Dette publique de l’Occident et zone euro : perspectives d’avenir

04/11/2011

Patrick AULNAS

Le déclin de l’Occident (1) se traduit actuellement par une situation financière alarmante de nombreux Etats. La dette publique accumulée depuis des décennies devient insoutenable pour beaucoup d’entre eux. Les gouvernants ont en effet toujours raisonné (ou feint de raisonner) en fonction d’un taux de croissance suffisant du PIB. Or la croissance économique n’est plus au rendez-vous en Occident du fait du coût du travail et des rigidités de toutes sortes générées par l’Etat-providence. Les pôles de croissance se sont donc déplacés vers des pays dits émergents comme le Brésil, la Chine ou l’Inde. Il est totalement inenvisageable que l’Occident retrouve à court terme les taux de croissance des trente années d’après-guerre (plus de 4% par an en moyenne pour les pays de l’OCDE). La dette va donc peser très lourd et sa résorption, si elle a lieu, demandera des décennies d’efforts. Après un rappel chiffré de la situation actuelle, nous examinerons les politiques qui peuvent être mises en œuvre au niveau des Etats et de l’Union Européenne.

 

1. Situation générale de l’Occident

Depuis 1974, les Etats occidentaux sont confrontés à une situation économique mondiale en évolution rapide. Les caractéristiques principales de cette évolution sont :

- l’augmentation du prix de l’énergie et des matières premières ;

- l’ouverture des frontières ;

- l’émergence de nouvelles puissances économiques.

Cette situation nouvelle est qualifiée couramment de « mondialisation » ou de « globalisation ». En effet, le monde s’unifie sur le plan scientifique, technique, économique, financier. La réaction politique occidentale à la globalisation a été totalement inappropriée depuis presque 40 ans, puisqu’il s’est agi essentiellement de masquer la réalité aux populations par des discours lénifiants et par l’endettement public. Cet endettement a permis aux gouvernants de laisser entendre que l’avenir serait à l’image du passé récent (les trente glorieuses). On a ainsi financé par des emprunts publics des dépenses courantes (postes de fonctionnaires, indemnités de chômage, pensions de retraite, assurance maladie). Quantitativement, la situation actuelle est la suivante pour 2011, selon l’OCDE (2) :

PAYS

Dettes publique brute

en % PIB

Australie

                   29

Belgique

                 101

Canada

                   86

Danemark

                   57

France

                   97

Allemagne

                   87

Grèce

                 157

Irlande

                 120

Italie

                 128

Japon

                 212

Portugal

                 111

Royaume-Uni

                   88

Espagne

                   73

Etats-Unis

                 101

TOTAL zone Euro

                   96

TOTAL OCDE

                 102

 

En valeur, la dette publique était en 2010 de 7 837 milliards d’euros pour les 17 pays de la zone euro et de 9 828 milliards d’euros pour les 27 pays de l’Union Européenne (3). Elle était de 13 561 milliards de dollars pour les Etats-Unis (4). La dette publique continue à croître très sensiblement du fait d’une atonie de la croissance économique qui réduit les assiettes des impôts et cotisations sociales.

Des doutes sérieux existent désormais concernant la capacité des Etats à rembourser cette dette colossale. En 2011, la Grèce est le premier pays en état de cessation des paiements. Seul son arrimage à la zone euro lui permet d’obtenir encore des aides financières publiques et privées. Livrée à elle-même, la Grèce serait déjà sous contrôle du FMI avec des mesures financières drastiques à la clé.

 

