Le libéralisme aujourd’hui

06/07/2017

Patrick AULNAS

Faut-il encore voir dans le libéralisme une simple doctrine ayant pris naissance peu à peu à partir de le Renaissance, avec une belle éclosion intellectuelle aux 18 et 19e siècles ? Faut-il dépasser cette approche et accepter la réalité du monde pour ce qu’elle est : un ensemble de 197 États (selon l’ONU) disposant d’un pouvoir considérable sur les êtres humains ? Comment se positionner aujourd’hui par rapport à cette réalité ?

 

Les libéraux ne sont pas des moutons de Panurge

Le libéralisme conduit à faire de la liberté individuelle la valeur suprême. Le troupeau de moutons n’est pas le modèle des libéraux, comme il a pu l’être pour les communistes et les fascistes. Lorsqu’un mouton libéral va vers le précipice, les autres ne suivent pas. Chez les communistes et les fascistes, oui, comme l’a abondamment montré l’histoire du XXe siècle. Aujourd’hui, ce sont les islamistes radicaux qui se comportent en moutons de Panurge. La chute de Mossoul en porte témoignage.

Autrement dit, les libéraux sont d’irrécupérables individualistes. Si le mot a acquis un sens péjoratif depuis de nombreuses décennies, il ne faut pas en prendre ombrage. En faisant de l’individu le fondement de toute société, l’individualisme rappelle constamment aux laudateurs du collectif qu’il ne faut jamais oublier la liberté.

 

Les libéraux et les projets collectifs

Chacun le sait, nos sociétés ne se sont développées que parce qu’elles ont su gérer des projets collectifs de grande ampleur. Grandes entreprises (la société anonyme apparaît seulement à la fin du XIXe siècle), associations, fondations, multiples entités mixtes faisant coopérer capitaux publics et privés, toutes ces structures collectives ne sont nullement étrangères au libéralisme.

Mais les projets politiques collectifs qui étouffent sur la durée la liberté individuelle, comme le socialisme, sont hors champ libéral.

C’est donc le collectif contractuel qui a la faveur du courant libéral. La liberté contractuelle présente d’énormes avantages. Il est possible d’inventer toutes les conventions ne contrevenant pas à l’ordre public. Un individu peut toujours rompre un accord contractuel en respectant les clauses du contrat. Le contrat, facultatif et provisoire, laisse toute liberté à l’individu. Il se distingue nettement de l’action collective publique basée sur la coercition. Celle-ci, nécessaire dans les domaines régaliens (diplomatie, armée, justice, police), pourrait avantageusement être allégée dans les autres (protection sociale, enseignement, culture, etc.)

 

Les libéraux n’apprécient pas la coercition

La philosophie politique libérale est fondée sur une idée simple : une coercition politique trop forte conduit à l’échec. Une liberté maximale compatible avec le fonctionnement du groupe amène la réussite, aussi bien individuelle que collective. Les universitaires ne classent pas en général Jean-Jacques Rousseau parmi les penseurs libéraux. Pourtant, les libéraux pensent spontanément que l’individu est plutôt bon et que la société globale, c’est-à-dire le politique, a tendance à le pervertir. La vulgate libérale, tant décriée par la pensée socialiste, peut être résumée ainsi : si vous laissez l’individu imaginer, créer, entreprendre, bref utiliser son intelligence et son dynamisme dans tous les domaines, alors la société sera meilleure pour tous.

La main invisible qui guide l’entrepreneur d’Adam Smith n’est qu’une application à l’économie de ce ressenti libéral : « Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. » Les libéraux ont une conception optimiste de l’autonomie de l’individu. Elle conduit au bien collectif. Rien de plus fondamentalement démocratique n’existe dans la pensée politique.

