La globalisation, chemin de la liberté

19/10/2012

Patrick AULNAS

La généralisation du modèle de l’Etat-Nation au cours des derniers siècles a constitué un progrès important à maints égards. La démocratie, l’économie de marché, l’élaboration du droit, les institutions judiciaires ont longtemps fonctionné exclusivement dans le cadre de l’Etat. Celui-ci a permis de dépasser les formes anciennes de gestion collective : tribus, cités antiques, fiefs féodaux, royaumes, empires. Mais ce mode de regroupement humain et ce découpage territorial de notre planète sont aujourd’hui affectés par l’émergence de problématiques globales : commerce international, finance internationale, transports internationaux, communication mondialisée (internet en particulier), science mondialisée, pollution de la planète. Tous les déterminants fondamentaux de notre devenir relève du monde et non de tel ou tel Etat.

Les notions de globalisation et de mondialisation ont fait l’objet de développements multiples, souvent polémiques par excès de focalisation sur l’aspect politico-économique à court terme. Pour une approche du concept, on pourra se reporter à l’encyclopédie Larousse en ligne ou à Wikipédia :

http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/mondialisation/71051

http://fr.wikipedia.org/wiki/Mondialisation

 Il s’agit ici de se placer sur le long terme historique afin de percevoir le phénomène dans son rapport avec l’histoire de l’humanité. Les hommes se sont regroupés d’abord en communautés de petite taille : hordes, clans,  tribus, cités, fiefs féodaux. Le nomadisme qui a prévalu pendant tout le paléolithique, ne permettait pas l’appropriation d’un territoire par un groupe. Or, le paléolithique représente de très loin, en termes de durée, l’essentiel de l’histoire de l’humanité. Le premier hominidé connu (Toumaï) apparaît voici sept millions d’années et l’homo sapiens il y a environ deux cent mille ans. Les premiers royaumes et empires ne datent que de quelques milliers d’années. Quant à l’Etat-nation, la structure politique dominante d’aujourd’hui, il est tout récent. Il se construit à partir du 16e siècle avec la consolidation des monarchies européennes, puis s’affirme à partir des 18e et 19e siècles pour devenir l’entité politique de référence, le modèle, au 20e siècle. Tout au plus, quatre siècles, donc, mais qui ne seront probablement qu’un court passage vers d’autres modalités du politique.

 La globalisation cognitive

Tout concourt en effet au dépassement de l’Etat-nation. Le patrimoine cognitif de l’humanité d’abord, qui était traditionnellement réparti en cultures plus ou moins liées à une entité politique, se globalise irrésistiblement. Les spécificités culturelles européennes, américaines, africaines, asiatiques, océaniennes s’effacent lentement mais surement pour céder la place à un ensemble global de connaissances qui ne se rattache pas à une entité nationale ou locale. Les langues elles-mêmes sont affectées par cette unification culturelle et il s’agit là sans doute de l’indice le plus visible. Il y a environ 6 000 langues parlées actuellement dans le monde, mais 96% d’entre elles ne sont parlées que par 4% de la population mondiale. Plus de 90% des contenus d’internet sont rédigés en seulement 12 langues. Selon les spécialistes, 50 à 90% des langues existantes pourraient mourir au cours du 21e siècle. Ainsi, le 21e siècle et les siècles suivants verront une réduction progressive du nombre de langues vivantes.

L’élément moteur de cette globalisation est la science, plus généralement le rationnel. Qu’il s’agisse de mathématique, de physique, d’économie, de sociologie, de psychologie, d’histoire, etc., les découvertes et les méthodes nouvelles sont à la disposition de l’humanité entière. Bien entendu, tout le monde ne dispose pas de la capacité opérationnelle et certaines dictatures archaïques comme l’Iran parviennent difficilement à se doter de l’arme nucléaire, faute de moyens techniques de mise au point. Certes, il faut s’en réjouir, mais cela ne remet pas en cause l’évolution vers la mondialisation. Il est même souhaitable que la transition actuelle vers un dépassement de l’Etat-nation se réalise sous l’égide des Etats démocratiques qui sont à la pointe extrême de la connaissance (Etats-Unis, Europe, Japon en particulier).