2. Les réactions des Etats endettés

a) La politique monétaire

Il est toujours possible pour les banques centrales de se fixer un objectif de taux de change et un objectif de hausse des prix. La BCE (Banque centrale européenne) a, statutairement, pour fonction principale de tenir les prix. Aussi, n’a-t-elle pas véritablement de politique en matière de taux de change de l’euro. La réserve fédérale américaine pratique une politique très pragmatique et parvient à maintenir un cours dollar - euro favorable aux exportations américaines. L’Allemagne, du fait de sa puissance industrielle, s’accommode très bien d’un euro fort. Il en va différemment de beaucoup d’autres pays européens : la Grèce paie très cher un taux de change totalement inadapté à sa situation économique. Mais là encore, il ne faut pas masquer la responsabilité écrasante des dirigeants politiques. La zone euro est, en pratique, la zone mark du début du 21ème siècle. Si l’Allemagne a consenti à la création d’une monnaie unique européenne, c’est évidemment pour conserver une monnaie forte, à l’image de l’ancien mark. Rappelons que la zone mark était la zone d’influence monétaire allemande (en particulier Pays-Bas, Autriche, Danemark, Belgique) : lorsqu’un réajustement monétaire avait lieu, les monnaies de ces pays étaient réévaluées ou maintenues à leur parité alors que les monnaies des pays du sud de l’Europe (franc français, lire, peseta) étaient dévaluées. L’action sur le symbole monétaire permettait ainsi de constater le différentiel de compétitivité entre les pays. La contrepartie de l’adoption d’une monnaie unique forte était connue de tous : les ajustements sur la réalité économique devaient se substituer aux ajustements sur le symbole monétaire. Une compétitivité intra-européenne insuffisante devait se traduire dans le pays concerné par des baisses des rémunérations des facteurs de production. Une telle contrainte étant politiquement et socialement plus conflictuelle qu’un réajustement des parités monétaires, on comprend aisément les réticences des gouvernants à constater de facto la cruelle réalité. Il s’ensuit une extrême fragilité d’une monnaie unique sans gouvernement économique unique.

Du côté de l’inflation, les Etats n’ont pas renoncé à l’utiliser pour alléger leur dette. La position française lors du sommet européen du 26 octobre 2011 est à cet égard éloquente. Il s’agissait de permettre à la BCE de créer de la monnaie pour financer le FESF (fonds européen de solidarité financière). Autrement dit, le problème du soutien à la Grèce était traité par l’inflation, en contradiction totale avec la mission expressément attribuée à la BCE. Seule l’allergie de l’Allemagne à la création inconsidérée de monnaie depuis l’inflation galopante des années 20 a permis d’éviter cette pseudo-solution laxiste. Il était courant dans les trente années suivant la seconde guerre mondiale d’avoir un taux d’inflation largement supérieur au taux d’intérêt. Les Etats étaient les principaux bénéficiaires de cette situation : ils ne payaient pas d’intérêt réel sur leurs emprunts et ne remboursaient (en monnaie constante) qu’une partie de leur dette du fait de la dépréciation monétaire. Beaucoup de responsables publics doivent aujourd’hui rêver d’une situation aussi idyllique et il n’est pas exclu qu’elle réapparaisse dans un futur indéterminé. L’aspect éthique de la question est systématiquement éludé, mais les créanciers étant aujourd’hui plus puissants qu’auparavant, ils risquent fort de rappeler aux Etats criblés de dettes qu’il est impossible :

- d’afficher comme principe de base de l’économie de marché le mécanisme du prêt à intérêt ;

- et de tout faire pour que les créanciers ne perçoivent aucun intérêt réel du fait de l’inflation.

 

b) La politique budgétaire

Jusqu’à présent, si on excepte le cas grec, quelques plans ont été mis en œuvre pour tenter de réduire légèrement les déficits budgétaires (Espagne, Portugal, France, Italie). Mais les principales mesures restent à venir.

L’avenir à moyen terme ne pourra se dessiner que de deux façons : augmenter encore les prélèvements obligatoires ou réduire les dépenses publiques. Pour être clair et simple, raisonnons sur les cas comparés de la France (3) et des Etats-Unis (5), dont les situations financières en 2010 étaient les suivantes :

 

 

FRANCE

ETATS-UNIS

 

En milliards d’€ 

En % du PIB 

En milliards de $ 

En % du PIB 

PIB

1 948 

100,0% 

14 624 

100,0% 

Recettes publiques (*)

958 

49,2 % 

4 694 

32,1% 

Dépenses publiques

1 095 

56,2 % 

6 332 

43,3% 

Déficit public

137 

7,0% 

1 638 

11,2% 

(*) Prélèvements obligatoires + autres recettes publiques

L’augmentation des prélèvements obligatoires

Il faut plus de 100 milliards d’€ par an en France et plus de 1 000 milliards de $ aux E-U, à dépenses constantes, pour améliorer nettement la situation. Nous ne sommes pas en mesure de compter sur la croissance économique. Il faudrait donc, pour la France, atteindre un taux de prélèvements obligatoires supérieur à 50% du PIB (actuellement environ 43%). C’est l’orientation actuelle, la réduction des « niches fiscales » étant une augmentation d’impôt. Mais il faudrait aller beaucoup plus loin pour trouver les montants nécessaires, ce qui risque d’être politiquement insoutenable. La marge de manœuvre est plus importante aux E-U car les recettes publiques ne représentent que 32,1% du PIB. Il faudrait les relever au dessus de 40% (seulement !). On n’atteindrait donc pas encore les taux de prélèvement européens.

