Révolutionner l’imposition des bénéfices
26/11/2014
Patrick AULNAS
Manuel Valls vient de supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu. Voilà à nouveau une opération fiscale à caractère purement politique qui ne correspond en rien aux besoins du pays. Dans la situation actuelle de la France, où l’initiative individuelle est suspecte, une réforme fiscale économiquement porteuse devrait concerner les bénéfices. Un signe fort à destination des entrepreneurs aurait un effet important sur les investissements et par suite sur l’emploi.
L’imposition des bénéfices en France et dans de nombreux pays comporte deux étages : un impôt sur les bénéfices des sociétés (IS) et une imposition des bénéfices à l’impôt sur le revenu (IR). Il est possible de simplifier considérablement ce dispositif fiscal en imposant seulement les bénéfices distribués et en exonérant totalement les bénéfices réinvestis dans l’entreprise, c’est-à-dire mis en réserve. La réforme fiscale permettant d’aboutir à cette solution comporterait deux volets : la suppression de l’IS et le réaménagement de l’imposition des bénéfices à l’IR dans les petites entreprises. A l’heure actuelle, pour ces dernières, tout le bénéfice est imposable, qu’il soit mis ou non à la disposition privative de l’entrepreneur individuel ou des associés.
Pourquoi cette solution n’est-elle pas envisagée ?
Une telle réforme, d’inspiration libérale, ne peut pas être politiquement envisagée par la gauche. Mais elle ne l’est pas davantage par la droite pour deux raisons. La première est évidente : les recettes fiscales diminuent, mais moins qu’on pourrait le croire. Par exemple, dans le projet de loi de finances pour 2014, les recettes d’IS étaient évaluées à 36 milliards d’€ pour un total de recettes fiscales de l’État de 299 milliards. La TVA (139 milliards) et l’IR (75 milliards) rapportent plus que l’IS. Rappelons que le total des mesures concernant le pacte de compétitivité (ou de solidarité) de François Hollande, y compris l’incidence du crédit d’impôt compétitivité-emploi, porte sur environ 45 milliards répartis jusqu’à 2017. Nous sommes donc dans le même ordre de grandeur. La deuxième raison du refus de la réforme proposée ici réside dans l’interventionnisme économique : plus l’immixtion étatique est importante dans la gestion financière des entreprises et plus l’État dispose de moyens de pression à l’égard des chefs d’entreprise. Les dirigeants politiques ne veulent pas y renoncer.
Une incitation décisive à l’investissement
Cette proposition iconoclaste n’en est pas pour autant farfelue. Sa mise en œuvre présenterait d’énormes avantages économiques pour le pays. L’exonération générale des bénéfices réinvestis serait une des plus puissantes incitations à l’investissement qui puisse exister. A l’heure où l’économie française est en phase de décrochage par insuffisance d’investissements, une telle orientation devrait être d’actualité chez les libéraux. Elle permettrait également d’améliorer considérablement la compétitivité française car les groupes multinationaux attachent une grande importance au taux de l’IS pour décider de leurs implantations géographiques. L’attractivité du territoire français serait alors considérablement renforcée.
Des effets potentiels importants sur les créations d’emplois
Les petites entreprises individuelles ou sociétaires (par exemple sociétés en nom collectif) dont la taxation du bénéfice relève exclusivement de l’impôt sur le revenu (catégories BIC, BNC, BA [1]) se verraient également appliquer ce régime d’imposition alors qu’aujourd’hui l’ensemble du bénéfice réalisé, qu’il soit distribué ou non, est imposable à l’IR. L’incitation à investir dans les PME serait évidemment considérable avec de telles conditions d’imposition. Le riche tissu de petites entreprises dont dispose le pays serait alors sans aucun doute beaucoup plus créateur d’emplois. Le problème des seuils sociaux ne se pose que rarement dans ces entreprises car elles sont de très petite taille et la plupart d’entre elles n’emploient aucun salarié. Il suffirait d’ailleurs simultanément de desserrer les contraintes excessives liées à la résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée pour obtenir un effet très important sur les créations d’emplois.
