La France au XXIe siècle : déclin ou transition ?

12/09/2015

Patrick AULNAS

Les indicateurs quantitatifs concernant la France ne conduisent pas à l’optimisme. La question du déclin français est donc posée depuis de nombreuses années. Mais la démarche prospective étant complexe et hasardeuse, il est toujours possible d’avoir plusieurs lectures des évolutions qui configurent l’avenir. Les chiffres sont inquiétants, mais pour certains analystes ils traduisent une mutation vers une autre société alors que pour d’autres ils représentent la mesure objective du recul français. Il serait hasardeux de trancher sans nuances. Voici donc quelques statistiques officielles préoccupantes et quelques signaux d’une société en transition.

 

De la faible croissance à la stagnation

 

France. Évolution de la croissance annuelle du PIB par rapport à l’année précédente en % (INSEE)

Années

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

PIB en valeur

5,5

4,0

3,2

2,7

4,5

3,6

4,6

5,0

2,6

–2,8

3,1

3,0

1,3

1,4

0,8

PIB en volume

3,9

2,0

1,1

0,8

2,8

1,6

2,4

2,4

0,2

–2,9

2,0

2,1

0,2

0,7

0,2

 

France. Évolution du PIB par habitant en € (EUROSTAT)

Années

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

PIB par habitant

29 100 

29 500 

29 600 

29 600 

30 200 

30 500 

31 000 

31 500 

 

Années

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

PIB par habitant

29 100 

29 500 

29 600 

29 600 

30 200 

30 500 

31 000 

 

La croissance économique ralentit, surtout en volume, avec une quasi-stagnation depuis 2012. Bien entendu, cela se traduit par un PIB par habitant qui marque le pas. Depuis 10 ans, il fluctue autour de 30 000 €. Le mal-être français s’explique en partie de cette façon, d’autant que les prélèvements obligatoires ont beaucoup augmenté ces dernières années. Le revenu disponible par habitant ne progresse pas : selon l’INSEE, il était de 19 960 € en 2010 et de 19 221 € en 2013.

 

Le recul de l’industrie

 

France. Évolution du solde de la balance commerciale en milliards d’€ (INSEE)

Années

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Solde balance commerciale

11,6

-8,2

-0,8

3,7

-1,0

-9,8

-28,1

-34,4

 

Années

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Solde balance commerciale

-46,3

-57,7

-43,9

-54,9

-75,4

-67,9

-54,2

-48,0

 

Le solde de la balance commerciale était redevenu positif dans les années 1990 après d’importants déficits dans les années 1980. Mais depuis l’année 2000, la situation ne cesse de se dégrader. Des soldes négatifs d’une importance jamais atteinte s’accumulent année après année. Cette évolution est le symptôme d’un manque de compétitivité de l’industrie française qui peine à exporter ses produits. La tradition séculaire du colbertisme s’était manifestée à la fin du 20e siècle par de grands programmes industriels pilotés par l’État : Concorde, TGV, fusée Ariane, automobiles Renault, centrales nucléaires. Le succès fut au rendez-vous car la concurrence internationale restait faible. Mais ce modèle est totalement inadapté au 21e siècle dans la mesure où le savoir-faire industriel n’est plus réservé à quelques pays occidentaux. Au capitalisme de connivence État-grande industrie devrait se substituer un capitalisme de la concurrence que les élites françaises rejettent. Malgré le riche tissu de petites et moyennes entreprises que possède le pays, le bout du tunnel n’est donc pas en vue. La caste dirigeante tient toujours les rênes.

 

Une dette publique inquiétante

France. Évolution de la dette publique en % du PIB (EUROSTAT)

Années

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Dette publique

58,7 

58,2 

60,1 

64,2 

65,7 

67,2 

64,4 

64,4 

68,1 

79,0 

81,7 

85,2 

89,6 

92,3 

95,0

 

France. Évolution du déficit public en % du PIB (INSEE)

Années

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Dette publique

1,4

1,5

3,2

4,1

3,6

2,9

2,3

2,7

3,3

7,5

7,0

5,1

4,8

4,1

4,0

 

La France respectait en 2000 les critères imposés par le traité de Maastricht pour l’entrée dans la zone euro : dette publique inférieure à 60% du PIB, déficit public inférieur à 3% du PIB. Elle faisait partie des bons élèves de l’Union européenne. Comme on le sait, la dette publique résulte de l’accumulation de déficits publics année après année. Les collectivités publiques empruntent pour financer une partie de leurs dépenses parce que les politiciens n’ont pas le courage de refuser certaines dépenses ou de les financer par l’augmentation des prélèvements obligatoires. On ne répètera jamais assez qu’il n’y a aucune raison, en dehors de la démagogie et du clientélisme politique, pour qu’un État riche se laisse dériver vers le surendettement. Ce dysfonctionnement majeur de la démocratie représentative ne peut être justifié par aucune analyse économique ou sociale. Il s’agit d’un affaissement complet de l’éthique financière publique : l’argent des autres n’est plus qu’un moyen au service de la carrière d’une caste de politiciens.

