Primaire socialiste : un contrôle humiliant et infantilisant

06/07/2011

Patrick AULNAS

L’organisation d’une primaire « ouverte » est une innovation dans la vie politique française. Le parti socialiste avait déjà organisé des primaires mais elles étaient réservées aux militants. En 1995, Lionel Jospin s’impose face à Henri Emmanuelli. En 2006, Ségolène Royal est préférée à Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. Une primaire ouverte signifie que le droit de vote ne sera pas réservé au cercle étroit des militants. Tout le problème est alors de délimiter le périmètre de l'électorat.

Une primaire peut être totalement ouverte : toute personne inscrite sur les listes électorales peut voter. Ce système a été utilisé en Italie en 2005 et avait abouti à désigner Romano Prodi comme candidat d’une coalition de centre-gauche face à Silvio Berlusconi. La primaire ouverte existe aussi aux Etats-Unis où les primaires sont organisées dans chacun des Etats de la fédération selon des modalités diverses (primaires ouvertes, semi-ouvertes où l’on ne peut voter que pour un seul parti, ou fermées c’est-à-dire réservées aux membres du parti, ou encore désignation par caucus, c’est-à-dire des réunions de militants).

L’originalité de la primaire socialiste française est qu’elle est ouverte, mais avec une restriction philosophico-politique : les électeurs devront signer un document par lequel ils certifient adhérer aux valeurs de gauche. Sans cet engagement, le vote n’est pas possible. Je fais partie d'une catégorie en forte croissance : les non militants et non sympathisants de quelque parti que ce soit. Ces très nombreux électeurs sont d'emblée éliminés de la primaire et ils se demandent pourquoi. Pourquoi imposer une adhésion qui peut être de pure circonstance à une vague déclaration sur des « valeurs de gauche » ? On imagine mal la droite faisant signer une déclaration d’adhésion à des « valeurs de droite »… On peut donc penser tout d’abord que les socialistes sont plutôt fiers de leurs valeurs et qu’ils s’imaginent provoquer une mobilisation en imposant l’adhésion à ces valeurs. C’est un risque important : le public pourrait leur faire défaut. La seconde idée qui vient à l’esprit, c’est que l’on cherche à filtrer l’électorat. On veut éviter le vote d’opposants politiques qui prendraient position pour le candidat ayant le moins de chance de remporter l’élection présidentielle. Bref, on craint la capacité de nuisance aux primaires de l’opposant politique. Pourtant, les primaires italiennes ou certaines primaires américaines fonctionnent sans filtrage des électeurs. Cela aboutit bien sûr, par exemple aux Etats-Unis, à cette situation paradoxale que des électeurs républicains peuvent concourir à la désignation du candidat démocrate. Mais n’est-ce pas précisément la signification fondamentale du concept de « primaire ouverte » ? Qu’est-ce que l’ouverture s’il y a un filtrage ? Nos socialistes français ont visiblement reculé devant un choix simple et clair.

En définitive la primaire socialiste semble être surtout une opération de communication visant à mobiliser au-delà des militants en vue de la campagne électorale. Rien ne permet d’écarter l’idée que des contacts se noueront dans les bureaux de vote entre militants et sympathisants et que ces derniers seront sollicités pour participer à la campagne électorale.

Pour tout individu épris de liberté, il est évidemment particulièrement choquant de se voir imposer une profession de foi pour pouvoir voter. C’est une démarche, qui, par essence, est profondément antidémocratique. Elle est aussi totalement infantilisante : il appartient à chaque citoyen de décider in petto s’il se sent suffisamment « de gauche » pour participer à des primaires socialistes. Vouloir le contrôler est tout simplement l’humilier.

En ce qui me concerne, j’espère donc que l’abstention sera massive et que peu de citoyens se prêteront à cette pantalonnade où l’on vérifie s’ils sont « dans la ligne » avant de les autoriser à voter. Les vieux démons, sans doute.

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