Mariage gay et politique

12/01/2013  

Mariage gay, mariage homo : cette terminologie n’est pas assez consensuelle. Nos politiques ont donc choisi « mariage pour tous » qui a sans doute été jugé plus vendeur. Ne leur jetons pas la pierre ; il est bien difficile de faire avancer un pays aussi profondément conservateur que la France dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. Juridiquement, d’ailleurs, il s’agit bien d’un texte accordant l’accès au mariage civil à tout couple, indépendamment des considérations sexuelles. Il n’y aura pas un mariage homo et un mariage hétéro, mais une seule et même institution ouverte à tout couple. C’est précisément ce qui ennuie les diverses religions. Elles se réfèrent toujours au passé, à la tradition, à leur tradition, et jugent légitime de l’imposer à tous. Une liberté nouvelle a toujours été regardée par les religions avec scepticisme et parfois il leur apparaît nécessaire de brandir l’étendard de la révolte pour imposer leur éthique. Récemment, ce fut le cas pour le divorce, la contraception, l’avortement, le PACS. Les hiérarchies religieuses regardent la famille comme leur chasse gardée, même lorsque le mariage religieux ne concerne plus qu’une petite minorité. Ainsi en 2009, l’INSEE recense 251 478 mariages mais l’Eglise catholique fournit le chiffre de 77 664 mariages catholiques. En ajoutant les autres religions, très minoritaires, on peut affirmer que les mariages religieux représentent largement moins de la moitié du total des mariages. Il faut évidemment ajouter que le mariage lui-même est en perte de vitesse : beaucoup de jeunes couples préfèrent l’union libre ou le PACS.

Les partis de droite sont mal à l’aise face au mariage gay. Leur électorat est divisé. Ils suivent donc lamentablement le leadership religieux mais en tentant d’instrumentaliser politiquement le sujet. On voit ainsi le détestable Jean-François Copé enfourcher le vieux canasson de la querelle entre laïques et catholiques. L’inénarrable Christine Boutin est évidemment de la partie et subira une nouvelle défaite. Les partis de gauche doivent tenir compte d’un électorat très frileux dans certaines de ses composantes. Les personnes sincèrement favorables au « mariage pour tous » considèrent qu’il s’agit simplement de consacrer par le droit une réalité qu’elles admettent complètement : l’homosexualité. Nombre d’entre elles pensent même que la procréation humaine ne restera pas éternellement cantonnée dans les anciens carcans d’origine religieuse, d’où l’affolement des catholiques conservateurs concernant la PMA. Mais la gauche comporte aussi des personnes (militants, élus) qui ne sont pas fâchées de faire diversion avec un sujet assez passionnel ; le socio-économique (chômage, niveau de vie, etc.) passe ainsi au second plan et l’on donne des gages à la gauche de la gauche sans décaisser un centime. Tout cela est évidemment assez… minable, mais la politique reflète plus souvent les petitesses humaines que la grandeur.

Pourtant, pour toute personne éclairée, pour reprendre une expression du siècle des lumières, le problème est déjà résolu. Il suffit de regarder ailleurs au lieu de feindre de croire que l’on aborde une question inédite. Le mariage homosexuel a déjà été adopté dans 14 Etats : Afrique du Sud, Argentine, Belgique, Brésil*, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis*, Islande, Mexique*, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Suède. La très prudente mais libérale Belgique a ouvert la voie en 2003. Le Canada et la très catholique Espagne ont suivi en 2005. Evidemment, la société n’en a pas été bouleversée et, à vrai dire, une telle institution passe presque inaperçue lorsqu’elle est mise en place, tout simplement parce que les homosexuels représentent statistiquement une toute petite minorité. Selon une étude conjointe de l’INSERM et de l’INED sur la sexualité des Français publiée en 2008, 4% des femmes et 4,1% des hommes de 18 à 69 ans déclarent avoir déjà eu des pratiques sexuelles avec un partenaire du même sexe. Mais seulement 1% des femmes et 1,6% des hommes déclarent avoir eu des rapports sexuels avec une personne du même sexe au cours des douze derniers mois. Même si certaines associations gay revendiquent une population plus large, il est très probable que le nombre d’homosexuels se situe entre 1% et grand maximum 4% de la population française, avec évidemment des concentrations plus fortes dans certaines zones urbaines. Parmi eux, seule une petite minorité convolera. Cette réforme, une fois adoptée, aura donc un impact social très faible.

Tout le tohu-bohu des Eglises, et surtout de l’Eglise catholique, ressemble donc fort à une manœuvre politique. Mais au-delà de la politique politicienne, il n’est pas exclu que les religions exploitent une peur latente et plus profonde qui parcourt aujourd’hui les populations. Nous sentons tous que de grands changements vont advenir et que notre civilisation est à la veille d’une vague puissante qui emportera des pans entiers du vieux monde. Les religions et les Etats-nations, déjà affaiblis, n’en sortiront pas indemnes**.

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 *Certains états fédérés seulement

 **Voir ci-contre notre ouvrage Le destin des hommes 

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