 

Les libéraux sont des citoyens du monde

Les libéraux ont une propension à résister au pouvoir politique et même au pouvoir économique s’il devient oppressant, ce qui peut parfois être le cas dans les grands groupes multinationaux. Cette caractéristique ne fait pas d’eux des citoyens accommodants pour le pouvoir. Le pouvoir étatique n’est guère que le stade historique actuel de l’organisation politique de l’humanité. Mais sans plus. Il ne durera pas éternellement, d’autres modalités viendront, peut-être plus vite que nous le pensons. Autrement dit, l’État est un mal nécessaire auquel les libéraux ne se vouent jamais corps et âme. Ils sont plutôt, par l’esprit, des citoyens de monde, car le pouvoir politique n’a pas encore vraiment colonisé le niveau mondial.

Il en résulte que la mondialisation scientifique, technique, économique, financière ne les choque pas. Certes, elle affaiblit les États au profit des états-majors des grands groupes bien implantés internationalement. Mais l’histoire récente a montré que les États constituent une menace bien plus importante pour la liberté que les grandes entreprises. Les dictatures, le totalitarisme instrumentalisent la structure étatique au profit exclusif d’un parti unique confisquant tous les pouvoirs. L’ultra-libéralisme est beaucoup moins dangereux que l’ultra-étatisme. Mais, bien entendu, tout homme raisonnable fuit comme la peste tous les ultras.

 

Les libéraux sont des résistants

Le pouvoir politique devient aujourd’hui omniprésent par sa puissance financière et l’hyper-réglementation des sociétés. Dans les démocraties, l’arbitraire étatique a reculé mais le potentiel étatique a considérablement augmenté. Partout, le développement économique coïncide avec l’envolée des impôts, taxes et cotisations obligatoires. Partout, il s’accompagne d’une avalanche de normes juridiques. Que faire ? Résister. Il est bien inutile de clamer son libéralisme économique doctrinal en se référant aux grands économistes classiques. L’image d’un libéralisme passéiste risque alors de surgir. L’État-providence est là et bien là. Il s’agit surtout de l’empêcher de croître.

La « morale du simple soldat » que préconisait Alain semble adaptée à la situation. Il ne faut jamais s’enthousiasmer pour un dirigeant politique car l’émotion des foules est manipulée par les politiciens pour conforter leur pouvoir. Il faut choisir un candidat avec sa raison et le moins possible avec ses sentiments. Il ne faut pas les aimer car ils en tirent avantage ; mieux vaut simplement les respecter s’ils sont dignes de respect, comme beaucoup d’entre eux. Les tribuns de la plèbe, qui cherchent à enflammer leur auditoire sont les plus dangereux. Il suffit de leur opposer la plus totale indifférence. Les politiciens ont voulu le pouvoir, ils l’auront avec réticence. Ils ont voulu nous gouverner, ils le feront sous nos critiques.

Les libéraux ne sont pas des laudateurs. Ils analysent, critiquent, approuvent avec réserves s’il le faut, désapprouvent si nécessaire, traînent les pieds face au dirigisme. Bref, ils résistent.

 

Le libéralisme est un humanisme

Individualistes, méfiants à l’égard du politique, observant l’État moderne comme un Léviathan et la relativisation des frontières comme une bénédiction, résistant aux excès du normativisme contemporain, les libéraux subissent aujourd’hui les critiques des conservateurs et celles des sociaux-démocrates. Les premiers leur reprochent le refus d’un État fort qui serait le garant d’un indéfectible enracinement culturel, les seconds les accablent de leur générosité collectiviste qui s’opposerait à l’égoïsme individualiste.

Il ne faut répondre qu’une chose : les grandes structures collectives contemporaines (États, grandes entreprises), ont, par leur gigantisme, un aspect déshumanisant. Elles ont une tendance inéluctable à instrumentaliser l’individu et à écraser sa liberté. En se plaçant du côté de la liberté individuelle, les libéraux défendent tout simplement l’homme dans un monde qui l’oublie souvent au profit de la puissance des groupes.

 

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