Les enfants perdus de la République

10/01/2015

Patrick AULNAS

Faire régner la terreur pour annihiler la liberté, voilà bien un comportement aussi ancien que l'humanité. Que la terreur provienne du pouvoir politique ou des individus. Pourquoi craindre la liberté ? Parce qu'elle nécessite la distance, l'esprit critique, qui gêne tous ceux qui ne jurent que par la croyance aveugle ou le pouvoir autoritaire. Lorsque la liberté s'exprime par des dessins mettant en évidence les petitesses des puissants et le ridicule des adeptes de l'intégrisme, nous faisant rire de ce que certains voudraient sacraliser, elle devient insupportable pour les fanatiques et déclenche la violence.

Comment peut-on vouloir tuer les dessinateurs de Charlie Hebdo ? Tout homme normal se contente de rire, de sourire, voire de ressentir une provocation en regardant des caricatures, fussent-elles d'un dieu ou d'un prétendu prophète. Quoi de plus salutaire que de rire de nous-mêmes, pauvres humains. De nos petitesses, de nos maladresses, de nos croyances même. Pourquoi tuer ceux qui nous proposent de partager un petit instant d'irrévérence, de malice, de provocation ?

Il est difficile de trouver une réponse satisfaisante à ces questions. Mais il faut beaucoup de désillusions, beaucoup de frustrations, beaucoup de souffrance pour transformer un être humain en fanatique prêt à tuer froidement. La haine de la société dans laquelle il vit se manifeste par la volonté de détruire l'autre érigé en ennemi. Il faut pour cela qu'un enfant à la dérive rencontre un mentor qui le valorise en lui confiant une mission sacrée. La sacralisation du meurtre suppose une idéologie ou une religion instrumentalisée par des politiques pour justifier la transgression. Tuer n'est plus tuer : il s'agit de sauver le monde et de détruire les adeptes du mal.

Les frères Kouachi et bien d'autres ont parcouru ce chemin qui transforme un homme en simple instrument au service des tyrans du pseudo État islamique. Pour fuir le désespoir, les enfants perdus de la République ont choisi la haine en se donnant à un dieu imaginaire et maléfique créé de toutes pièces par des manipulateurs haïssant la liberté.

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