 La communication universelle instantanée

Parmi les réalisations technologiques induites par la recherche scientifique, il en est une qui favorise plus que nulle autre la globalisation au quotidien : la communication planétaire. Elle est devenue possible par le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) : internet, radio et télévision en particulier. La jeunesse s’est emparée de ces possibilités de communication planétaire pour contester les dictatures les plus archaïques : Lybie, Tunisie, Egypte. Elle est parvenue à abattre des hommes du passé s’appuyant sur la force brutale pour gouverner, comme Kadhafi, Ben Ali ou Moubarak. En Chine, la dictature héritée de l’idéologie communiste sévit toujours, mais le pays parvenant à se développer par sa réussite économique, il se heurtera rapidement à l’impossibilité de concilier dictature et efficacité économique. Le contrôle des TIC par la dictature chinoise n’aura qu’un temps et sera de plus en plus difficile au fur et à mesure de l’émergence d’une classe moyenne cultivée qui exigera la liberté. On voit d’ailleurs clairement que l’archaïsme totalitaire est toujours lié à une religion ou une idéologie (l’Islam en Afrique du Nord, le communisme hérité du marxisme en Chine ou en Corée du Nord, plus anciennement le christianisme avec la dictature franquiste ou salazariste, le fascisme ou le nazisme en Italie ou en Allemagne). La globalisation relevant des progrès du rationnel, elle gêne évidemment beaucoup toute pensée archaïque cherchant à dominer les hommes par des subterfuges idéologiques ou religieux. La communication planétaire instantanée sur un réseau universel et neutre (c'est-à-dire non contrôlé par une entité : chaque homme est émetteur potentiel d’informations) est donc l’ennemi des dictatures et un facteur essentiel de liberté.

 Les déplacements planétaires des hommes et des marchandises

Enfin, un troisième facteur de globalisation tient aux capacités de déplacement planétaire des hommes et des marchandises. C’est l’aspect le plus ancien, puisque déjà, dans l’antiquité, Rome commerçait avec tout le pourtour méditerranéen. Mais il y a eu explosion des échanges commerciaux après la seconde guerre mondiale pour deux raisons essentielles : les capacités technologiques de transport (massives par voie maritime, ultra-rapides par voie aérienne, de proximité par voie terrestre) et la libéralisation progressive du commerce international sous l’égide du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) puis de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Ces organisations sont parvenues à des résultats très significatifs pour abattre les ancestrales entraves aux échanges qui profitaient de facto à une petite coterie de producteurs et de commerçants locaux liés aux dirigeants politiques des Etats-nations. Le libre déplacement des hommes eux-mêmes est plus difficile à mettre en œuvre sur une planète connaissant des différences considérables de niveau de vie. Les Etats contrôlent donc toujours strictement les déplacements humains par le rattachement des individus à une nationalité et la nécessité d’obtenir un agrément administratif (passeport) pour se déplacer sur notre petite planète. Dans ce domaine, les démocraties, fondées juridiquement sur l’Etat de droit, laissent à leurs citoyens une liberté presque complète de déplacement à condition de respecter les formalités administratives imposées. Il n’en va pas du tout de même dans les dictatures qui contrôlent rigoureusement les contacts de leurs ressortissants avec l’étranger par crainte d’une déstabilisation. L’évolution vers la liberté sera certainement très lente dans ce domaine car elle sera concomitante de l’évolution des structures politiques, donc de l’émergence d’entités nouvelles se substituant progressivement aux Etats-nations. Il est d’ailleurs indispensable d’être très prudent dans ce domaine : le terrorisme, qui est le porte-parole de l’archaïsme idéologique et religieux le plus violent, se développe en fonction de la liberté de déplacement des hommes.

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 La mondialisation financière et économique n’est donc que l’aspect le plus apparent d’un processus beaucoup plus large. La globalisation est fondamentalement une mise en commun de nos connaissances, de notre patrimoine cognitif. C’est parce que nos connaissances deviennent celles de tous les hommes, que nos savoir-faire sont à la disposition de l’humanité entière, et non d’un groupe spécifique, que la communauté humaine se globalise. La globalisation n’est pas une contrainte imposée par un petit groupe de leaders maîtrisant les ressorts du libéralisme économique et financier : dirigeants des grandes banques et des entreprises multinationales. Il s’agit d’une irrésistible évolution de l’homme vers la création d’une intelligence globale. Aucun être humain n’est aujourd’hui capable de synthétiser le corpus des connaissances humaines. Celui-ci a pour destinataire l’humanité et non l’homme individuel : nous voyons naître l’intelligence collective de l’humanité. La globalisation n’est que la nouvelle organisation sociale, encore embryonnaire, qui sera chargée de gérer cette intelligence collective. Nous quittons ainsi le néolithique pour poursuivre notre chemin qui est celui de la liberté.

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 Ce thème est traité de façon plus ample et plus approfondie dans notre livre :

 LE DESTIN DES HOMMES

Essai de prospective globale

 Éditions Édilivre

 

 

 

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