Rendre caduque l’optimisation fiscale
Les grands groupes multinationaux utilisent l’optimisation fiscale pour atténuer considérablement l’imposition de leurs bénéfices. Cela existe depuis fort longtemps, mais les États ne se sont intéressés à la question, au niveau politique, que lorsque leur situation financière est devenue préoccupante. Il faudrait donc agir, selon eux, pour remettre dans le droit chemin fiscal ces entreprises trop bien conseillées. Car elles ne fraudent pas, elles optimisent. Elles jouent tout simplement sur les différences législatives entre États pour réduire leur impôt. Si un groupe a une filiale en France et une filiale en Irlande, il est intéressant pour lui de réaliser un bénéfice important en Irlande (taux de l’IS : 12,5%) et un déficit en France (taux de l’IS : 38% au total). Il suffit pour cela d’organiser des transferts intra-groupe maximisant les produits irlandais et les charges françaises. Par exemple, la filiale irlandaise prête une somme importante à la filiale française. La filiale irlandaise devra comptabiliser les intérêts du prêt en produits, augmentant ainsi son bénéfice. La filiale française devra les comptabiliser en charges, diminuant ainsi son bénéfice. Rien d’illégal dans tout cela, sauf si le fisc parvient à prouver un abus de droit c’est-à-dire des actes ayant pour but exclusif d’éluder ou d’atténuer l’impôt. Ces techniques d’optimisation fiscale sont très importantes pour les sociétés puisque même les bénéfices mis en réserve pour de futurs investissements peuvent être lourdement imposés dans certains pays. Elles perdent beaucoup d’intérêt si la double imposition des bénéfices (IS sur le total du bénéfice puis IR sur le bénéfice distribué) disparaît.
Davantage de justice pour les petites sociétés
Les petites sociétés de capitaux, qui sont de loin les plus nombreuses, n’ont pas accès à ces stratégies fiscales internationales. Elles payent donc leur impôt au taux légal et sont sans aucun doute défavorisées par rapport aux grands groupes. Une telle constatation peut conduire à deux conclusions fort différentes : traquer par l’abus de droit ou le durcissement des législations les stratégies d’optimisation fiscale des groupes ou au contraire supprimer l’IS pour éviter le problème. La première solution a la faveur des gouvernements mais sera certainement un échec car la concurrence fiscale entre États ne disparaîtra pas de sitôt. Les groupes ne s’implanteront plus dans les États les plus répressifs qui seront ainsi pénalisés économiquement. Au contraire, la suppression de l’IS ferait disparaître immédiatement l’injustice dont sont victimes les petites sociétés de capitaux.
L’avoir fiscal, mécanisme technocratique
La double imposition des bénéfices distribués par les sociétés de capitaux a déjà été supprimée (ou partiellement supprimée) par le passé avec le mécanisme de l’avoir fiscal. Rappelons que les bénéfices distribués par les sociétés soumises à l’IS sont doublement imposés : une première fois au niveau de la société (IS sur la totalité du bénéfice, distribué ou non), une seconde fois au niveau de l’actionnaire (IR sur les dividendes perçus). L’avoir fiscal, instauré en 1965 et supprimé en 2004, consistait à rembourser à l’actionnaire le montant de l’IS payé par la société. L’ensemble du dividende perçu était imposable à l’IR (catégorie revenus des capitaux mobiliers) mais l’actionnaire pouvait déduire de son impôt un avoir fiscal correspondant à l’IS déjà payé sur ses dividendes.
Ce système, apparemment logique, a cependant conduit à des difficultés techniques majeures et à une complexification irréaliste de la fiscalité des bénéfices. Il a fallu créer un impôt spécifique, payé par la société distributrice des dividendes, le précompte, pour compenser les effets induits par l’avoir fiscal dans certains cas particuliers. Une véritable usine à gaz était née comme seules savent en bâtir les technocraties publiques. La France fut le seul pays au monde à adopter un tel système. L’avoir fiscal a été remplacé en 2004 par un abattement de 40% sur le montant des dividendes perçus qui ne compense que partiellement la double imposition.
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La solution évidente qui consiste à supprimer l’IS et à n’imposer que les bénéfices distribués [2] reste aujourd’hui la seule qui permette de supprimer complètement la double imposition des bénéfices. Elle présente un avantage majeur en simplifiant considérablement la fiscalité des bénéfices. Elle homogénéise les conditions d’imposition des bénéfices depuis l’entrepreneur individuel jusqu’à la société de capitaux. Elle induit avec une forte probabilité des investissements et un nouveau dynamisme économique, source de croissance et d’emplois. Les pertes initiales de recettes fiscales seraient compensées en quelques années par l’augmentation des assiettes taxables résultant du dynamisme des investissements.
[1] BIC : bénéfices industriels et commerciaux. BNC : bénéfices non commerciaux. BA : bénéfices agricoles
[2] Une réflexion reste à mener sur les bénéfices distribués à des personnes morales, en particulier à l’intérieur des groupes. A l’heure actuelle, les dividendes perçus par la société-mère en provenance d’une filiale constituent un produit non imposable à l’IS à condition que le bénéfice de la filiale soit imposable à l’IS.
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