La mort du socialisme : pourquoi ?

14/12/2016

Patrick AULNAS

L’échec de François Hollande enterre définitivement l’idéal socialiste du passé. Il subsistera comme courant de pensée secondaire, mais n’a plus aucune chance d’influer sur la gouvernance de l’État. L’aile gauche du Parti socialiste ne l’a absolument pas compris et s’imagine encore qu’il est possible de gouverner comme si la croissance économique pouvait payer l’augmentation des dépenses publiques. Comme si nous étions encore en 1960, avec une croissance record du PIB de 8%.

 

L’abandon des grands principes

Pourquoi le socialisme a-t-il disparu ? Parce que l’histoire l’a condamné à se dévoiler et que chacun a pu s’apercevoir de l’exactitude du slogan de Valéry-Giscard d’Estaing dans les années 1970 : « Le socialisme, ça ne marche pas ». La doctrine initiale a été abandonnée à la fin du 20e siècle : plus de nationalisations, acceptation de l’économie de marché. Il ne faut pas oublier que l’ambition socialiste du début du 20e siècle consistait à réduire la place du marché à peu de chose. L’objectif final était le même que celui des communistes, mais le chemin pour y parvenir était différent. Pour les socialistes, le respect des principes de la démocratie représentative était conciliable avec la mise en œuvre du socialisme. Pour les communistes, la démocratie représentative était aux mains de la bourgeoisie et la violence était nécessaire pour faire advenir l’éden de la société sans classes.

 

Redistribuer tout simplement

L’abandon des principes fondamentaux du corpus doctrinal ne laissait pas grand-chose du projet socialiste initial. Les élites socialistes passèrent donc du socialisme à la social-démocratie ou même au social-libéralisme. Un think tank comme Terra Nova illustre parfaitement cet aggiornamento. Mais le peuple de gauche a du retard sur l’intelligentsia et ses attentes restent les mêmes : le cocooning étatique. Une réalité s’était en effet construite à partir du milieu du 20e siècle : l’État-providence. Que faire avec l’État-providence pour satisfaire les attentes des électeurs socialistes ? De la redistribution, tout simplement. La redistribution consiste à prélever des impôts et cotisations sociales sur la richesse produite pour réaffecter ces ressources selon des critères politiques. Il s’agit par exemple d’embaucher plus de fonctionnaires ou d’accorder de nouveaux avantages sociaux comme la retraite à 60 ans pour tous en 1982.

 

Et payer en s’endettant

Une telle politique redistributive fonctionne bien lorsque la croissance économique est forte. Ce fut le cas entre 1945 et 1975, époque du développement de l’État-providence. Avec en moyenne, sur trente ans, une croissance annuelle supérieure à 5%, les prélèvements obligatoires peuvent augmenter sans pour autant pénaliser fortement quiconque. Le supplément annuel de richesse permet de financer la hausse des prélèvements. Mais à partir de 1975, le taux de croissance baisse progressivement pour devenir très faible aujourd’hui. Les socialistes au pouvoir ne peuvent pas électoralement renoncer à leur politique redistributive. Les promesses électorales deviennent économiquement hors de portée, mais sont maintenues. La qualité du financement se dégrade alors rapidement. L’augmentation des prélèvements ne suffisant pas pour financer les promesses, il faut endetter le pays. La politique socialiste ou sociale-démocrate est financée à crédit. La dette publique, qui était de 21% du PIB en 1981, date de l’élection de François Mitterrand, passe à 55,5% du PIB en 1995, fin du second septennat mitterrandien. Elle ne cessera d’augmenter ensuite, même sous les gouvernements de droite. Il est en effet très difficile de dire la vérité lorsque de faux prophètes diffusent l’idée que tout est possible en faisant payer l’État.

 

La fuite de l’électorat populaire

Cependant, la réalité économique ne peut être éternellement éludée par des subterfuges financiers. Les prélèvements obligatoires continuant à augmenter avec une croissance économique faible, ils devaient nécessairement porter de plus en plus lourdement sur les classes moyennes. La redistribution ne consiste plus au début du 21e siècle à prélever sur la richesse supplémentaire créée mais à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Les catégories moyennes sont de plus en plus imposées, alors que simultanément le nombre de travailleurs précaires et de chômeurs augmente. Les promesses redistributives socialistes sont jugées insuffisantes par ces catégories défavorisées qui fuient partiellement vers l’extrême-droite. Le Front National a su saisir cette opportunité politique en reprenant largement les promesses factices de la gauche associées à un discours nationaliste et fortement anti-européen : le social-nationalisme est né. L’électorat socialiste se structure désormais de plus en plus autour des bénéficiaires de la redistribution publique, en particulier les fonctionnaires et une partie des populations vivant d’aides sociales.

 

Le social-libéralisme, seul espoir de la gauche

La fin du socialisme correspond donc à la dissipation d’une illusion. L’avènement de l’État-providence avait été rendue possible par une croissance économique exceptionnellement forte. La domination occidentale sur les marchés mondiaux expliquait cette croissance. Mais c’est bien le capitalisme et son efficacité productive qui a payé l’État-providence. Le passage de la domination occidentale à la compétition avec de nouveaux arrivants (les émergents) provoque un ralentissement en Occident. Le capitalisme mondialisé a élargi son terrain de jeu et peut saisir des opportunités sur la planète entière. La réalisation des promesses socialistes était conditionnée par le modus vivendi tacite entre capitalisme et État-providence. Le capitalisme se pliait aux exigences politiques des dirigeants occidentaux tant que l’environnement productif était porteur en Occident. La résiliation, toujours tacite, de ce gentlemen’s agreement place le socialisme occidental dans une situation désespérée. Qui va payer désormais la seule promesse tangible, celle de la redistribution publique des richesses ? La réponse est cruelle : les anciens électeurs socialistes. Évidemment, ils s’en rendent vite compte et désertent.

Pour la gauche, l’espoir politique se situe désormais du côté du social-libéralisme. Il s’agit de libérer les initiatives privées tout en maintenant une régulation publique forte. Le capitalisme n’est plus l’ennemi avec lequel on conclut provisoirement un traité de paix, mais un partenaire indispensable, car il sait produire et distribuer avec une efficience inégalée. François Hollande est un social-libéral par l’intelligence, mais un socialiste par tactique politicienne. Il n’a pas su trancher. Une chose est certaine : les frondeurs socialistes et les communistes n’ont aucun avenir, sauf celui d’éternels opposants.

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