Radicalisation : cibler l’ennemi

23/07/2016

Patrick AULNAS

La dérive hyperviolente de petits délinquants, en général de culture islamique, est désormais qualifiée radicalisation. Le terme prend ainsi un sens nouveau, substantiellement différent de l’ancien. Radicaliser les positions dans un conflit consistait à devenir intransigeant de façon à créer deux camps opposés et à rendre tout compromis impossible. Dans le domaine syndical, certaines organisations jouent encore ce jeu, par exemple la CGT ou SUD, récemment, à propos de loi travail. La loi devait être « retirée » et non amendée.

 

La radicalité des révolutionnaires

Dans le domaine politique, la radicalité concernait au 20e siècle les révolutionnaires ou ceux qui prétendaient l’être. L’art du compromis, nécessaire à toute vie en société, était alors voué aux gémonies. L’apologie du conflit entre classes sociales et la lutte contre les oppresseurs – la bourgeoisie dans le schéma marxiste – représentaient pour les adeptes de l’idéologie la voie radicale à suivre. Il fallait détruire la société capitaliste pour lui substituer une société sans classes. Les sociaux-traîtres, entendez les sociaux-démocrates, étaient eux-mêmes placés dans le camp ennemi et particulièrement détestés parce que coupables d’avoir pactisé.

Tant dans le domaine syndical que politique, les modérés s’opposaient ainsi aux extrémistes. D’un côté, les partisans de la conciliation, de l’autre les zélateurs du conflit. La radicalisation portait donc sur l’attitude d’un groupe constitué ayant pour ambition de remplacer par la violence la société présente par une société future, définie par l’idéologie.

 

La radicalité des terroristes anarcho-marxisants

Le terrorisme des années 1970-1990 représente une première dérive radicale de petits groupuscules extrémistes. La distinction entre crimes de droit commun et violence révolutionnaire devient alors moins nette. En Allemagne, la Fraction armée rouge, plus connue sous l’appellation bande à Baader, toujours au prétexte de lutter contre le capitalisme, mène des actions violentes (attaque des banques, attentats contre des dirigeants, etc.). En Italie, les Brigades rouges multiplient les attentats et assassinent le président du parti démocrate-chrétien, Aldo Moro. En France, le groupe Action directe a à son actif plusieurs assassinats.

Les meurtres étaient considérés comme politiques par ces enfants perdus d’un anarcho-marxisme dévoyé. Mais ils restaient ciblés sur des personnalités (chefs militaires, politiciens, grands chefs d’entreprise).

 

La radicalité du fondamentalisme islamiste

La violence terroriste issue du fondamentalisme islamique est au contraire une violence de masse, tuant hommes, femmes et enfants de la façon la plus aveugle. Elle repose sur une interprétation littérale de certaines prescriptions coraniques. Par exemple, la sourate 8, verset 17 exonère les coupables du meurtre des « infidèles » car c’est Dieu lui-même qui les tue :

« Ce n'est pas vous qui les avez tués : mais c'est Allah qui les a tués. Et lorsque tu lançais une poignée de terre, ce n'est pas toi qui lançais : mais c'est Allah qui lançait, et ce pour éprouver les croyants d'une belle épreuve de Sa part! Allah est Audient et Omniscient. »

Bien entendu, il est possible d’interpréter ces très anciens textes, qu’il s’agisse du Coran, de la Bible ou de la Torah, de mille façons et d’ergoter sur le sens à retenir comme le font les spécialistes du sujet. Il n’empêche que pour des fanatiques, ils comportent un message venant de leur Dieu. A cet égard, l’Islam constitue un cas particulier. Si les meurtres de masse à justification religieuse ne sont pas propres à l’Islam – pensons au massacre de la Saint-Barthélémy contre les protestants en France – seul l’Islam autorise, selon les interprétations les plus radicales, le terrorisme de masse. Ni les juifs, ni les chrétiens n’ont jamais appelé à tuer de n’importe quelle façon les adeptes des autres religions. L’islamisme radical ne peut se comparer à cet égard qu’au nazisme et à sa volonté pathologique de détruire le peuple juif.

