Le mythe de la démondialisation : pensée creuse et populisme

11/10/2011

Patrick AULNAS

Le concept flou de « démondialisation » est utilisé par des horizons politiques a priori éloignés l'un de l'autre : en particulier l'aile gauche du Parti Socialiste avec Arnaud Montebourg, le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et le Front National dirigé par Marine Le Pen. Il est inutile d'entrer dans les arcanes de ce que chacun entend exactement par démondialisation car il s'agit ici d'analyser la pertinence du concept lui-même. Chacun peut observer que le thème est politiquement porteur, précisément parce le vocable utilisé laisse entendre qu'il serait possible de revenir à un statu quo ante paré de tous les attraits. Le mythe du paradis perdu n'est pas loin. Mais cette notion de démondialisation s'oppose au mouvement profond de l'histoire et elle est dépourvue de caractère opérationnel sur le plan économique.
A l'échelle du long terme historique, on observe une évolution de l'organisation et de la gouvernance des groupes humains vers la globalisation planétaire. Du petit clan très réduit du paléolithique au village néolithique puis aux cités et aux empires antiques, on arrive aux fiefs féodaux du Moyen Age puis à l'émergence des Etats-nations actuels. Les prémisses du dépassement de l'Etat-nation sont déjà parfaitement visibles : organisations internationales (ONU, FMI, OMC, OIT, FAO, etc.), organisations non gouvernementales (Médecins sans frontières, Amnesty International, Action contre la Faim, etc.), structures régionales d'Etats (l'Union Européenne étant la plus intégrée). Les structures politiques, économiques, financières de la planète évoluent donc lentement mais nettement vers la mondialisation. Rien ne permet d'affirmer qu'il existera un jour un « gouvernement mondial ». Il est même plus vraisemblable que d'autres modes de gouvernance verront le jour, qui ne reproduiront pas à l'échelle planétaire le modèle de l'Etat-nation. De nouveaux systèmes de régulation entre groupes humains se mettront en place et ils auront beaucoup à voir avec notre capacité de diffuser et de traiter l'information de façon quasi instantanée. Le gouvernement des hommes n'échappera pas à la civilisation de l'information.
Cette évolution des structures ne fait d'ailleurs qu'accompagner avec un certain retard une évolution plus profonde et plus fondamentale : celle des sciences et des techniques, qui déterminent les modes et les niveaux de vie bien davantage que les superstructures politiques. Le langage des mathématiques et de la science est le premier langage universel, celui qui a généré notre civilisation technicienne. Aucune démondialisation n'est envisageable en ce qui concerne la circulation de l'information (Internet en particulier). Seules les dictatures cherchent à contrôler le web et elles n'y parviennent que très moyennement et pas durablement. Ce qui relève de la connaissance, de la recherche, de la création, de l'immatériel en général est déjà mondial et le restera. Mais la mondialisation affecte également de façon irréversible les productions matérielles. Les voitures, les ordinateurs, les appareils électroménagers, les avions, etc. que nous utilisons sont constitués de pièces détachées fabriquées dans de nombreux pays et assemblées dans un autre pays. L'exportation d'une voiture « made in France » a nécessité au préalable l'importation de circuits électroniques ou d'éléments mécaniques. Face à un tel enchevêtrement international, que peut bien signifier le terme démondialisation ? Pour aller dans cette direction, il faudrait une forte contrainte étatique ; il faudrait dénoncer de multiples accords internationaux, sortir de la zone euro et même de l'Union Européenne puisqu'il existe un tarif douanier commun qui ne pourrait plus être respecté. S'imaginer que la France à elle seule serait capable de produire tout ce qu'elle importe pour sa consommation ou pour sa production (en partie exportée) relève de la naïveté, de l'incompétence, de la bêtise, de la mauvaise foi et plus vraisemblablement du populisme.
Mais même en supposant qu'un politicien fou nous engage dans une voie aussi fatale, que se passerait-il alors du côté de nos anciens partenaires commerciaux ? La réponse est évidente : ils refuseraient d'importer les produits fabriqués en France et interdiraient les implantations d'entreprises d'origine française. Dans le domaine commercial, une certaine réciprocité est incontournable. Nous nous engagerions alors dans une sorte de soviétisation rampante : contrainte étatique croissante et isolement par rapport à l'environnement international. C'est la route de la servitude et du déclin.
La notion de démondialisation se situe donc en dehors de la réalité contemporaine. Elle a des relents réactionnaires en avalisant l'idée qu'il faudrait revenir à un état antérieur du monde jugé plus attractif. Elle va également à contre-courant des évolutions profondes de l'humanité vers une unification politique. Même si les analyses de Montebourg ou de Mélenchon se distinguent de celles de Marine le Pen, elles entretiennent des illusions dans l'esprit de citoyens mal informés des réalités de notre monde. Il s'agit de postures populistes : qui reprennent et expriment des désirs latents du peuple en cherchant à les exploiter électoralement. Pour être bon prince, acceptons quand même de reconnaître une chose : les anti-mondialisations de gauche ou d'extrême-gauche permettent de transformer en oligopole ce qui serait en leur absence un monopole du Front National. A défaut de vision politique, ils ont une utilité politicienne.

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