Hollande et le coût du travail

20/04/2016

Patrick AULNAS

Chacun le sait, même à gauche. Le coût du travail, le temps de travail et la réglementation du licenciement constituent en France trois obstacles à la création d’emplois. En ce qui concerne la baisse du coût du travail, il s’agit pour l’État d’agir sur les énormes charges qui pèsent aujourd’hui sur toute activité. Une autre solution consiste à augmenter la productivité du travail, mais elle relève du long terme et non de mesures politiciennes. L’épisode du CICE (crédit d’impôt compétitivité-emploi) symbolise toute une politique. Le mécanisme lui-même ne pouvait être validé que par un technocrate-apparatchik sans culture micro-économique ni expérience de l’entreprise. Autrement dit, François Hollande connaît la macro-économie et la fiscalité mais ne sait pas lire un bilan et un compte de résultat. Ce travers français ne lui est pas spécifique. Il concerne presque toute la classe politique. La plupart de nos politiciens prétendent décider de ce qui est bon pour les entreprises sans les connaître de l’intérieur.

 

Le CICE, chef d’œuvre technocratique

La mesure la plus importante prise par François Hollande à destination des entreprises constitue déjà un chef-d’œuvre de l’aveuglement technocratique à la française. Elle date de 2012 et s’intitule CICE ou crédit d’impôt compétitivité-emploi. L’expression utilisée ferait déjà reculer tout un bataillon d’individus sains d’esprit. Mais il s’agit de la prodigieuse créativité linguistique des énarques. Quant au contenu, il consiste à réduire les charges par diminution de l’impôt sur les sociétés, mais… plus tard. N’entrons pas dans les détails techniques, car ils importent peu. La cible étant les entreprises employant du personnel, l’État leur accorde un crédit d’impôt de 6% de la masse salariale. Un crédit d’impôt s’imputant sur l’impôt futur, il faut évidemment attendre longtemps pour bénéficier effectivement de l’allégement de charges. La complexité du dispositif n’est pas l’essentiel car ce sont des professionnels spécialisés qui gèrent la fiscalité des entreprises (services comptables des grandes entreprises ou experts-comptables pour les petites entreprises). Mais ajouter de la complexité à la complexité en période de croissance faible ou nulle suppose une incompréhension totale des préoccupations des petites entreprises, d’où pourrait justement venir les créations d’emplois. Le mot d’ordre devrait être à la simplification et aux mesures lisibles, compréhensibles par tous dans leur principe. Au lieu de laisser les fonctionnaires de Bercy concocter une nouvelle usine à gaz fiscale, il suffisait de diminuer les impôts comptabilisés en charges ou certaines charges sociales. Trop simple, trop visible politiquement aussi !

 

Le grand basculement

Après quatre années de mûre réflexion, François Hollande a, début 2016, un éclair de génie. Il annonce « le temps du basculement du CICE en baisse définitive de charges. » Tout était donc prévu dès le départ ! Le temps du basculement est venu. Comment ne pas sourire devant tant de duplicité. Une telle maladresse voulant passer pour de l’habileté tactique ne touche même plus les fidèles des fidèles.

Mais le temps de l’État-providence n’est pas celui de l’entreprise. Le grand basculement figurera dans une loi de finances rectificative ou dans la loi de finances pour 2017, votée à l’automne 2016, et n’entrera effectivement en vigueur qu’en 2017. La promesse précède de presque deux ans la réalisation. Les entreprises pourront donc effectivement bénéficier d’un simple allégement de charges quand François Hollande sera vraisemblablement parti. Il aura donc fallu un quinquennat entier pour parvenir à comprendre qu’une baisse des charges consiste tout simplement à … baisser les charges.

 

Un exemple politiquement significatif

L’exemple du CICE a une signification politique forte. Les frondeurs socialistes, les écologistes et la CGT ne cessent de glapir sur l’énorme cadeau fait aux patrons. L’argent public aurait été distribué sans contrepartie. Les entreprises auraient empoché le CICE sans créer d’emplois. Il est bien difficile, voire impossible, de faire un bilan de ce dispositif sur les créations d’emplois. Mais, selon l’INSEE, il a permis de limiter l’augmentation du coût du travail en France, qui a moins augmenté que dans la plupart des pays européens.

L’approche du problème est révélatrice. Pour une bonne partie de la gauche, il y a distribution d’argent public aux entreprises. Ce qui signifie que les prélèvements obligatoires de 46% du PIB sont la normale. Les réduire constitue une dilapidation de l’argent public, surtout lorsque les entreprises sont bénéficiaires. Le soupçon d’augmentation des profits par la baisse d’impôt hante alors les esprits. L’analyse libérale se situe à l’exact opposé. Il n’est pas acceptable de prélever 46% du PIB et il convient de baisser significativement ce niveau de prélèvement. Le CICE n’est pas analysé comme une distribution d’argent public mais comme une juste réduction des prélèvements pesant sur les entreprises. La réduction des charges induit un renouveau d’activité car la liberté conduit beaucoup d’hommes vers la créativité. D’un côté, le soupçon et le contrôle tatillon, de l’autre la confiance et l’autonomie.

L’habileté rhétorique de la gauche masque une pauvreté conceptuelle affligeante. Réduire les impôts ne représente jamais une dilapidation d’argent public. La dilapidation se situe dans certaines dépenses. Le verbiage technocratique atteint un sommet lorsque l’on considère un crédit d’impôt comme une « dépense fiscale », expression utilisée à Bercy. La justification est simple : une réduction d’impôt est une dérogation au droit commun en vue d’une action spécifique, donc une dépense liée à l’interventionnisme public. Certes, mais ce vocabulaire conduit inéluctablement à semer le trouble dans les esprits en connotant négativement toute réduction d’impôt. Dans ce domaine, la technocratie d’État et les partis de gauche voyagent main dans la main. Le CICE, représentant à ce jour 27,5 milliards de réductions d’impôts, est perçu comme une dépense par les hauts-fonctionnaires car il réduit le montant global dont dispose l’État.

Puisque l’État dépense quand il réduit nos impôts, pourrait-on considérer qu’il économise quand il les augmente ? Nous n’en sommes pas loin. Pour contenir les déficits, c’est d’ailleurs ce choix qui a été fait. Merveilleuse technocratie !

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