 

La radicalisation suppose une réflexion

L’utilisation de petits délinquants voués au meurtre de masse par les vieux chefs de Daech n’est donc pas une radicalisation politique. Celle-ci reposait, chez les marxistes ou les anarchistes, sur une analyse les conduisant à penser que la solution la plus efficace pour faire advenir la société de leurs rêves était le conflit violent. La Troisième Internationale, ou Internationale communiste, dirigée par le Parti communiste soviétique, recrutait des agents dans le monde entier, et en particulier en Occident, mais il s’agissait d’individus ayant des convictions politiques affirmées.

Par contre, certaines similitudes existent entre les tueurs de Daech et le profil de certains terroristes occidentaux de la fin du 20e siècle. Ainsi, Adreas Baader (1943-1977) était dans sa jeunesse un petit délinquant ayant à son actif de nombreux vols de voitures et des falsifications de documents. Comme les hommes de main de Daech, ces terroristes étaient utilisés par des organisations politiques sans en avoir clairement conscience. Ainsi, Andreas Baader s’entraînait dans les camps palestiniens du Fatah et était soutenu par le pouvoir soviétique. Si radicalisation il y a, elle est plus psychologique qu’intellectuelle chez ces individus. L’aventure terroriste n’est qu’une manière de meubler un certain vide existentiel.

 

Instrumentalisation ou radicalisation ?

Le glissement sémantique, à la fois subtil et révélateur, du mot radicalisation renvoie ainsi à un déni de réalité. Les pays occidentaux ont refusé de désigner l’ennemi, le salafisme, par crainte de l’islamophobie. Le concept de radicalisation individuelle par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou de l’influence d’un imam devient alors une explication commode. Mais les petits soldats du terrorisme islamique ne réfléchissent à rien, ne représentent aucune forme de pensée. Ils trouvent simplement une fin jugée glorieuse dans le meurtre des « infidèles ». Ils ont en général raté à peu près tout, n’ont plus aucun espoir et saisissent une dernière opportunité pour passer à une essence de combattant héroïque après une existence terne, si l’on veut reprendre le vocabulaire existentialiste. Instrumentalisés par le salafisme, c'est-à-dire un Islam archaïsant et rigoriste, ils n’ont pas conscience de lutter contre tout ce qui représente la face lumineuse de l’humanité : liberté, démocratie, progrès. Le salafisme représente en effet la face sombre de l’humanité, comme le fascisme et le nazisme au 20e siècle en Occident. Contre la liberté dans tous les domaines, pour le culte du chef, pour la soumission, voire l’esclavage des femmes, cet Islam fondamentaliste nie tout progrès. Seule la glose de vieux textes religieux éternellement ressassés peut être admise pour éduquer la jeunesse.

 

Cibler l’ennemi

Fasciné par le pouvoir sans partage et la violence contre tous ceux qui lui résistent, le projet salafiste consiste tout simplement à détruire le monde occidental dont il abhorre les valeurs de progrès. Il ne s’agit pas de construire par la violence une société nouvelle comme l’imaginaient naguère tous les révolutionnaires, mais de se crisper sur un passé révolu. Il faut empêcher, interdire, cantonner l’être humain dans un système de croyance élémentaire, bref nier l’intelligence.

Ne disposant pas d’une puissance militaire suffisante, le salafisme instrumentalise une jeunesse occidentale à la dérive pour se constituer une armée de l’intérieur. L’Occident a jusqu’à présent réagi mollement, craignant par-dessus tout de susciter des réactions islamophobes dans sa population. Erreur majeure, qu’il est grand temps de corriger. Sans désigner une religion comme ennemi, il est désormais nécessaire de cibler un courant fondamentaliste de cette religion qui est déjà parvenu à fissurer nos sociétés.

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