suscite un malaise croissant. Les électeurs ne veulent pas être traités comme un simple instrument d’accession au pouvoir. Ils entendent qu’on les respecte, même si les moyens existent, du fait des études d’opinion, pour considérer le corps électoral comme une simple matière que l’on peut travailler tout à loisir.

Rappelons-nous que Jacques Chirac avait été élu en 2002 avec plus de 82% des suffrages du fait de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour. Le gouvernement Raffarin, constitué en 2002, ne comportait cependant que des ministres UMP. Les français ont ressenti cette absence d’ouverture comme une trahison. Le phénomène inverse se produit en 2007 : Nicolas Sarkozy parvient à capter une partie de l’électorat du Front National pour l’élection présidentielle. Mais il nomme quelques ministres issus de la gauche et présentés comme « prises de guerre » par certains médias. Cette ouverture à gauche ne correspond absolument pas à l’électorat présidentiel. En 2012, François Hollande fait des promesses tous azimuts, sinon dans son programme, du moins dans ses discours. Mais il mène une politique sociale-démocrate, voire sociale-libérale sous certains aspects, qui déçoit profondément une large partie de ses électeurs.

 

Que veulent les français ?

Qu’on les respecte, tout simplement. Surtout quand on prétend les gouverner. C’est un devoir, un impératif catégorique. Le programme que l’on propose doit être en adéquation avec la majorité dont on dispose. La conquête du pouvoir n’est pas une fin en soi. Elle n’est que le passage obligé pour réaliser ce que l’on croit juste et nécessaire.

Si Alain Juppé est élu Président de la République, il le devra à la cohérence de sa démarche. De même pour François Fillon. Ils gouverneront avec ceux qui les ont soutenus. Si Nicolas Sarkozy gagne, il le devra à une stratégie politicienne de captation d’un électorat qui ne figurera pas dans sa majorité parlementaire. Certains de ses électeurs se sentiront donc trompés. Mais les citoyens ne sont plus dupes. De plus en plus nombreux sont ceux qui analysent assez finement les manœuvres politiciennes car l’information existe désormais. Les français exigent de leurs gouvernants un minimum éthique. Qui pourrait le leur reprocher ?

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