Rejet de la classe politique
10/06/2014
Patrick AULNAS
Le quinquennat de François Hollande marquera-t-il un tournant concernant l'attitude des français à l'égard de la politique ? On peut le souhaiter mais seul l'avenir le dira. La classe politique achève un long travail de décrédibilisation commencé voici plusieurs décennies. Les partis dominants, PS et UMP, sont enfermés dans de sordides luttes internes. Le PS est divisé sur la politique menée par Hollande. L'UMP se ridiculise chaque jour en affichant des conflits de personnes. Les plus crédules des électeurs se tournent alors vers les extrêmes : le Front National a leur préférence.
Au-delà de ces péripéties politiciennes, plusieurs observations permettent de comprendre la situation singulière de la France par rapport au politique.
1. Beaucoup de démocraties européennes fonctionnent sur la base d'un consensus politique, parfois très large, au lieu de rejouer à chaque élection la scène de la société nouvelle à mettre en place. Ainsi, en Allemagne, une grande coalition regroupant le SPD (sociaux-démocrates) et la CDU (démocrates-chrétiens) gouverne le pays de 2005 à 2009 puis à nouveau à partir de 2013. La Belgique est gouvernée par des coalitions diverses associant bien souvent ce que nous appelons la droite et la gauche. Depuis 2011, le gouvernement belge comporte des ministres socialistes, libéraux et démocrates-chrétiens.
2. Le recrutement de la classe politique française la coupe de plus en plus de la population. Les politiciens sont soit des technocrates formés à l'ENA (École Nationale d'administration) soit des apparatchiks ambitieux provenant des partis ou, plus rarement, des syndicats ou du milieu associatif. Très peu de dirigeants ou de cadres d'entreprise ont une vocation politique, probablement parce que le milieu politique est peu accueillant à leur égard. François Hollande représente à cet égard un cas d'école. Énarque, membre du cabinet de Mitterrand à partir de 1981 puis de divers cabinets ministériels, dirigeant du parti socialiste, n'ayant jamais été ministre, il représente le pur technocrate-apparatchik dont la population française est saturée.
3. La surévaluation du rôle de l'État en France provient de l'Histoire. La construction de l'État-nation est très ancienne et la centralisation est une pathologie française. Au 17e siècle, Louis XIV installe la monarchie absolue. L'aveuglement politique de la noblesse et de la famille royale conduira à la fin du 18e siècle à la révolution de 1789. Cette révolution ne fait que consolider l'État central. La dictature napoléonienne succède à la tyrannie jacobine. La troisième République, instaurée en 1875, maintient le rôle dominant de l'État central qui n'a jamais par la suite été remis en cause. Les hommes politiques ont ainsi éduqués les français à tout attendre de l'État. Aujourd'hui, les yeux se dessillent et la déception est grande : l'État est impuissant dans le domaine économique. La France, enserrée dans un corpus législatif et règlementaire étouffant, n'est plus compétitive.
4. Les français ont été trompés depuis des lustres par le discours politico-idéologique. Ils associent progrès et politique. Le mot progrès, vague à souhait, a un sens différent pour la droite et pour la gauche, mais chacun prétend œuvrer pour le progrès. Les partis de gauche insistent sur le progrès social (davantage de protection pour les travailleurs), les partis de droite sur le progrès économique (davantage de liberté d'entreprendre). L'intelligentsia, de gauche comme de droite, apporte sa caution aux partis politiques. La supercherie apparaît aujourd'hui au grand jour : la gauche et la droite, arrivées au pouvoir, font la même politique. Il ne peut pas en être autrement et chacun le sait parfaitement en Allemagne ou en Belgique. Le progrès ne dépend pas de l'État mais de la liberté créative dont dispose l'intelligence humaine. L'État peut tout juste favoriser cette liberté ou l'étouffer.
L'atout principal de la France est sa jeunesse car le pays maintient un taux de fécondité élevé. La jeunesse a été trompée par la droite comme par la gauche politicienne qui lui laissent une dette publique de presque 2000 milliards d'€, des réglementations tatillonnes et inutiles, un empilement de structures administratives coûteuses. On peut espérer que cette jeunesse rejette l'adulation historique envers l'État et prenne son destin en main. Il lui faudra beaucoup de ténacité pour affronter les politiciens fossilisés qui détiennent les postes de responsabilité et ne pensent qu'à leur réélection. Bon courage.
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