Si les déficits publics exceptionnels de 7,5 et 7% des années 2009 et 2010 peuvent s’expliquer en partie par la sévère crise financière que vivait le monde à ce moment, le glissement vers des déficits supérieurs à 3% à partir de 2002 n’a aucune autre explication que la gestion intéressée des gouvernants. La dette publique représente un capital de plus de 2000 milliards d’€ producteur d’intérêts. Les intérêts à payer aux créanciers détenteurs des titres de la dette deviennent désormais prohibitifs. D’après l’Agence France Trésor qui gère la dette publique française, la charge nette de la dette (approximativement les intérêts payés), s’est élevée à 44,89 milliards d’€ en 2013. Les autres grands postes de dépenses du budget de l’État étaient les versements aux collectivités territoriales (58 milliards), l’éducation (46 milliards), les pensions de retraite (40 milliards) et la défense (30 milliards). Les intérêts de la dette constituent donc l’un premiers postes de dépenses de l’Etat, alors que les taux d’intérêt sont à leur plus bas niveau historique. Il est évident que la remontée des taux d’intérêt, qui ne peut manquer de se produire, mettra l’État dans une situation de quasi-faillite, sauf à réduire drastiquement les dépenses publiques, ce qui ne peut pas s’improviser.

 

La folie des emplois publics

Le ministère de la Fonction publique propose dans ses chiffres-clés le graphique suivant :

 

Evolution des effectifs des trois fonctions publiques depuis 2000

 

Si les effectifs de la fonction publique d’État ont été maîtrisés, il n’en est pas de même des fonctions publiques territoriales et hospitalières dont les effectifs ont augmenté respectivement de 40% et 20% en une décennie. Le fameux mille-feuille administratif est responsable de cette aberration au  niveau local. De multiples échelons ont été créés, en particulier avec les intercommunalités, augmentant à la fois le nombre de postes politiques et administratifs. La région étant aujourd’hui suffisante du fait de la rapidité des déplacements et de la communication numérique, il avait été envisagé de supprimer le département. Mais là encore, la caste des politiciens a usé de son influence pour maintenir les postes et les dépenses et rien n’a été fait. L’obsolète département existe toujours.

 

La pathologie réglementaire

En 2009, le site Contribuables associés s’exprimait ainsi :

« Il y a en France 8 000 lois et 400 000 textes réglementaires, auxquels s’ajoutent 6 000 traités internationaux.

Les 8 000 lois sont de taille très inégale : de 3 à 500 articles ! Le nombre annuel des lois adoptées s’est accru de 35 % en 30 ans, celui des décrets, de 25 %. Le nombre de pages du Journal officiel a doublé en 15 ans. Les économistes estiment que cette complexité pèse à hauteur de 3 à 4 points sur le produit intérieur brut (PIB). »

Une telle inflation normative résulte de l’immixtion du pouvoir politique dans tous les domaines de la vie. La professionnalisation des fonctions politiques, la multiplication du nombre d’élus et la volonté des politiciens de contrôler toutes les évolutions sociales, sociétales et économiques est à la racine de cette pathologie. Un État qui domine à ce point la société civile en l’enserrant dans un réseau normatif sans cesse plus dense n’est plus un État démocratique. La démocratie ne consiste pas à élire des producteurs de normes juridiques mais à disposer du maximum de liberté pour s’exprimer et agir. Le droit ne doit être qu’un cadre général.

 

Les signaux de la transition

Les constats présentés ci-dessus conduisent à penser que la France ne s’est pas adaptée à l’évolution du monde et qu’elle décline peu à peu. Pourtant, il existe des interprétations différentes, qui, sans nier les observations quantitatives, les relativisent.

