Bonne gestion et politique
02/03/2014
Patrick AULNAS
Politique et bonne gestion ne font certes pas bon ménage. Encore faut-il que quelques principes élémentaires de gestion soient respectés pour qu'un État ne dérive pas vers une situation de faillite. L'un des principes de base de la bonne gestion d'entreprise consiste à faire preuve d'un pessimisme raisonnable en ce qui concerne l'avenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'en interprétant avec une grande prudence les indicateurs positifs concernant le futur, on limite les risques. Par exemple, un investissement basé sur une vision exagérément optimiste de l'avenir risque fort de n'être pas rentable si la conjoncture réelle est moins favorable que la prévision. Par contre une décision d'investissement basée sur un pessimisme prudent sera considérée comme satisfaisante si la conjoncture devient moins favorable et comme excellente si elle s'améliore. Il est certes possible de répliquer que ce pessimisme raisonné et raisonnable peut faire manquer certaines opportunités. Sans doute, mais une telle occurrence est rare. Il s'agit de choisir, comme toujours en matière de gestion des risques, entre deux attitudes : la limitation du risque qui réduit le potentiel de rentabilité ou la maximisation du risque qui l'augmente.
Il est imprudent de transposer les principes de gestion d'entreprise à l'échelle d'une société globale. Les politiques ne se privent pas de le rappeler sans cesse et ils n'ont pas entièrement tort. Cependant, l'histoire des trente dernières années montre qu'un optimisme excessif a conduit de nombreux États occidentaux vers une situation financière dramatique. Que cet optimisme soit réel, vraiment ressenti par les décideurs, ou factice, pour permettre des promesses électorales coûteuses, importe peu. Les projets publics ont été décidés en se basant sur une vision optimiste de l'avenir. Cet optimisme consiste essentiellement à surestimer la croissance économique dans les programmes politiques. Un exemple chiffré très simple permettra de comprendre l'impact d'un tel comportement. Le PIB de la France est approximativement de 2 000 milliards d'euros aujourd'hui. Une croissance annuelle de 3% permettrait de l'augmenter en un an de 60 milliards. Sur cette richesse supplémentaire, il serait envisageable de prélever en impôts et cotisations diverses un tiers à la moitié, soit 20 à 30 milliards à redistribuer. Malgré ce lourd prélèvement, tout le monde reste gagnant : ceux qui bénéficient directement par leur travail de la richesse supplémentaire conservent deux tiers à la moitié de cette manne après prélèvement public. Ceux qui n'en bénéficient pas directement (chômeurs, retraités, etc.) reçoivent la partie prélevée par les impôts et cotisations obligatoires, qui est nécessairement redistribuée (l'État ne s'enrichit jamais, il prélève et dépense). La redistribution publique est donc un jeu d'enfant pour les politiciens en période de croissance. Mais s'il n'y a pas de croissance, il faut déshabiller Pierre pour habiller Paul. Les conflits surgissent et sont très âpres car ceux qui créent la richesse n'entendent pas en être complètement dépossédés.
Un optimisme démesuré concernant la croissance conduit à des décisions absurdes, financées par des emprunts publics, et trente années d'erreurs de gestion ne semblent pas avoir servies de leçon aux gouvernants. La campagne présidentielle de 2012 en est le dernier exemple historique. Le programme du parti socialiste se basait sur une croissance moyenne de 2,5% par an pendant cinq ans (2012-2017). François Hollande a été un peu plus raisonnable dans son programme de campagne qui prévoyait 0,5% pour 2012, 1,7% pour 2013 et 2 à 2,5% en fin de mandat (1). Nicolas Sarkozy excluait tout nouveau plan de rigueur ce qui impliquait une croissance forte de 2 à 3% par an. La réalité est tout autre : la croissance a été nulle en 2012 et très faiblement positive en 2013 (0,3 % probablement). Les dépenses n'ayant pas été contenues du fait des prévisions irréalistes, les impôts ont explosé et la dette publique a inexorablement poursuivi son ascension.
Ce problème majeur de distorsion entre impératifs de gestion (équilibrer les comptes) et impératifs politiques (être réélu) ne comporte qu'une seule solution : la constitutionnalisation de principes rigoureux de gestion financière publique. Les élus devant affronter le scrutin électoral, ils ont une propension déraisonnable à promettre. Il est donc indispensable de limiter leur capacité de promettre en imposant une gestion publique rigoureuse par voie constitutionnelle. Mais il reste un long chemin à parcourir puisque la majorité des élus s'oppose à cette solution. Le pouvoir exorbitant de dépenser sans compter l'argent public, c'est-à-dire l'argent des autres, constitue en effet l'aspect essentiel du pouvoir politique. Les élus ne veulent pas en être privés. Historiquement, cependant, la démocratie est un régime politique qui a limité par le droit le pouvoir arbitraire des gouvernants. Limiter leur pouvoir financier en les soumettant à des principes d'éthique financière publique devient aujourd'hui nécessaire. Il s'agira d'un nouveau progrès de la démocratie car il est immoral et arbitraire d'endetter l'ensemble d'une population dans l'espoir d'être réélu.
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