La diminution des dépenses publiques

Il s’agira de réduire les dépenses de fonctionnement des collectivités publiques et donc leurs effectifs (les salaires étant la principale dépense) et de diminuer les prestations sociales (chômage, maladie, retraite principalement) pour les ajuster aux recettes. Là encore, la faisabilité politique est la principale difficulté. La culture étatiste française constitue un obstacle important car la population est habituée à l’omniprésence de l’Etat. Les E-U n’ont pas du tout ce profil interventionniste, ce qui faciliterait un allégement des structures publiques.

Un long chemin à parcourir

En pratique, seule une solution composite jouant sur les recettes et les dépenses est envisageable et elle devra être mise en œuvre progressivement sur plusieurs années. Autrement dit, la décroissance de la dette publique sera très, très lente, et jugée douloureuse par la population. Les groupes de pression (syndicats, associations, partis) interviendront pour protéger leur pré carré et des conflits sociaux devront être surmontés.

 

3. L’avenir de l’euro

Il n’est pas exclu que certains Etats très endettés perdent tout contrôle sur leur dette. Les dirigeants politiques concernés accuseront probablement les banques, les marchés et la spéculation. Mais il est clair qu’une telle argumentation, déjà invoquée par certains, est totalement irrecevable pour au moins deux raisons :

- la spéculation n’a aucune prise sur un endettement raisonnable et parfaitement maîtrisé, c'est-à-dire lorsque les créanciers n’ont aucun doute concernant la solvabilité de leur débiteur ;

- les gouvernants étaient particulièrement bien placés pour savoir qu’il n’existe pas de régulation financière à l’échelle internationale et que par conséquent une dette trop lourde risque de devenir incontrôlable si les spéculateurs jouent sur le risque de non remboursement.

La responsabilité de la situation des Etats grec, espagnol, irlandais, portugais, italien ou même français est donc totalement imputable à de lourdes erreurs de gestion des gouvernants en rapport avec le fonctionnement dégradés des démocraties occidentales. Le degré zéro de la confrontation politique a été atteint depuis longtemps : promesses démagogiques et populisme président désormais à la désignation des dirigeants politiques. Il serait donc souhaitable, en théorie, d’éliminer de la zone euro les Etats qui ne fournissent pas pour l’avenir une garantie de retour à meilleure fortune, ce qui, pour un Etat, ne peut signifier qu’une chose en matière de finances publiques : un encadrement strict des dirigeants par des règles constitutionnelles ou supranationales efficacement sanctionnées. Le traité de Maastricht, qui prévoyait déjà un tel encadrement (dette maximum de 60% du PIB et déficit public de 3% du PIB) n’a jamais été respecté car il ne fournissait pas de moyen efficace de sanctionner les dérives. L’avenir souhaitable est donc clairement tracé : limiter le champ de la politique du n’importe quoi et élargir celui de la gestion rigoureuse.

a) Sortie de quelques Etats de la zone euro

Une telle hypothèse n’étant pas prévue par les traités, il conviendrait de réfléchir à ses modalités de mise en œuvre. La sortie d’un Etat irresponsable comme la Grèce pourrait affaiblir d’autres Etats particulièrement exposés à la spéculation. Ils auraient alors un choix clair : accroître leur rigueur de gestion ou sortir de la zone euro. En définitive, seuls les Etats acceptant une gestion sérieuse de leurs finances publiques resteraient dans la zone euro. Mais le coût d’un retour à une monnaie nationale est tel que l’incitation à la rigueur budgétaire serait forte. Des mesures drastiques de rééquilibrage des finances publiques apparaîtraient comme un moindre mal. Il faut d’ailleurs relativiser : une augmentation de quelques points d’un impôt à large assiette comme la TVA fournirait des recettes importantes sans altérer gravement la consommation. Jamais une augmentation ou une diminution des impôts sur la consommation n’ont eu d’effet durable sur la demande. Un rétrécissement de la zone euro aurait donc des effets positifs en éliminant les membres incontrôlables et en obligeant les autres à la rigueur.

b) La disparition de l’euro est très peu probable

Y-aurait-il, dans une telle hypothèse, un risque de disparition de l’euro ? L’Allemagne et les Etats de l’ancienne zone mark (en particulier Pays-Bas, Autriche, Belgique, Luxembourg, Finlande) n’ont aucun intérêt à revenir à une monnaie nationale. La France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ont tout intérêt sur le long terme à s’orienter vers une rigueur de gestion qui n’est pas consubstantielle à leur culture. Il s’agira pour elles de choisir entre laxisme et rigueur, sachant que le choix de la facilité se payera très cher pour la population. La zone euro pourrait donc, dans le cas extrême mais peu probable, être circonscrite à l’ancienne zone mark, ce qui représente un potentiel économique important. Sauf cataclysme financier généralisé, aucune raison ne permet de penser qu’une disparition pure et simple de l’euro puisse advenir.

