L’extrême aveuglement de la CGT

25/05/2016

Patrick AULNAS

 

Chacun comprend désormais que la CGT n’est plus dans la contestation de la loi travail, mais a choisi une stratégie de la terre brûlée qui n’a que des chances réduites de réussite. Il s’agit pour les leaders du syndicat de faire fléchir le gouvernement. La loi travail n’est qu’un prétexte. La CGT est en effet affaiblie car des syndicats s’affichant comme révolutionnaires (Solidaires) la concurrençant à sa gauche et des syndicats réformistes (CFTD) la concurrençant à sa droite. Prise en étau, elle abandonne son évolution vers le réformisme, entamée avec Bernard Thibault, et se radicalise. Mais, parmi les grands syndicats de salariés, elle est totalement isolée. Cette radicalisation syndicale est donc une opération risquée et à courte vue, coupée des évolutions historiques en cours

 

La tétanisation du pouvoir socialiste

D’une manière plus générale, la radicalisation de l’extrême-gauche n’est qu’une opportunité politicienne résultant de la tétanisation du pouvoir socialiste face aux réalités contemporaines. La gauche sociale-démocrate, à laquelle François Hollande appartient, échoue depuis plus de quatre ans à réformer le pays. Trop divisée, trop timorée, elle butte à chaque instant sur la problématique libérale ou la critique sécuritaire. Les réformes sociales ne pouvant aller que vers le desserrement des contraintes, l’accusation ridicule d’ultra-libéralisme est aussitôt assénée par la gauche radicale. Les réformes régaliennes (nationalité par exemple), visant à restaurer l’autorité de l’État dans un monde conflictuel, mènent une partie des élus socialistes à brandir le risque de collusion avec l’extrême-droite.

 

Bloquer le pays devient un devoir

Dans un tel contexte, nombreux sont les militants ou les sympathisants de gauche qui n’aspirent plus du tout à gouverner. L’opposition est beaucoup plus confortable pour faire rêver à un monde idéal et stigmatiser la réalité. Pour s’opposer au gouvernement, le plus tôt sera le mieux pour les contestataires de gauche. La défaite de Hollande en 2017 étant en général admise par les spécialistes, il suffit de le désigner à ses troupes comme un suppôt de la droite et un traître. Bloquer le pays devient alors un devoir. Une dirigeante de la CGT déclarait récemment sur une chaîne de télévision, à propos de la loi travail, qu’il n’était pas possible que le 21e siècle soit moins favorable aux salariés que le 20e. Tout plutôt qu’une petite réformette !

 

Accepter ou fuir la réalité

Cette interprétation du devenir historique est particulièrement intéressante : pas question de transiger sur les « droits acquis ». L’évolution sociale serait linéaire. Bien entendu, il n’en est rien. Le monde qui est en train de naître est un monde en évolution rapide, ouvert sur l’extérieur. Il suppose des entreprises capables de s’adapter en permanence à l’environnement économique, technologique, social. Les salariés de ces entreprises ne peuvent rester à l’écart de ces évolutions. Ils doivent en être parties prenantes, mais pour cela il faut d’abord accepter la réalité. Or la CGT et consorts fuient toute approche réaliste.

 

La fixation sur le passé

L’extrême-gauche et la gauche socialiste refusent de toutes leurs forces la société qui émerge lentement aujourd’hui. Elles demeurent prisonnières d’une idéologie marxisante prônant le conflit. Pour elles, la bonne trajectoire est celle qui avait été initiée après la seconde guerre mondiale lorsqu’une croissance économique forte permettait d’octroyer des droits nouveaux, mais coûteux, aux salariés du monde occidental. Un monde occidental où les échanges internationaux étaient faibles et dans lequel on consommait en grande partie ce qui était produit dans le pays ou même dans la région où l’on vivait. La stabilité pouvait alors être juridiquement construite puisque économie et droit fonctionnaient dans le cadre national. Chacun semblait pouvoir maîtriser son avenir et l’ambiance était d’ailleurs à l’optimisme.

 

De la domination à la compétition économique

Ce que ne semble pas avoir compris nos gens de gauche, c’est que l’Occident était alors en position de domination et qu’il est désormais impliqué dans une compétition mondiale. Les privilèges des occidentaux de l’époque – technologies de pointe, forte croissance, droits sociaux – sont, non seulement réclamés, mais conquis progressivement par tous les peuples de la planète. Envisagent-ils nécessairement l’organisation de la société selon le compromis historique provisoire conclu entre capitalisme et syndicats dans les années 1950 en Occident ? Non, bien sûr. Le monde nouveau qui a jailli à la fin du 20e siècle, sur les décombres des États-providence fragilisés et endettés, est un monde où économie et droit sont dissociés. Le droit s’élabore toujours dans un cadre national selon les intérêts à court terme des politiciens alors que les stratégies économiques sont pensées dans un univers globalisé et en fonction d’impératifs multiples (technologiques, géopolitiques, fiscaux et sociaux, organisationnels, etc.). Le salariat lui-même est remis en cause par les capacités de rapprochement offre-demande induites par internet.

 

Conservatisme de gauche

Le conservatisme de gauche est aujourd’hui tout à fait saisissant. La réalité contemporaine ne semble pas perçue, seule compte la préservation du passé. Les leaders de la gauche extrême et les syndicats les plus radicaux, auxquels la CGT se rallie aujourd’hui, sont les défenseurs d’un monde qui meurt. Celui qui est train de naître ne peut pas être la copie conforme du passé. Prôner la pérennité de règles de droit élaborées pour une société déjà disparue, c’est penser que l’on est capable d’arrêter l’histoire de l’humanité. C’est tromper les salariés en les engageant dans un combat perdu d’avance. On peut bloquer un court instant un pays, mais on ne peut pas stopper l’évolution du monde lorsqu’on n’en est qu’un élément microscopique en voie de disparition.

 

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