1. La faible croissance n’est pas considérée comme un mal en soi chez les écologistes. Les thèses prônant la réduction de la production persistent, même si elles sont minoritaires. Cette problématique est probablement d’ailleurs sans grand intérêt, la question pertinente étant le contenu de la croissance. On peut imaginer une forte croissance économique largement immatérielle, à base de prestations de services et de recherche, avec une consommation de matières premières et d’énergie très faible. Est-ce l’avenir ? Peut-être.

2. L’importance de la  dette publique est minimisée par certains analystes pour deux raisons principales. D’abord, un État n’aurait pas à rembourser sa dette puisqu’il n’a pas vocation à disparaître un jour comme une entreprise ou un particulier. Pour être tout à fait exact, il s’agit de renouveler la dette et de conserver en permanence une dette élevée. Evidemment, le non remboursement pur et simple des créanciers n’est pas envisagé. On comprend aisément cependant qu’une telle politique sera très coûteuse lorsque les taux d’intérêt sont élevés.

3. La notion d’investissement public a parfois été définie de façon très extensive pour justifier l’importance de la dette. Ainsi, les dépenses de santé pourraient être globalement analysées comme des investissements sociaux. Leur objectif est en effet de créer et d’entretenir un capital humain adapté au futur. Le financement des régimes d’assurance santé par l’emprunt devient alors conforme aux principes classiques de gestion qui réservent l’emprunt au financement des investissements. On pourrait raisonner de même pour les dépenses d’éducation par exemple. Mais une interprétation aussi extensive du concept d’investissement lui fait perdre toute rigueur, ce qui est peut-être l’objectif recherché. Il s’agit d’un glissement politique : ce qui relève du politique ne peut être soumis aux principes de gestion micro-économiques. Mais il faut également observer que l’endettement public s’est considérablement accru dans la plupart des pays riches du fait de l’augmentation des dépenses sociales. Il est donc possible d’analyser une telle évolution comme une transition historique ou comme un manque de rigueur financière.

4. L’émergence de l’économie collaborative serait un autre signal de la transition en cours car elle fait naître un nouveau mode de vie. Il s’agit de partager l’usage de biens ou de services et non plus de les acquérir systématiquement auprès de professionnels : location de biens entre particuliers (voitures, outils de bricolage, électroménager), échange de savoir-faire (une heure de dépannage informatique contre une heure de bricolage par exemple). Cette économie repose sur des applications informatiques permettant de rapprocher l’offre et la demande sans passer par les circuits traditionnels (magasins, vente en ligne). Le système Uber Pop permettant à des particuliers de concurrencer les taxis, l’application Airbnb court-circuitant les hôtels, les applications d’échange de résidences de vacances dans le monde entier sont autant d’exemples du développement de cette économie collaborative. Elle est en plein essor chez les moins de 40 ans qui ont toujours vécu dans la communication numérique. Le droit est actuellement tout à fait inadapté à cette économie et les pouvoirs publics défendent les positions acquises des professionnels, comme on l’a vu en France pour les chauffeurs de taxis. Il est vrai qu’en éludant parfois des charges fiscales et sociales, les nouveaux acteurs se mettent hors-la-loi. Il n’empêche que l’avenir est de leur côté car, en démocratie, rien ne pourra empêcher des particuliers de créer de nouveaux modes d’échange en utilisant les technologies de l’information. Le droit s’adapte toujours tôt ou tard à la réalité sociale. Il n’a pas pour fonction d’entraver les évolutions.

 

***

 

Transition ou déclin ? Transition et déclin, probablement. La lourdeur de l’Etat, le décalage croissant entre une caste de politiciens et la société civile, la volonté d’une petite élite de conserver la mainmise sur la configuration de l’avenir sont des constantes françaises depuis des lustres. Cette hypertrophie de l’État ne se retrouve pas partout. Par contre, les éléments précités concernant la transition vers le futur constituent des problématiques présentes dans l’ensemble des pays riches. Nous devrons tous affronter un futur qui est probablement déjà en germe dans le tréfonds de nos sociétés. Pour cela, la souplesse des structures, leur adaptabilité, la liberté individuelle valent mieux que l’omnipotence du Léviathan étatique. L’approche française est résolument « top-down » : quelques politiciens et la technocratie publique décident pour l’ensemble de la société. L’avenir sera « bottom-up » : les individus libres innoveront dans tous les domaines sans en référer à des représentants de la puissance publique. Les gouvernants français ont beaucoup de chemin à parcourir pour s’adapter au monde qui est en train de naître.

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