c) La condition fondamentale de pérennité de l’euro

Chacun le sait : une monnaie repose sur une économie dotée de centres de décision politiques. Une simple banque centrale comme la BCE ne suffit pas. Pour aller à l’essentiel, le cadre politique dans lequel fonctionnera l’euro après une éventuelle restructuration de la zone euro devra disposer d’un budget autonome avec des ressources fiscales suffisantes. Il est donc nécessaire de transférer certains impôts des Etats vers les autorités (à créer) qui seront chargées de la politique budgétaire de la zone. Cela entraîne une perte notable de souveraineté fiscale pour les Etats, ce qui est une condition sine qua non du progrès dans la construction européenne. Indépendamment des tergiversations politiques, l’idéal serait, pour commencer, la fédéralisation de la TVA. Puisqu’il existe déjà un marché unique, il est normal de disposer d’une fiscalité unique de la consommation. La mise en œuvre d’un régime de TVA intracommunautaire avec exigibilité dans le pays du fournisseur aurait déjà dû être mise en œuvre. Or, depuis 1993, le régime transitoire (avec exigibilité dans le pays du client) subsiste du fait de la volonté des dirigeants politiques des Etats de conserver la mainmise sur cette importante ressource fiscale. La crise pourrait être l’occasion de passer au régime définitif de TVA intracommunautaire pour l’ensemble des pays de l’Union Européenne. La transformation de la TVA en un véritable impôt fédéral ne concernerait que les pays de la zone euro. L’exercice est très complexe car il suppose sans aucun doute des mécanismes de compensation macro-économiques, étant donné les différences importantes de poids de la TVA dans les ressources fiscales des Etats.

Que l’on choisisse la TVA ou, pour commencer, une ressource plus modeste, il faudra s’engager dans la voie d’une fiscalité européenne et d’une capacité d’emprunt européenne (eurobonds). Il s’agit donc d’une fédéralisation progressive dont le périmètre géographique reste à ce jour indéterminable.

 

♦♦♦

 

Qu’il s’agisse de la zone euro, des finances publiques des Etats eux-mêmes ou des finances des entités infra-étatiques (régions, communes), les occidentaux devront rétablir leur situation financière pour tenter de retrouver la confiance des créanciers, qui est mise à rude épreuve. Les chantres du laxisme essaient de propager l’idée qu’une politique de relance serait praticable. Or, rien ne permet de penser que l’Occident puisse rapidement renouer avec la croissance : ses avantages compétitifs se réduisent et les politiques keynésiennes sont hors de portée car elles susciteraient une méfiance encore plus grande des créanciers des Etats et conduiraient donc à affaiblir encore ces derniers. L’intervention des pays émergents (comme la Chine qui se propose d’abonder le FESF) n’est évidemment pas une solution pour l’Occident. C’est une opportunité de diversification financière pour la Chine et une aide modeste pour l’Europe eu égard aux sommes en jeu. La rigueur, voire l’austérité, sont les seules voies salvatrices. On peut penser qu’à l’avenir, prêter aux Etats ne sera plus considéré comme un placement sans risque. Les créanciers, les banques, les sociétés d’assurance, les OPCVM examineront préalablement la situation financière du candidat emprunteur, en particulier les évaluations des agences de notation. Il y aura là au moins un progrès significatif : les Etats, comme les banques ou les entreprises seront jugés objectivement en fonction de ratios d’analyse financière calculés indépendamment. Un monde nouveau est en train de naître également dans les finances publiques.

 

(1) Voir notre série d’articles : http://rivagedeboheme.e-monsite.com/pages/politique/genese-de-la-decadence-quatre-images-du-declin-de-l-occident-1.html

(2) http://www.oecd.org/home/0,3675,fr_2649_201185_1_1_1_1_1,00.html

(3) http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/2-26042011-AP/FR/2-26042011-AP-FR.PDF

(4) http://www.treasurydirect.gov/govt/reports/pd/histdebt/histdebt_histo5.htm

(5) http://economie-analyses-actualites-opinions.over-blog.com/article-depenses-et-recettes-publiques-en-europe-et-aux-usa-78663924.html

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